Quarantaine

 

1 (on dit pas hein on dit comment)

Par écrit.

 

2

Fête de la sono, fête de la cacophonie. Les amplis se superposent aux amplis, dans les rues on enjambe les câbles électriques, micros, électro, musique nucléaire. La banquise fond, il pleut des cordes.

Je n'ai pas envie, pas envie, pas envie.

La jalousie est un sentiment qui pourrait me motiver, à la limite.

 

3

Une femme qui n'a pas d'enfant se dessèche plus vite que les autres.

Non.

 

4

La table est méchante, méchante la table, han, han, han. Maman a dit à la poissonnière qu'elle était méchante et que si jamais elle redonnait à maman du poisson avec des arrêtes, maman irait voir la police et la poissonnière irait en prison.

 

5

Aux douleurs et aux absences qui ne me concernent pas mais que je ressens infini(tésimale)ment.

 

6

Subversion est le mot que je ne trouve jamais.

 

7

Quand on agite l'eau elle devient rose, mais le sirop retombe au fond, au bout d'un temps.

 

8

Et l'espoir que parce que je souffre mieux, j'écris mieux.

 

9

 

10

Je suis seule avec mes chips.

Ce qui est terrible, c'est que ce qu'on croyait nous constituer passe aussi.

À force de ne pas savoir pourquoi on fait les choses, on n'a plus envie de les faire.

À force de trop se demander pourquoi on les fait, on n'a plus envie de les faire non plus.

 

11

D'avoir ce petit matériel avec moi qui permettait d'inventer des occupations et des images.

Mangé du chocolat au lait-noisettes avec du pain pour retrouver l'accord des deux goûts.

Dessiné ma maison les yeux ouverts sans regarder la page.

12

(Rapido presto)
Je joue dans un grand festival, je suis motivée. Mais trop relâchée, presque débonnaire : quand la lumière s’éteint, je me rends compte que les rideaux des fenêtres ne font pas un noir noir. Et que j'ai oublié d'enlever ma culotte sous mon maillot.

Je joue une scène que je ne connais pas avec deux enfants qui ne savent pas leur texte. Ils disent le contraire de ce qu'il faut comprendre. C'est un fiasco. Les lumières se rallument. Je m'excuse et dis qu'il y a un problème. Marie-Josée Nat (oui) se lève de son fauteuil, vient vers moi avec un sourire. ça n'est pas à moi qu'elle sourit mais un couple d'amis derrière moi, à qui elle dit qu'elle s'en va, que tout cela n'est pas sérieux, que c'est se foutre de la gueule du monde. La gueule du monde (répéter). Je crie que je vais rembourser la gueule du monde mais on ne m'écoute plus.

 

13

Quand tout cela sera dépassé, j'écrirai peut-être un truc fort.

C'est comme des secrets de la vie qu'il m'est donné de recevoir (répéter).

J'ai froid, je me mets au-dessus du four entrouvert.
Il est midi, je vais me coucher.

 

14

Sur la route, un nœud de serpents salement amochés, aux corps partiellement écrasés, essayent de se dégager et de s'enfuir.

23h44. Pour mon anniversaire je voudrais baiser avec trois hommes.

Ou bien qu'on m'organise une belle partouze.

Nous finissons par nous asseoir par terre face à face emboîtés l'un dans l'autre au pied d'une marchande de poupées.

 

15

  • ça a participé si tu veux à ma faiblesse, à ma souffrance. Tout de suite d'ailleurs, on m'a dit à partir de ce que j'ai fait, j'étais en surcharge de travail. J'avais les dossiers les plus lourds et puis ben heu, mais y avait un facteur physique, j'ai fait un burn-out. J'ai fait un burn-out, le facteur physique était dégradé. Ça je peux le résoudre seulement un an et demi après. Il a fallu que je sois hospitalisé en clinique.
  • Mais tu ne...
  • non ben c'est pas ça si tu veux : c'était palliatif, ça pouvait aller mieux mais c'était pas dans la durée.
  • Ben oui oui oui...
  • ben oui ça fait vingt-deux ans. Mais il y avait des facteurs précurseurs : c'est une maladie qui se déclare chez les adolescents ou chez les faibles.
  • Mm...
  • non et puis il faut que j'ai du temps à moi, même par rapport à ma fille.
  • Oui oui.
  • du temps physique.
  • Mm.
  • Non mais y faut juste s'organiser quoi.
  • non mais c'est bien.
  • C'est pour ça que je refuse pas. J'ai pas mis longtemps à réfléchir. Le lendemain. Le soir, même. Au minimum.
  • Mais oui c'est ce qu'il y a de bien.
  • Voilà.

 

16

Retrouvez-vous et des milliers d'autres sur moi.

(Chuchoté consonnes rythmées crescendo) Tout tabou sera puni (Chuchoté consonnes rythmées decresendo)

 

17

Deux poignées de noisettes sur le chemin

Juste de quoi me réconcilier

Avec moi-même

 

18

Fêter son anniversaire c'est se payer une grande déclaration d'amour collective.

Je me souviens qu'un jour j'ai renoncé à vouloir le meilleur.

Traverser des villes et des paysages, traverser seulement. Ne jamais rien avoir à y faire.

Un herbier des moches pensées.

Tu l'as voulue cette fête. Sois raisonnable.

Sois raisonnable.

Tu es belle en maillot.

J'ai pris sur moi.

Changer pourrait englober aussi accepter de ne pas changer.

En ce sens, c'est une renaissance.

 

19

Mes mains sentent les chats et les noix, oh j'aime ça.

