Ce 19ème Printemps des poètes aura été l’occasion de découvrir quelques jeunes voix africaines ou de confirmer la connaissance que nous pouvions en avoir, par exemple à travers les émissions populaires de Soro Solo sur France-Inter. Voix aussi variées, bien sûr, que l’on pouvait s’y attendre, l’Afrique étant un continent extrêmement dynamique, comptant plus de cinquante pays différents, et non une entité unique qui serait « en face » de nous, au delà de la Méditerranée. Les aîné(e)s Tanella Boni, Nimrod, ou encore Alain Mabanckou ne nous en voudront pas si nous concentrons quelques regards, au demeurant rapides, à leurs trois cadets invités (et en résidence à la Cité des Arts de Paris) : par ordre alphabétique Harmonie Dodé Byll Catarya, Ismaël Savadogo et Kouam Tawa. Moyenne d’âge 34 ans et demi. Éditeurs principaux Du Flamboyant, Lavoir Saint-Martin, Lanskine ; pays d’origine Bénin, Côte d’Ivoire, Cameroun.
Il est bon d’avoir entendu ces trois personnalités, déclamant ou lisant, en slam, en tirade théâtrale, en murmuration, accompagnés ou non de fond musical, avant de se plonger dans leurs livres publiés. C’était là une sorte d’épreuve préliminaire du matériau mental et sonore : elle a été on ne peut plus réussie, testée de surcroît dans des espaces aussi différents que le Musée du Quai Branly, l’Auditorium de la Cité des Arts ou le petit local de l’Association L’Autre Livre.
Pour ce qui est de la très jeune Harmonie Dodé Byll Catarya, rien ne remplace l’écoute de sa voix, que l’on pourra trouver très distinctement, par exemple, ici : https://www.youtube.com/watch?v=Lk85N_H8E9Q . Mais les textes se suffisent aussi à eux-mêmes, insolents et frais, comme dans cette adresse à un Juge pour lui expliquer que la jeune fille ait préféré le slam à la comptabilité (et c’est tout un environnement scolaire béninois qui surgit devant nos esprits à l’écoute : M. le Juge, au fond j’ai toujours aimé écrire ! / Pas étonnant qu’aujourd’hui je slamme à plaisir !…). L’énergie d’Harmonie (et dans ces deux paroles pourrait consister l’essentiel du poétique) est communicative, comme on peut le voir aux réactions animées de l’assistance. Le message est d’amour universel, que dire de plus ?
Partout ma plume s’agite
L’univers, lui, crépite
À sa guise, ses devoirs de devin,
Il est un esclave de la nature
Qui chante sans cesse ses aventures !
Tout différent, Ismaël Savadogo doit visiblement forcer sa nature pour élever un tant soit peu la voix et faire entendre le fond de tristesse – véritable basse continue dans son écriture – de son Afrique déchirée, endeuillée, cherchant dans un cheminement sans fin mais non sans espoir, une quête qui semble parfois mystique, des raisons de ne pas désister. Tout cela n’est que suggéré, murmuré dirait-on sans emphase ni éclats (ce n’est pas la peine), creusé au plus bas de la réflexion intime et du travail dans la langue. On devine, çà et là, une adolescence blessée, le refuge solitaire à l’ombre, propice à la rédaction de fragments peu à peu décantés et rassemblés. C’est ici plutôt la crainte d’en avoir déjà trop dit :
On prend des notes
sur ce qu’on trouve à son passage
parce qu’on n’en sait pas plus
sur ce qu’on pourra voir après
une fois le jour venu.
Après la nuit, nous revenons chaque fois
à l’autre bout du temps
comme lorsqu’on entre et sort d’une maison :
une mémoire se refait alors au fil des jours.
La joie de créer en mots, de « verber » comme il l’affirme lui-même, se dégage dès l’abord de la présence intense de Kouam Tawa, auteur déjà affirmé dans des expressions diverses. Son long poème, Je verbe, a fait écho vaillamment au slam de sa jeune consœur et a su enflammer ses auditeurs. L’engagement est ici assumé, mais en poésie, avec toute l’épaisseur des lectures (de Césaire à Brook à Neruda) et de la culture orale des djélis traditionnels. Notre écoute s’y abandonne bien volontiers :
Verber
Pour munir la parole
De la fureur
Du feu
Et brûler les ivraies
Qui murent les tympans[…]
Et moi
Je verbe
Pour m’augmenter
Comme
On s’entraîne
Pour entraîner
Un jour
Sans avancer
Et je me sens
Reculer
Aurait dit
Carlos Gomez
Pour ne rien refermer ni conclure : merci au Printemps des poètes et à son directeur Jean-Pierre Siméon pour ces « Afrique(s) », au moment où le salon du Livre Paris accueille le Maroc (invité d’honneur) et ouvre un grandiose pavillon des Lettres d’Afrique à la Porte de Versailles. La poésie n’aura pas été oubliée.
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