LES CREUX DE L’OMBRE

Pour Gérard Serée

 

Branch­es lianes ronces langues encres longs enchevêtrements poussées vio­lences ce qui cherche la lumière la cache là où elle n’est pas atteinte elle perce troue trou­ve passe ondu­la­tions végé­tales qui suiv­ent les com­bi­naisons imprévis­i­bles de la lumière du vent des acci­dents de la terre des obsta­cles des branch­es des rup­tures tu pouss­es cher­chant dans les creux l’ombre et accu­mu­lant les traits tu accu­mules ce qui cache le blanc le trou­ve où il n’est pas atteint il reste et passe il suit et des­sine les com­bi­naisons imprévues de ta lumière de l’air des acci­dents de la plaque des obsta­cles de la résis­tance des traces des car­refours creux ornières trous gra­vant à force le cuiv­re et croisant le gravé je pousse cher­chant dans les mots l’encre et les accu­mu­lant du sens accu­mule ce qui masque le papi­er le crée lui don­nant sens le trou­ve où il n’est pas atteint il perce trou­ve espace qui suit les com­bi­naisons imprévues de ma lumière de l’air du temps de la langue de ses trous ses creux ses croisées ses pertes sa lour­deur sa grav­ité ses rup­tures branch­es lianes ronces langues encres traces voix elles giflent fou­et­tent attaque­nt grif­f­ent la main les écarte le bras les pousse passe les repousse  comme elles le repoussent et attaque­nt au vis­age le giflent fou­et­tent égratig­nent grif­f­ent les bras comme d’un nageur à bout de souf­fle les écar­tent cherchent à trouer l’ombre la nuit main Lucifer trouée d’air comme tu pouss­es et tires la pointe le grat­toir le burin égratignes grattes érafles griffes écorch­es la plaque ou la donnes à mor­dre puis obstiné soignes ses creux ses scar­i­fi­ca­tions ses cica­tri­ces ses douleurs les encres frottes pour combler les man­ques les comblant les faire appa­raître et longtemps tu frottes pour faire dis­paraître l’encre du métal intact comme je pousse et tire grat­te rature biffe reprend super­pose raye reprends redis­pose pour chercher à faire appa­raître ceci arbres bras branch­es hanch­es ronces corps encres traces voix sirènes traits mots comme un nageur per­du cher­chant son souf­fle la lumière la trouée d’air ou encore la lente ondu­la­tion des algues de la langue du corps qui suit sans qu’on puisse savoir à l’avance com­ment et pourquoi les ten­sions de l’eau sa danse ses remous quand elle heurte les obsta­cles que patiem­ment elle réduit ou quand elle char­rie ses pro­pres obsta­cles et tout en les roulant s’y heurte s’y entoure s’en des­saisit les reprend les écharpe les algues se sai­sis­sent des mem­bres s’y col­lent  s’y enroulent et leur rota­tion va à l’inverse du mou­ve­ment de saisie elles s’y attachent les reti­en­nent et tes mou­ve­ments pour lut­ter con­tre elles don­nent plus de force à leur mou­ve­ment il faut se laiss­er aller suiv­re leur force accepter leur dessin aller dans son sens se don­ner force de leur force en aban­don­nant les gestes de sa main à la ten­sion de la plaque aux traits antérieurs aux mou­ve­ments du regard à la rota­tion de la presse qui essuie le papi­er dans ses langes et l’encre dans le papi­er aux bruits assour­dis de la langue à ses remous quand elle char­rie ses pro­pres obsta­cles et tout en les roulant s’y heurte s’y enroule s’en écharpe s’en des­saisit s’y retrou­ve et sans cesse s’y perd pour en naître comme en ceci où sour­de­ment dansent arbres bras branch­es hanch­es ronces corps encres traces voix sirènes traits mots 

 

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TRAVERSÉE DU TRAPÈZE

 

Pour Daniel Farioli

 

