John Rollin Ridge (Yellow Bird, Cheesquatalawny), né le 19 mars 1827 à New Ecota, alors capitale du pays Cherokee, membre de la nation Cherokee, est le fils de John Ridge et petit-fils de Major Ridge, deux personnages de sinistre mémoire pour certains Cherokees puisqu’ils avaient signé en 1836, sans la présence de tous les leaders Cherokees, le traité de New Ecota .
Ce traité cédait au gouvernement américain le territoire Cherokee à l’est du Mississipi, et cela conduira à la déportation des Cherokees en Oklahoma, un épisode sombre de l’histoire connu sous le nom de « trail of tears », la piste des larmes. Son père avait bénéficié d’une éducation occidentale car Major Ridge avait voulu démontrer aux blancs qu’il était prêt à adopter leurs manières « civilisées », prouver que les Indiens étaient capables de faire aussi bien dans tous les domaines que n’importe quel occidental. Le père de John Rollin épousa donc la fille blanche du directeur de la Foreign Mission School où il avait brillamment fait ses études.
John Rollin à l’âge de douze ans, alors qu’il vivait désormais en Oklahoma sur la réserve allouée aux Cherokees, assista au meurtre de son père, meurtre organisé par le leader John Ross, un de ceux qui n’avait pas voulu signer le traité de New Ecota et qui considérait la famille Rigde comme traître à son peuple. Sa mère quitta la réserve avec son fils et partit pour Fayetteville en Arkansas pour se mettre à l’abri. John Rollin fit des études dans des établissements pour « blancs », il étudia le droit et pendant ses études il commença à publier des poèmes, en parallèle il devint juriste.
En 1849, John Rollin Ridge se trouva en présence de David Kell, un sympathisant de John Ross qu’il pensait être impliqué dans le meurtre de son père. Une querelle éclata et John Rollin tua David Kell. Bien que l’argument de l’auto-défense fût recevable, Ridge préféra s’enfuir dans l’état du Missouri pour éviter le procès. L’année suivante il partit en Californie rejoindre les mineurs attirés par la ruée vers l’or, mais la vie de mineur lui déplut, aussi il commença à écrire des poèmes publiés dans des magazines californiens, il rédigea également des essais pour le compte du parti démocrate.
John Rollin Ridge, premier auteur amérindien publié.
Il plaidait contre le racisme et défendait la politique d’assimilation des Indiens d’Amérique ainsi que son père l’avait fait ; comme ignorant la réalité des traités non respectés, il semblait encore faire confiance au gouvernement américain malgré les violations des droits des Indiens. Plus tard ses prises de position seront critiquées, en effet John Rollin Ridge avait possédé des esclaves en Arkansas, et il exprimait son avis que les Indiens de Californie étaient inférieurs aux Indiens d’autres nations ou tribus. Ces contradictions n’empêchèrent pas à son livre The Life and Adventures of Joaquin Murieta de remporter un succès certain. Considéré comme le premier roman écrit par un Indien, ce livre fait le portrait d’un jeune mexicain courageux et travailleur venu tenter sa chance aux Etats Unis. À travers le récit le lecteur prend conscience du racisme régnant, et des lois discriminantes, comme la Foreign Miner’s Tax Law, qui, de fait décourageait les mexicains à devenir mineur, pour eux l’espoir de trouver de l’or ne rimait pas avec fortune. Et ces discriminations menaient certains à la violence, ils basculaient dans le banditisme ainsi que Joaquin, dépeint comme un gentil garçon très respectueux, y compris des femmes, le deviendra.
Cherokee Almanac : John Rollin Ridge.
Après la guerre civile, à la fin des années 1860, John Rollin Ridge ralliera le parti sudiste Cherokee et se rendra à Washington DC pour tenter de renégocier avec le gouvernement, la restitution des territoires Cherokees, car les confédérés avaient promis que les Indiens d’Amérique obtiendraient un état qui leur serait propre s’ils gagnaient la guerre… encore une promesse en l’air, jamais le peuple Cherokee, ni aucun autre peuple Indien, ne fut autorisé à créer un état indépendant. Par ailleurs, John Rollin Ridge blâmait les abolitionnistes d’avoir provoqué la guerre et il était opposé au président Lincoln.
Pendant des années il occupera le poste de rédacteur au journal Daily National en Californie. Il mourra le 5 octobre 1867, seulement âgé de quarante ans. Sa veuve fera publier ses derniers poèmes à titre posthume chez Henry Payot & Company.
