Une fois n’est pas coutume, je vais présenter un auteur qui ne vit plus, hormis dans les mémoires, les archives et les livres. Membre de la Nation Creek, Alexander Lawrence Posey fut parfois comparé à Mark Twain parce qu’aimant faire l’usage d’un langage dialectal avec effet comique. Né en 1873 et mort en 1908, il fut, tel un météore, connu nationalement et internationalement pour ses écrits politico-satiriques rassemblés sous le titre de Fus Fixico letters (les lettres de Fus Fixico). Mais il était aussi poète. Il avait commencé à écrire de la poésie dès ses années d’études et avait vu certaines de ses créations publiées dans divers journaux de l’époque sous le nom de plume de Chinnubee Harjo, Harjo étant le nom de famille de ses ancêtres Creeks.
Influencé par Thoreau, Longfellow, Tennyson et Kipling, ses poèmes, de tonalité romantique, chantent son amour de la nature, cherchent à lire des signes qui s’y cachent et plongent dans la contemplation heureuse de celle-ci. Alexander Posey parlait couramment la langue Creek et maitrisait parfaitement l’Anglais. Il essaya dans ses vers de rendre dans la langue anglaise le rythme et les cadences de la langue creek, ce qui le laissait parfois frustré et insatisfait. Un poème intitulé My Fancy revêt a postériori un caractère prophétique ou divinatoire quand on sait qu’Alexander mourut noyé alors qu’il traversait la Canadian River en crue, pour se rendre avec un ami, de Eufaula, son lieu d’habitation, à Muskogee, chef-lieu administratif du conté.
Song Of The Oktahutchee, Alexander Posey, The Poems of Alexander Lawrence Posey, 1910. Oklahoma sun.
My Fancy
Why do trees along the river
Lean so far out o’er the tide?
Very wise men tell me why, but
I am never satisfied;
And so I keep my fancy still,
That trees lean out to save
The drowning from the clutches of
The cold, remorseless wave.
Ma lubie
Pourquoi les arbres le long de la rivière
Se penchent aussi loin au-dessus du courant ?
Des hommes très sages me disent pourquoi, mais
Je ne suis jamais content ;
Et donc je conserve ma lubie, je prétends
Que les arbres se penchent pour secourir
Les noyés des étreintes du flot,
froid et sans remord.
Alexander Posey est né à Eufaula le 3 août 1873 au sein de la nation Creek, en Oklahoma, d’un père génétiquement « blanc » mais qui se clamait Creek de culture, et d’une mère Creek appartenant à la puissante famille Harjo. Du fait de l’organisation matrilinéaire de la société Creek, Alexander était d’emblée membre de la nation Creek bien que « métis ». Aîné de 12 enfants il reçut une solide éducation ainsi qu’il était de coutume dans les cinq tribus dites civilisées (nations Creek, Cherokee, Chickasaw, Seminole et Choctaw) qui avaient subi dans les années 1830, (malgré une adaptation parfaite aux modes de vie Européens, tout en réussissant à garder leurs langues et cultures Indiennes), la dépossession de leurs riches territoires couplée à une déportation en Oklahoma selon le triste épisode historique nommé la piste des larmes (Trail of Tears).
Agé de 19 ans Alexander Posey s’initia au métier de journaliste en devenant rédacteur du Eufaula Indian Journal alors qu’il complétait ses études à l’université Indienne de Bacone. En 1902 il fit l’acquisition du dit journal et fut le premier Indien à posséder individuellement un organe de presse (la nation Cherokee avait son Phoenix Journal, organe de presse tribal communautaire écrit en langue et alphabet Cherokee), et c’est par le biais de ce journal au tirage quotidien qu’il se fit connaître, aux Etats Unis et ailleurs, comme un journaliste plein d’humour et d’esprit. A peine sorti de l’université, Alexander Posey s’engagea en politique afin de défendre les intérêts de sa communauté Creek. Elu au conseil de la nation Creek à seulement 22 ans, son intelligence, ses qualités oratoires et ses capacités d’écoute en firent un leader parfois contesté mais néanmoins respecté. Jusqu’à la fin il restera fidèle à son engagement et le peuple Creek pleurera sa mort prématurée bien que certains Indiens traditionnalistes aient fait planer quelques soupçons qui donnèrent à la mémoire d’Alexander Posey le statut d’un personnage compliqué. En effet Posey n’était pas hostile à un changement de modes de vie pour les Indiens, on le qualifiait de « progressivist », un progressiste : c’est-à-dire qu’il prônait une part d’adaptation à la société blanche dominante sans quoi il pensait que les Indiens en général et les Creeks en particulier, ne pourraient pas survivre. Cette adaptation était fort compliquée pour les Indiens qui ne comprenaient pas le concept de propriété privée, encore moins quand il s’agissait de terrains ou de fermes. Toute activité immobilière et toute tâche bureaucratique étant d’emblée suspecte aux Indiens traditionnalistes pour qui tout se partageait, tout se « parlait », sans le gage et la garantie de papiers signés en guise de promesse de parole tenue …. promesses que les « blancs » n’hésiteraient pas à bafouer en réécrivant les traités les uns après les autres ou en les ignorant tout simplement.