Pous­sant la porte entre­bâil­lée je m’ou­vre à l’as­saut des peu­ples de la mer Ils se pressent grouil­lantes mul­ti­tudes der­rière la sur­face de l’eau si aucun cri ne sort de leurs bouch­es c’est soit que leurs voix sont cou­vertes par l’empire impa­vide de l’eau soit que leur éton­nement ou leur douleur se for­gent dans des zones où ni le temps ni le bruit n’ont prise Dans l’en­tre­bâille­ment de la porte de l’eau je me livre à l’as­saut des peu­ples de la mer C’est le frémisse­ment infin­i­ment figé l’équili­bre pré­caire où se sta­bilisent les ten­sions où elles s’a­paisent c’est le lieu où dans l’en­tre­bâille­ment des yeux court le fil ténu où le monde s’in­verse entre eau et ciel l’un à l’autre s’ou­vrant ou s’en­trou­vrant Hori­zon C’est le frémisse­ment infin­i­ment figé l’équili­bre pré­caire où les ten­sions s’a­paisent là où les regards d’en haut et ceux d’en bas se croisent entre l’eau qui se ressuie et celle qui indéfin­i­ment retirée  en son mou­ve­ment se fige Entre l’eau trem­bleuse qui boit les reflets pâles de l’à fresque et celle qui durcit ses cha­toiements dans la sourde lueur des mosaïques c’est le bord qui se mire et s’in­verse où gisent au plus pro­fond des miroirs silen­cieux tous les corps des enfants que nous fûmes Pous­sant la porte entre­bâil­lée je suis assail­li par la fureur de souf­fles chargés de pous­sières et d’odeurs étrangères La mer char­rie le linceul de Leu­cate où dansent des ombres pâlies aux seins de vio­lettes elle roule vineuse des corps irradiés de la lueur d’îles pier­reuses Voici l’aube et près du bord où des caress­es pleines de larmes par­courent des ombres mourantes je file ces mots de sable mesure d’un temps qui entre l’eau de la fresque et celle de la mosaïque se fige dans l’in­ter­valle d’un cligne­ment de l’oeil

 

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FANTAISIE DE LA MANGROVE

 

Pour Jean Marie Cartereau

 

 dans ce monde incer­tain qui grouille comme au creux de mon crâne dans une indé­ci­sion de limbes ce qui est dit aus­si qu’autre chose pour­rait être que toute chose pour­rait être autre évidem­ment puisque je pour­rait être l’autre ou un autre

dans ce monde comme au creux de mon crâne ou au creux du crâne autre au cœur du plexus des vis­cères ce qui remue est indé­cis c’est dedans dit-on mais dedans dit aus­si que toute chose pour­rait être du dedans ou du dehors comme je qui pour­rait être cet l’intime ou l’ailleurs et l’en dehors de soi comme l’est ce crâne mul­ti­ple dans lequel chaque je infin­i­ment baigne immen­sé­ment la langue nos langues

dans les limbes espace creux qui n’est ni vie ni mort ni salut ni perdi­tion « ce qui n’est pas » déjà  grouille comme allant être ce qui fut n’est pas encore dis­sout mais déjà autre ou pas encore là mais déjà créant le vide de sa non encore appari­tion c’est cet espace dont on dit qu’il est l’innocence là où le pas encore est déjà où le déjà plus remue encore

c’est d’avant tout espace ou d’en dehors du temps l’art se faisant dans son espace et dans son temps pro­pres l’artiste pous­sant de la main des doigts des épaules même l’aiguille de plomb ou d’acier le rameau de char­bon ou la touffe de poils ori­en­tant les ruis­seaux et les tor­rents fugaces qui char­ri­ent les poudres de pier­res d’arbres de fleurs ou de fruits dans la ten­sion et le pro­jet de l’œil comme rivé aux doigts et aux cir­con­vo­lu­tions du cerveau du dedans du cerveau du dehors

tout comme on suit la piste d’un ani­mal il a lais­sé sa trace on ne sait quand elle est là lui ailleurs et la pro­jec­tion de ma vision est telle qu’il est à la fois la per­ma­nence de lui même dans la trace et le sur­gisse­ment de son futur dans mon pro­jet ou même comme on voit aux rid­ules de l’eau l’effacement de l’animal dans le silence des eaux et je dans ce silence encore enfant sans voix mais déjà désir­ant et déjà projetant

c’est suiv­re la piste du pos­si­ble quand au creux de mes crânes limbes grouille le monde et du monde ce que je pour­rait dire et autrement que dire je l’art comme une forme tou­jours autre et ni vie ni mort mais sans cesse pro­jet actant infin­i­ment pos­si­ble projet