La poésie de Ridge est qualifiée de romantique, elle laisse transparaître la difficulté de vivre avec une double identité, une double culture. Clamant son identité Cherokee, ne cherchant pas à l’effacer, il était pourtant favorable à la politique d’assimilation qui tuait cette culture et la langue Cherokee. Le conflit interne permanent est à la source même de son élan poétique. C’est un homme profondément divisé qui dans sa poésie nous fait part de ses espoirs d’unité, aussi bien individuelle qu’à l’échelle du pays : il croit en la promesse de l’expérience démocratique, là où des Indiens plus « clairvoyants » ou plus méfiants avaient compris que la société dominante était profondément raciste et que la « démocratie » telle que pratiquée était inégalitaire. C’est pourquoi le professeur de littérature Edward Whitley, spécialiste de la littérature du 19ième siècle et de Walt Whitman en particulier, a pu dire que John Rollin Ridge était un écrivain « white arboriginal », c’est à dire un Indien blanchi. Il ne fut pas un novateur, il suivit le courant romantique, cherchant à offrir une expérience mystique et transcendantale. Il évoque souvent les formes idéales de la femme, une muse, la mémoire irrévocablement perdue, mais dans le but de donner un sens politique à cette esthétique poétique.
John Rollin Ridge : lieu de sépulture.
“Mount Shasta”, ce poème de John R Ridge, fut publié à plusieurs reprises et dans des journaux qui n’étaient pas destinés à des Indiens d’Amérique. La dernière strophe du poème rend compte des étapes à dépasser pour que la Californie devienne prospère. Ce poème méditatif, lyrique, introduit des thèmes politiques là où un lecteur embarqué dans l’expérience romantique ne l’attendait pas. La figure de cette montagne californienne présentée avec les attributs habituels de majesté est cependant solitaire et glacée, comme indifférente au sort des humains, mais pourtant elle voit, elle a une conscience. Cette montagne deviendra plus loin dans le poème, l’esprit de la loi. Conscient des dérives dues à la ruée vers l’or, John R Ridge croyait en un système légal pur, transparent, impartial, implacable en ce qu’aucune émotion n’y a sa place, et qui élèverait le genre humain vers une vie morale avec des principes de vie héroïques, voire donquichottesque… Mais sachant son appartenance à la nation Cherokee et son implication dans l’assimilation des Indiens et autres cultures émigrées aux USA, il lui fallait cette croyance d’une contrepartie moderne à l’abandon de valeurs tribales, bien souvent pas moins morales ou éthiques, pas moins démocratiques, d’ailleurs !
MOUNT SHASTA
Behold the dread Mt. Shasta, where it stands
Imperial midst the lesser heights, and, like
Some mighty unimpassioned mind, companionless
And cold. The storms of Heaven may beat in wrath
Against it, but it stands in unpolluted
Grandeur still; and from the rolling mists upheaves
Its tower of pride e’en purer than before.
The wintry showers and white-winged tempests leave
Their frozen tributes on its brow, and it
Doth make of them an everlasting crown.
Thus doth it, day by day and age by age,
Defy each stroke of time: still rising highest
Into Heaven!
Aspiring to the eagle’s cloudless height,
No human foot has stained its snowy side;
No human breath has dimmed the icy mirror which
It holds unto the moon and stars and sov’reign sun.
We may not grow familiar with the secrets
Of its hoary top, whereon the Genius
Of that mountain builds his glorious throne!
Far lifted in the boundless blue, he doth
Encircle, with his gaze supreme, the broad
Dominions of the West, which lie beneath
His feet, in pictures of sublime repose
No artist ever drew. He sees the tall
Gigantic hills arise in silentness
And peace, and in the long review of distance
Range themselves in order grand. He sees the sunlight
Play upon the golden streams which through the valleys
Glide. He hears the music of the great and solemn sea,
And overlooks the huge old western wall
To view the birth-place of undying Melody!
Itself all light, save when some loftiest cloud
Doth for a while embrace its cold forbidding
Form, that monarch mountain casts its mighty
Shadow down upon the crownless peaks below,
That, like inferior minds to some great
Spirit, stand in strong contrasted littleness!
All through the long and Summery months of our
Most tranquil year, it points its icy shaft
On high, to catch the dazzling beams that fall
In showers of splendor round that crystal cone,
And roll in floods of far magnificence
Away from that lone, vast Reflector in
The dome of Heaven.