Alexander Posey, qu’on peut imaginer infatigablement actif sur tous les fronts fut aussi directeur d’un orphelinat Indien. Lui-même et son épouse Minnie Harris, enseignante, eurent par ailleurs quatre enfants.
Deux ans après son décès, sa veuve fera paraître l’essentiel de ses écrits poétiques, écrits délaissés au profit de ses lettres de Fus Fixico écrites de 1902 à 1908. Ces lettres mettent en scène Fus Fixico (qui se traduirait de la langue Creek en français par : Oiseau-dépourvu-de-cœur) discutant avec d’autres personnages fictionnels de la politique nationale et des politiciens de la fin du 19ième et début du 20ième siècle. Le ton est satirique et s’en prend à la façon du gouvernement de régler « les affaires Indiennes ». Lesdites lettres furent largement remarquées, au point que quelques journaux d’audience nationale lui demandèrent de les reproduire. Alexander Posey refusa. Il écrivait pour un public parfaitement conscient du contexte politique des territoires et des réserves Indiennes et il savait que les propos dialectaux rapportés ne seraient pas compris, pas bien traduits. Quant à l’humour irriguant les lettres il ne serait pas perçu comme tel tant les stéréotypes et les esprits occidentaux déformaient la réalité et l’histoire, prétendant mieux savoir que les intéressés qui et comment étaient les « vrais » Indiens !
Dans le poème ci-dessous, Alexander Posey joue avec les symboles. Il utilise la figure du loup que le lecteur occidental associera certainement à la culture Indienne. Mais Posey connaissait la maxime disant que l’homme (blanc) est un loup pour l’homme (rouge), aussi il fait glisser le sens du poème pour que, de l’indien-loup « sauvage, féroce et sinistre », qui résiste aux colons les délogeant et les chassant, on arrive au loup proprement dit, constatant le gâchis, qui pleure la disparition de son frère loup-rouge, hurlant avec le vent son chant funèbre à sa mémoire.
On Viewing the Skull and Bones of a Wolf
How savage, fierce and grim!
His bones are bleached and white.
But what is death to him?
He grins as if to bite.
He mocks the fate
That bade, ‘‘Begone.”
There’s fierceness stamped
In ev’ry bone.
Let silence settle from the midnight sky—
Such silence as you’ve broken with your cry;
The bleak wind howl, unto the ut’most verge
Of this mighty waste, thy fitting dirge.
A regarder le crâne et les os d’un loup
Comme il est sauvage, féroce et sinistre !
Ses os sont javélisés et blanchis.
Mais qu’est-ce que la mort pour lui ?
Il grimace comme s’il mordait.
Il se rit du sort
Qui exige, « hors d’ici »,
De la férocité ancrée
dans chaque os.
Que depuis le ciel de minuit le silence se dépose —
Ce même silence que tu as rompu en pleurant;
austère le hurlement du vent sur le bord extrême
de ce gâchis considérable, ton chant funèbre approprié.
Gâchis consédérable fut aussi la perte des terres (nommées Bald Hill) allouées à la famille Posey qui peu à peu furent démantelées et vendues pour échouer entre les mains de la Palo Alto Land Company. Alex Posey avait espéré que la transition de citoyen de la nation Creek à celui des Etats Unis se ferait en douceur, mais le changement radical des modes de vie plus la pression de l’argent facile en un temps si court avait fait perdre la tête à plus d’un Creek qui ne saisissait pas la notion d’achat et de vente comme quelque chose de définitif. En effet les Indiens se voient comme les locataires de leurs enfants. La terre se prête aux générations qui se succèdent sans jamais appartenir à quiconque. Un territoire est un bien commun dont la communauté dans son ensemble est responsable, sans jamais réclamer rien en privé.
Alex Posey était de cette trempe d’homme pour qui la « sobriété heureuse » était réalité. Idéaliste il avait déclaré : « Aurais-je les millions de Rockefeller je ne possèderai pas les choses couteuses qui ne sont pas nécessaires pour vivre. » Il avait aussi écrit : « le serpent à sonnette quand il a avalé un lapin rampe à l’ombre et est satisfait. Le faucon quand il a attrapé un jeune poulet cesse de voler en cercle au-dessus de la basse-cour et fiche la paix aux vieilles poules. Mais l’homme quand il a rangé assez des biens du monde pour avoir l’estomac plein et le corps vêtu, ici et dans l’au-delà, veut plus et continue d’être prédateur aux dépens de ses frères jusqu’au jour où il mange les pissenlits par la racine. »
D’après les témoignages recueillis et publiés après sa mort, on peut imaginer l’homme public Posey surmené, bourreau de travail, sollicité, généreux de sa personne, attentif au bien être de sa communauté, sincèrement concerné par son sort. Le poète qu’il était avait besoin aussi de moments de solitude, ainsi il écrit :
Mon hermitage
Entre moi et le bruit des conflits
Il y a le mur des montagnes plantés de pins ;
Les sentiers de la vie, poussiéreux, jonchés de soucis
Ne mènent pas à ma retraite.