 

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ARIA

(Extrait de FATA)

 

Pour Leonar­do Rosa

 

Les morceaux de nuit se retirent dans leurs pro­pres replis
(Ain­si le font les oiseaux dans leurs ailes
Qui s’a­ban­don­nent au sommeil).
L’aube vac­ille et chan­celle, chas­sant les chif­fons d’ombres.

Au dessus des eaux, dans les flu­id­ités ter­reuses qui mon­tent des roseaux immo­bil­isés et des bois flottés,
L’air
Tremble
Encore
Incertain
De l’à peine ébauchée d’un fruit au pre­mier plan
Ou de l’im­prob­a­ble présence d’un mas­sif sus­pendu, dans le loin­tain, à la légèreté des gouttes de lumières.

Bien­tôt les hori­zons se charg­eront de trans­parences bleues;
L’air le plus proche s’échauf­fera progressivement,
Et dans l’or pau­vre des pailles usées par le temps,
Vapeurs lentes des rêves de renaissance,
Se dilateront nos regards.

 

 

 

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VOL INVERSE

Pour Pier­rette Bloch

Oiseau tran­quille au vol inverse  oiseau
qui nid­i­fie en l’air
Guil­laume Apollinaire

 

Atta­quer le vide le
grig­not­er pouss­er la vie lancer
la vie

excrois­sance

là où il n’y avait rien

là où
il aurait pu ne jamais rien exister
et de ma main ser­rant les fibres
et de mes doigts les nouant
creuset
où se con­stru­it la lenteur
la chimie du temps de la lumière de l’e­space et des mots

Ari­ane en tes détours con­stru­is le labyrinthe

ce que tu pièges c’est la mort

végé­ta­tion animale
et ses paus­es mous­sues s’élancent
oublieuses des creux et des sources
nuageuses
res­pi­ra­tion ténue et tenace
postée au seuil du silence

la main
ten­ant la plume sur les chemins de la feuille
ten­ant les fibres

liant le vide
il n’est d’autre canevas que l’in­fi­ni à combler
d’autre méti­er que la main
attentive
postée au seuil du vide
filant l’e­space à l’op­posé des pouces

 

 

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TROUÉES

 

Pour Mar­tin Miguel

 

Écrire les couleurs du monde Regarde tes mains la vie en dépend elles trem­blent Tous les souf­fles retour­nent au bleu ta voix s’enfonce dans ta gorge la caresse de l’air fait un cri l’espace remue Diluer l’espace trou­ble le cri te tra­verse le corps Tor­piller le temps bous­culer les soubasse­ments du monde leur implo­sion pro­duit des musiques pro­fondes te cloue Tu ne sais jamais si tu par­les ou si tu dans une coulure soudaine hantes ta pro­pre mort retournes à l’eau des orig­ines Tu nais des trans­for­ma­tions de tes mains les mots voguent se glacent Tu devais nous dire un jour ce qui t’effraie voici que le monde s’ouvre sous tes mains tu les unis  Mais le pour­rais-tu si elles ne con­te­naient le ciel paumes et doigts joints Ton effroi étouffe les mots tu ser­res en toi le tran­chant et l’acide sans cesse renou­velés la lame et le poinçon Bruit de la mort des mots bour­don­nent au bout des doigts l’aigu et le grave Toutes les couleurs du monde les larmes et les sources effon­drement des voix qui bour­don­nent au bout de nos doigts glaces et buées Tu as recueil­li le sang et les cen­dres Trouant nos langues de con­stel­la­tions Bas­cu­lant l’envol de tes mains émi­ette le cri Pourquoi faut-il qu’écrire soit si hési­tante fron­tière entre vivre et mourir

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