Still watchful of the fertile
Vale and undulating plains below, the grass
Grows greener in its shade, and sweeter bloom
The flowers. Strong purifier! From its snowy
Side the breezes cool are wafted to the “peaceful
Homes of men,” who shelter at its feet, and love
To gaze upon its honored form, aye standing
There the guarantee of health and happiness.
Well might it win communities so blest
To loftier feelings and to nobler thoughts—
The great material symbol of eternal
Things! And well I ween, in after years, how
In the middle of his furrowed track the plowman
In some sultry hour will pause, and wiping
From his brow the dusty sweat, with reverence
Gaze upon that hoary peak. The herdsman
Oft will rein his charger in the plain, and drink
Into his inmost soul the calm sublimity;
And little children, playing on the green, shall
Cease their sport, and, turning to that mountain
Old, shall of their mother ask: “Who made it?”
And she shall answer,—“GOD!”
And well this Golden State shall thrive, if like
Its own Mt. Shasta, Sovereign Law shall lift
Itself in purer atmosphere—so high
That human feeling, human passion at its base
Shall lie subdued; e’en pity’s tears shall on
Its summit freeze; to warm it e’en the sunlight
Of deep sympathy shall fail:
Its pure administration shall be like
The snow immaculate upon that mountain’s brow!
∗∗∗
Voyez le redoutable Mt Shasta, il se tient
Impérial au milieu de moins hauts sommets, solitaire et
Froid, comme quelque esprit non passionné.
Les tempêtes du ciel peuvent le frapper
Furieusement, mais avec grandeur il se dresse immobile
Vierge ; et depuis le roulis des brumes il élève
Sa fière tour encore plus pure qu’avant.
Les averses d’hiver et les tempêtes aux ailes blanches laissent
Leurs tributs gelés sur son front, et lui
Font une couronne éternelle.
Donc jour après jour, âge après âge, faites-le
Défiez chaque coup du temps tout en vous élevant,
Le plus haut dans le ciel !
Aspirant à l’altitude sans nuage de l’aigle
Aucun pied humain n’a souillé son flanc neigeux ;
Aucun souffle humain n’a embué le miroir glacé qu’il
Tend à la lune, aux étoiles et au soleil souverain.
Les secrets de son sommet chenu ne nous deviennent
Peut-être pas familiers, sommet sur lequel le Génie
De cette montagne construit son trône glorieux !
Loin soulevé dans le bleu infini, il
Encercle, de son regard suprême, les vastes
Territoires de l’ouest, qui s’étendent sous
Ses pieds, en des tableaux de sublime repos
Qu’aucun artiste n’a jamais dessiné il voit les collines
Gigantesques paisiblement se dresser
En silence, et qui dans la longue distance
Se rangent par ordre de grandeur. Il voit la lumière solaire
Jouer sur les torrents dorés glissant
Par les vallées. Il entend la musique de la grandiose mer solennelle
Et surplombe l’immense vieux mur occidental
Pour regarder le berceau de la Mélodie éternelle !
Lui-même toute lumière, sauf quand un très auguste nuage
Étreint quelque temps l’interdiction qu’est sa forme
Froide, cette montagne monarque répand son ombre
Puissante sur les pics plus bas,
Qui, comme des intellects inférieurs à quelque grand
Esprit, par contraste se montrent dans leur petitesse !
Tout au long des mois estivaux de notre
Année la plus paisible, il pointe son axe glacé
En l’air, pour saisir les rayons étincelants qui tombent
En pluies de splendeur autour de ce cône en cristal,
Au loin elles roulent en flots de magnificence,
A l’écart de ce vaste Réflecteur solitaire dans
Le dôme du ciel
Immobile sentinelle surveillant le val
Fertile et les plaines ondoyantes en dessous, l’herbe
Se fait plus verte. Dans son ombre, douce éclosion
Les fleurs. Purifiants puissants ! Depuis ses flancs
Neigeux les brises froides sont dispersées vers les « foyers
Paisibles des hommes », qui abritent à ses pieds, et aiment
Observer sa forme vénérée, oui là
Réside la garantie de la santé et du bonheur.