 

20

 

21

  • Le cinq part en un.
  • Trois ? 
  • Trois ça reste. 
  • Quatre ?
  • Quatre aussi. 
  • Le cinq part en un c'est bon. 
  • Le six y'a rien 
  • Donc sept.
  • Euh... le sept part en deux.
  • Le huit ?
  • En un.
  • Le neuf ?
  • Y reste.
  • Le dix ?
  • Pareil.
  • Le onze.
  • En douze.
  • Le douze ?
  • Y'a rien.
  • (Un temps) Le douze y'a rien ?
  • Ben non.
  • Attends on vient de faire le onze en douze ?
  • Mais celui qui était sur le douze y'avait rien d'autre dessus.
  • D'accord, euh... le treize ?
  • En onze.
  • En onze.
  • Le quatorze en huit.
  • Le quinze ?
  • En sept.
  • Touc touc touc touc touc touc touc... le seize, y'a rien ?
  • Non.
  • Le seize euh c'est en dessous mais pourquoi j'ai rien ? Après t'as vingt.
  • Ouais, dix neuf en quatorze.
  • (au ralenti) Dix-neuf en quatorze.
  • Et c'est bon.
  • OK. On récapitule ?

 

22

 

23

Entre quatre z'yeux

à plates coutures

 

24

Tous ces airs graves autour de moi, ces airs de vouloir me protéger d'une chose qui m'arrivera fatalement, je le sais, je ne suis plus une enfant depuis longtemps.

 

25

(Main sur la bouche.)

 

26

La seule réserve que j'ai osé émettre, elles l'ont rendue caduque en un rien.

Je n'ai pas dit

je n'ai pas dit

je n'ai pas dit

je n'ai pas dit

j'ai tout gobé

tellement j'étais

 

27

Attention Attention à l'auto-sabotage. (Je répète)

Ouverture, souplesse, concentration.

Attention Attention Le texte ne suffit pas. (Je répète)

Je cherche un pilier qui tienne ma pauvre personnalité inconsistante.

Mâchouillages et désossement.

Anosmie, agnosie, anadiplose et apostasie.

Vieillir est une réalité.

Vieillir est moi.

Vieillir est visuel.

Une très vieille femme traverse le plateau, elle est nue, courbée, ses seins pendent, ses jambes flageolent. C'est elle qui trouve le serpent. Elle manque tomber sous sa menace (dans ce sens, manquer est un semi-auxiliaire). Elle finit par lui manger la tête. Elle rajeunit.

 

28

Aujourd'hui je n'ai pas envie de pleurer devant la glace.

Espère et passe.

 

29

Une chansons à peine effleurée avec de vrais morceaux de mots dedans.

Parler pour ne rien dire

Une petite violence du quotidien

Une phrase rassurante malgré tout.

 

30

Je m'en fous un peu mieux.

 

31

À l'heure où nous écrivons ces lignes, nous ne savons rien. Ni ce que nous voulions dire, ni même si nous voulions dire quelque chose.

 

32

 

33

La veste me bouffe

Un œil brille

Surgissement de méchanceté

Elle hésite

Suspendue à mes lèvres

Y'en a encore

 

34

C'est toujours plus facile de se souvenir d'une chose que de la vivre.

Passer de dix-sept ans à quarante sans transition, c'est violent. Je n'ai rien vu venir.

J'ai besoin qu'on aime ma surface (répéter jusqu'à plus rien dire).

 

35

On voit quelqu'un qui s'agite alors que le sujet demanderait plus d'intériorité.

Trop propre.

Trop beau.

Pas engagé.

On ne diffuserait pas ça en l'état.

ça ne te va pas.

ça ne te ressemble pas.

Il faudrait.

On aurait voulu.

On aurait eu envie.

On ne comprend pas ce que tu veux nous dire au final.

C'est inquiétant.

 

36

C'est l'espace qui est responsable de la situation.

Le paradis est un jardin clos alors que le désir, lui, ne l'est jamais.

 

37

On n'est rien

On n'est rien

On n'est rien

Cette rengaine pêchée au fond d'une relaxation profonde me fait sourire et m’apaise. Je peux mourir, me décrépir, ça n'est pas si grave, c'est dans l'ordre des choses.

 

38

Elle veut en avoir pour son argent.

Elle finit sa crêpe lentement consciencieusement.

Avant la fin, elle roulera dans sa serviette les trois petits paquets qu'elle a réservé depuis le début dans un coin de son assiette, discrètement, en vérifiant que le garçon ne la regarde pas.

 

39

Du choix d'une broutille au choix existentiel, du choix d'un sandwich à celui de ne pas avoir d'enfants, je fais toujours le mauvais.

S'empêcher de réfléchir.

Besoin de me regarder dans la glace quarante fois par jour.

S'empêcher de réfléchir.

Quarante fois les choses.

S'empêcher de réfléchir.

Sable mouillé dans les pieds.

S'empêcher de réfléchir.

Seins nus.

S'empêcher de réfléchir.

S'empêcher de réfléchir.

S'empêcher de réfléchir.

S'empêcher de réfléchir.

Entre profiteroles et pizza envie de rire comme une folle alors que ce n'est pas l'endroit.

S'empêcher de réfléchir.

La fenêtre est grande ouverte sur les pins et les acacias, le vent souffle, l'orage gronde. J'aime ça.

Ordure ménagère

Couverture nuageuse

S'imaginer des choses

Passer le temps

Naufragée dans la foule

Passer le temps

Seule à être seule

Passer le temps

Toujours pressée d'être après

Passer le temps

Passer le temps

Passer le temps

épuisé par tant d'effort

 

40

Excusez-moi madame, je suis un peu longue.

Oh non j'ai tout mon temps y'a pas de soucis.