J’entends le vent matinal s’éveiller
Au-delà des hauteurs violettes,
Et, dans la lumière croissante,
Les clapotis des lys sur le lac.
Je vis avec Echo et avec Chant,
Et Beauté me mène plus loin
Pour voir les colonnades de son temple,
Et longtemps ensemble nous aimons être.
Les montagnes m’emmurent, en entier,
Et m’abandonnent mais avec un peu de bleu
Au-dessus. Toute l’année, les journées sont douces –
Très douces ! Et tout au long des nuits
J’entends la rivière couler
Le long de ses plages sableuses ;
Je contemple le ciel à minuit,
Loin une infinité d’étoiles !
C’est bon, quand tout est calme,
Quand l’obscurité se rassemble tout autour,
D’entendre, de colline en colline,
Le son lointain vagabonder.
Le cèdre et le pin
Ont monté leurs tentes avec moi.
Quelle ample liberté est la mienne !
Que d’espace ! Quel mystère !
Sur la brise du sud rêveuse,
Qui se faufile comme une abeille chargée
Et soupire, cherchant à se reposer parmi les arbres,
Des morceaux de mélodie sont soufflés.
Ô quelles dernières lueurs retient le crépuscule,
Les cieux obscurcis progressent !
Et quelle aube comme rose se déploie,
Qui frappe la colline pour qu’elle chante !
Haut dans la solitude de l’air,
Le faucon gris tourne encore et encore,
Jusqu’à ce que, tel un esprit jaillissant là-bas,
Son image palisse et disparaisse !
Le repos éternel auquel il est fait référence vient de la « croyance » ou encore interprétation de la vie et de la mort selon bien des cultures amérindiennes. Il est dit que l’humanité vient des astres, des étoiles, et qu’une fois mort, l’esprit des humains retourne dans la voie lactée où il retrouve ses ancêtres. Sachant cela, on imagine facilement le lien quotidien que pouvaient cultiver les Indiens avec leurs ancêtres : il suffisait chaque soir, chaque nuit, de regarder le ciel. Mais au-delà de cette référence mythologico-culturelle, l’emploi de l’adjectif éternel porte l’espoir que la nation Creek survivrait à la colonisation et prospérerait de nouveau dans un futur autant infini qu’indéfini.
On Viewing The Skull And Bones Of A Wolf, Alexander Posey How savage, fierce and grim ! All The World’s A Page.
Et l’on peut aisément comprendre aussi qu’Alexandre Posey trouvait dans cette contemplation une forme de repos, cela le régénérait et lui permettait de poursuivre la mission qu’il s’était donnée : accompagner son peuple et l’aider à survivre en milieu hostile, pendant cette période difficile qu’il traversait.
Nightfall
AS evening splendors fade
From yonder sky afar,
The Night pins on her dark
Robe with a large bright star,
And the new moon hangs like
A high-thrown scimitar.
Vague in the mystic room
This side the paling west,
The Tulledegas loom
In an eternal rest,
And one by one the lamps are lit
In the dome of the Infinite.
Tombée de la nuit
ALORS que les splendeurs du soir s’évanouissent
Là-bas depuis le ciel au loin,
La nuit épingle sur sa robe obscure
une grande étoile scintillante,
Et la nouvelle lune est suspendue
Tel un cimeterre haut lancé.
Vague dans l’espace mystique
De ce côté à l’ouest palissant,
Les Tulledegas* planent
Dans un repos éternel,
Et l’une après l’autre les lampes sont allumées
Sous le dôme de l’Infini.
- Tulledegas : nom donné par Alexander Posey aux montagnes (et par extension à la région à l’ouest d’Eufaula), présentes sur la réserve, celles du poème précédent, qui emmurent le poète dans son hermitage.
Pour conclure, je dirai que l’homme politique Alexander Posey, citoyen et leader de la nation Creek n’avait pas la nostalgie des anciens temps glorieux de l’histoire de son peuple au contraire d’écrivains Indiens de son époque tels Zitkala-Sa (aussi appelée Gertrude Bonnin, Sioux) ou encore Charles Easterman (Sioux lui aussi). Il était prêt au changement pourvu que cela maintienne le peuple Creek et sa culture, et qu’il ne prenne pas le chemin de la disparition, celui des « vanishing Indians ». Le poète Alexander Posey était un rêveur amoureux de la nature et toutes ses humeurs qu’il écoutait comme on écoute de la musique. Il avait le style romantique et à ce titre il regrettait les anciens modes de vie Indiens qui exaltent la noblesse et la dignité de l’humanité. Son chef d’œuvre restera son ouvrage en prose, les lettres de Fus Fixico, qui trouveront des imitations et que Posey qualifiera de produit industriel blanc. Elles n’avaient pas le caractère authentique de l’article original. Preuve, s’il en fallait, qu’il vécut attaché à la notion d’identité et qu’il était fier d’être Creek.
From The Vault, Alexander Posey, His world, his land. Mvskoke Media Presents Mvskoke Vision.
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