Puisse-elle gagner les communautés bénies
À des sentiments et à des pensées plus nobles—
Le merveilleux matériel symbole des choses
Éternelles ! Et je devine bien comment, dans les années futures
Le laboureur à l’heure suffocante au milieu
Du sillon de son champs fera une pause, il essuiera
La poussière à son front, et avec révérence
Il admirera ce pic vénérable. Le gardien de troupeau
Freinera sa monture dans la plaine, et abreuvera
Son âme la plus intime du calme sublime ;
Et les petits enfants, jouant sur la pelouse s’arrêteront
De pratiquer leur sport, et se tournant vers cette vieille
Montagne demanderont à leur mère : Qui l’a créée ?
Elle répondra — « Dieu ! »
Cet état doré prospèrera, si comme
Son mont Shasta, la loi souveraine se soulève
Dans une atmosphère plus pure—si haute
Que le sentiment humain, la passion humaine à sa racine
Reposeront domptés ; même des larmes de pitié sur
Ses sommets gèleront ; même le soleil de profonde
Sympathie échouera à le réchauffer :
Sa pure législation sera comme
La neige immaculée sur le front de cette montagne !
Pour continuer dans le registre nostalgique et pour souligner le déchirement d’un être hybride, Indien mais cherchant à satisfaire les critères occidentaux pour se faire accepter dans une société hypocrite faisant semblant de promouvoir l’intégration alors qu’elle est fondamentalement raciste, voici cette « chanson » de la douce jeune-fille Indienne. Rêve romantique et refuge pour celui qui regrette certainement certaines valeurs et une qualité de la vie « à l’Indienne », tout en reconnaissant sa perte tant la vision du poète ne voit possible qu’une petite île pour sauver la part Indienne et de son être et de l’Amérique en entier.
SONG — SWEET INDIAN MAID
Oh come with me, sweet Indian maid,
My light canoe is by the shore —
We’ll ride the river’s tide, my love,
And thou shalt charm the dripping oar.
Methinks thy hand could guide so well
The tiny vessel in its course;
The waves would smooth its crests to thee,
As I have done my spirit’s force.
How calmly will we glide, my love,
Thro’ moonlight drifting on the deep,
Or, loving yet the safer shore,
Beneath the fringing willows creep!
Again like some wild duck we’ll skim,
And scarcely touch the water’s face,
While silver gleams our way shall mark,
And circling lines of beauty trace.
And then the stars shall shine above
In harmony with those below,
And gazing up and looking down,
Give glance for glance, and glow for glow.
And all their light shall be our own,
Commingled with our souls, and sweet
As are those orbs of bliss shall be
Our hearts and lips that melting meet.
At last we’ll reach you silent isle,
So calm and green amidst the waves, —
So peaceful, too, it does not spurn
The friendly tide its shore that laves.
We’ll draw our vessel on the sand,
And seek the shadow of those trees,
Where all alone and undisturbed,
We’ll talk and love as we may please.
And then thy voice will be so soft
‘T will match the whisper of the leaves,
And then thy breast shall yield its sigh
So like the wavelet as it heaves!
And oh! That eye so dark and free,
So like a spirit in itself!
And then that hand so sweetly small
It would not shame the loveliest elf!
The world might perish all for me,
So that it left that little isle;
The human race might pass away,
If thou remainedst with thy smile.
Then haste, mine own dear Indian maid,
My boat is waiting on its oar;
We’ll float upon the tide, my love,
And gaily reach that islet’s shore.
∗∗∗
Oh viens avec moi, douce jeune-fille Indienne
Mon canoé léger est près de la rive —
Nous chevaucherons le courant de la rivière, mon amour,
Et tu charmeras la rame ruisselante.
Il me semble que ta main pourrait si bien guider
La course de ce petit vaisseau ;
Les vagues adouciraient leurs crêtes pour toi,
comme je l’ai fait pour la force de mon esprit.
Comme nous glisserons calmement, mon amour,
À la lueur de la lune dérivant sur l’eau profonde,
Ou, préférant la berge plus sûre,
Sous les saules rampants !
Comme des canards sauvages nous frôlerons,
Et rarement toucherons le visage de l’eau,
Alors que des rayons d’argent marqueront notre passage,
Et des lignes concentriques de beauté traceront.
Et puis les étoiles au-dessus brilleront
En harmonie avec celles dessous,
Regardant en haut et en bas,
Echangeront coup d’œil pour coup d’œil, brillance pour brillance.
Alors toute leur lumière sera la nôtre,
Emmêlée à nos âmes, et aussi doux
Que ces cercles bénis seront nos
Cœurs et lèvres qui fondant se rencontreront.
Enfin nous t’atteindrons île silencieuse,
Si calme et verte au milieu des vagues, —
Si paisible aussi, elle ne rejettera pas
Le courant qui lave amicalement ses berges.
Nous tirerons notre vaisseau sur le sable,
Chercheront l’ombre des arbres,
Là-où seuls et tranquilles
Nous parlerons et aimerons autant qu’il nous plaira.
Ensuite ta voix sera si basse
Qu’elle coïncidera avec le murmure des feuilles,
Ensuite ta poitrine rendra son soupir
Pareille à la vaguelette quand elle se soulève !
Oh ! Cet œil si sombre et libre,
Si pareil à un esprit !
Et puis cette main si douce et petite
Qu’elle ne ferait pas honte au plus adorable des elfes !
Le monde entier pourrait périr,
S’il ne me laissait que cette petite île ;
Le genre humain pourrait mourir,
Si tu restais arborant ton sourire.
Donc hâte-toi, ma chère jeune-fille Indienne,
Mon bateau et ses rames attendent ;
Nous flotteront sur le courant, mon amour,
Et gaiement atteindrons les rivages de l’île.
La poésie sans nul doute a joué un rôle thérapeutique dans la courte vie de John Rollin Ridge, capable de transformer l’historique et les traumas, personnels ou impersonnels, en une expérience de beauté et de vérité. Le premier vers du poème ci-dessous fait référence aux paroles de Moïse disant : « j’ai été un étranger en terre étrangère », mais cela est aussi la vérité inscrite, non sans une certaine amertume si l’on en croit certaines déclarations, dans la chair même du poète, qui à plusieurs reprise a dû déménager, a dû quitter le territoire Cherokee et se mêler à une société qui ne voulait pas de lui malgré ses efforts d’intégration et sa relative réussite sociale. D’où un mouvement de nostalgie parfois en pensant au temps de son enfance heureuse à New Ecota. Ridge rêvait d’un territoire Cherokee indépendant gouverné par des Cherokees qui auraient abandonné certaines de leurs coutumes pour adopter certaines mœurs occidentales considérées comme progressistes. Mais ainsi qu’il l’a écrit, en plus des politiques militaires impitoyables menées par le gouvernement, il y avait des conflits entre les Cherokees eux-mêmes : « to see the fire-brand of discord and contention hurled in their midst, to blast and whither their energies and almost effectually to cancel all the good which they had wrought themselves, was truly a painful contrast, and a heartrending sight. »(Constater les brandons de la discorde et de la tension précipités en leur sein, pour faire exploser et affaiblir leurs énergies, et suffisamment efficacement pour annuler tout le bon qu’ils avaient forgé eux-mêmes, contrastait douloureusement et ce fut véritablement une vision déchirante)
THE HARP OF BROKEN STRINGS
A STRANGER in a stranger land,
Too calm to weep, too sad to smile,
I take my harp of broken strings,
A weary moment to beguile;
And tho no hope its promise brings,
And present joy is not for me,
Still o’er that harp I love to bend,
And feel its broken melody
With all my shattered feelings blend.
I love to hear its funeral voice
Proclaim how sad my lot, how lone;
And when, my spirit wilder grows,
To list its deeper, darker tone.
And when my soul more madly glows
Above the wrecks that round it lie,
It fills me with a strange delight,
Past mortal bearing, proud and high,
To feel its music swell to might.
When beats my heart in doubt and awe,
And Reason pales upon her throne,
Ah, then, when no kind voice can cheer
The lot too desolate, too lone,
Its tones come sweet upon my car,
As twilight o’er some landscape fair
As light upon the wings of night
(The meteor flashes in the air,
The rising stars) its tones are bright.
And now by Sacramento’s stream,
What mem’ries sweet its music brings —
The vows of love, its smiles and tears,
Hang o’er this harp of broken strings.
It speaks, and midst her blushing fears
The beauteous one before me stands!
Pure spirit in her downcast eyes,
And like twin doves her folded hands!
It breathes again — and at my side
She kneels, with grace divinely rare —
Then showering kisses on my lips,
She hides our busses with her hair;
Then trembling with delight, she flings
Her beauteous self into my arms,
As if o’erpowered, she sought for wings
To hide her from her conscious charms.
It breathes once more, and bowed in grief,
The bloom has left her cheek forever,
While, like my broken harp-strings now,
Behold her form with feeling quiver!
She turns her face o’errun with tears,
To him that silent bends above her,
And, by the sweets of other years,
Entreats him still, oh, still to love her!
He loves her still — but darkness falls
Upon his ruined fortunes now,
And ‘t is his exile doom to flee.
The dews, like death, are on his brow,
And cold the pang about his heart
Oh, cease — to die is agony:
‘T is more than death when loved ones part!
Well may this harp of broken strings
Seem sweet to me by this lonely shore.
When like a spirit it breaks forth,
And speaks of beauty evermore!
When like a spirit it evokes
The buried joys of early youth,
And clothes the shrines of early love,
With all the radiant light of truth!
∗∗∗
La harpe aux cordes cassées
ÉTRANGER en terre étrangère,
Trop calme pour sangloter, trop triste pour sourire,
Je prends ma harpe aux cordes cassées,
Un moment d’épuisement à envoûter ;
Et bien qu’aucun espoir sa promesse n’apporte,
Et que la joie ambiante ne soit pas pour moi,
Immobile au-dessus de cette harpe j’aime me pencher
Éprouver sa mélodie brisée
De tous mes sentiments éclatés mélangés.
J’aime entendre sa voix funèbre
Proclamer combien mon sort est triste, combien solitaire ;
Et quand mon esprit se fait plus sauvage,
J’aime référencer son ton plus sombre, plus profond.
Et quand mon âme plus follement luit
Au-dessus des épaves gisantes qui l’entourent,
Au-delà de la position mortelle, haute et fière,
Pour ressentir sa musique monter en puissance,
Je suis rempli d’un étrange plaisir.
Quand mon cœur bat de doute et de crainte,
Que la raison pâlit sur son trône,
Alors, quand aucune voix douce ne peut réconforter
Le bien trop désolé, trop seul,
Ces tonalités m’arrivent tendres sur ma voiture
Comme le crépuscule sur un paysage clair,
Comme la lumière sur les ailes de la nuit
(Le météore étincelle en l’air,
Les étoiles s’élèvent) ces tonalités sont brillantes.
Et maintenant au bord du torrent de Sacramento,
Quels doux souvenirs sa musique procure —
Les vœux d’amour, ses sourires et ses larmes,
Sont suspendus au-dessus des cordes cassées de la harpe.
Elle parle, et au milieu de ses peurs, rougissante
La splendide se tient devant moi !
Pur esprit dans ses yeux découragés,
Et comme deux colombes ses mains pliées !
De nouveau elle respire—et à côté de moi
Elle s’agenouille, avec une rare grâce divine—
Puis une pluie de baisers sur mes lèvres,
Elle cache nos bisous de ses cheveux ;
Ensuite tremblant de délice, elle jette
Son être splendide dans mes bras,
Comme si surpuissantes, elle cherchait des ailes
Pour la cacher de ses charmes conscients.
Elle respire encore une fois, courbée par le deuil,
L’éclat a quitté ses joues définitivement,
Tandis que, ainsi que mes cordes de harpe cassées maintenant,
Il contemplait sa forme en frissonnant !
Elle tourne son visage inondé de larmes,
Vers lui afin que le silencieux se penche au-dessus d’elle,
Et au nom des douceurs d’autres années,
Elle le supplie encore, oh, de l’aimer encore !
Il l’aime encore—mais l’obscurité tombe
Sur ses chances à présent ruinées,
Et c’est son exil condamné à fuir.
Les rosées, comme la mort, déposées sur son front,
Et froide la sensation de son cœur
Oh, cesse—mourir est agonie :
C’est plus que la mort quand les bienaimés partent !
Alors puisse cette harpe aux cordes cassées
Me sembler douce sur cette rive désolée.
Quand tel un esprit elle point,
Et de plus en plus parle de beauté !
Quand tel un esprit elle évoque
Les joies enfouies de la prime jeunesse,
Et habille les autels d’un amour précoce
De toute l’éclatante lumière de la vérité !
Si la harpe aux cordes cassées représente le pays Cherokee désormais dépecé et distribué aux colons, si elle représente les différentes tendances conflictuelles au sein du peuple Cherokee, ou encore si elles représentent la culture Cherokee qui du fait de la déportation en Oklahoma n’a plus les moyens de prospérer et de faire entendre son chant unique, on peut parier que le « sacrifice » de John Rollin Ridge, le choix politique de son père et grand-père, ne lui ont pas apporté la paix souhaitée. Reste à louer une attitude qui ne cherche pas à se présenter comme victime mais qui essaie de chercher une solution pour l’avenir, bien que secrètement, regrettant le passé.
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