Regard sur la poésie « Native American », Mary Leauna Christensen, une jeune et nouvelle voix

Par |2024-09-06T06:08:25+02:00 6 septembre 2024|Catégories : Essais & Chroniques, Mary Leauna Christensen|

Texte et tra­duc­tions de Béa­trice Machet.

Remer­ciements aux revues et à l’autrice pour leur aimable autori­sa­tion à repro­duire les poèmes.

Mary Leau­na Chris­tensen, mem­bre de la nation Chero­kee, est chargée de cours à l’U­ni­ver­sité du Ten­nessee (Knoxville). Elle a vécu dans les déserts du sud-ouest et dans les Appalach­es. Elle a tou­jours pour­suivi des activ­ités artis­tiques y com­pris  lorsqu’elle était enfant. Elle a été par­ti­c­ulière­ment encour­agée par un de ses enseignants qui a appelé ses par­ents pour leur dire que leur fille était une jeune écrivaine talentueuse. 

Tout au long de son ado­les­cence, Chris­tensen a souf­fert de retards d’élo­cu­tion ou encore de dépres­sion, mais a tou­jours trou­vé du récon­fort dans l’écri­t­ure. À l’université, elle est tombée amoureuse de la poésie, réal­isant que la poésie était bien plus que ce qui est habituelle­ment enseigné dans les lycées. Elle a trou­vé l’ouverture d’une porte et le début de son prop­tre chemin dans le livre Native Guard de Natasha Trethewey (prix Pulitzer de poésie en 2007), qui explore la com­plex­ité d’une iden­tité métisse à tra­vers la poésie. Chris­tensen se sert de la poésie pour l’aider à com­pren­dre et à par­ler de sa pro­pre iden­tité, à don­ner un sens à des émo­tions com­plex­es et à digér­er les décès qui ont touché sa famille. Elle a obtenu un doc­tor­at en Anglais  (Cre­ative Writ­ing, Poet­ry) à l’université du Mis­sis­sipi du sud. Elle est rédac­trice en chef du mag­a­zine lit­téraire The Swamp. Son tra­vail et ses poèmes peu­vent être con­sultés et lus dans New Ohio Review, Puer­to del Sol, Cream City Review, The Lau­rel Review, South­ern Human­i­ties Review et Den­ver Quar­ter­ly. En 2022, elle a reçu une bourse auprès des poètes des nations autochtones afin de par­ticiper à la retraite inau­gu­rale In-Na-Po (Indi­an Nation Poet­ry, dont Kim Blaeser est la direc­trice), et elle a par­ticipé à la deux­ième retraite en 2023. 
L’une de ses pistes de tra­vail con­cerne les inter­sec­tions entre les écrits élégiques et les textes hybrides, en par­ti­c­uli­er la manière dont les deux s’entrecroisent dans les écrits des auteurs amérin­di­ens. Lors d’une inter­ven­tion auprès d’étudiants elle a déclaré : « If you include Native thought or Indige­nous lan­guages, you’re still hybridiz­ing it because we’re not sup­posed to be here. » (Si vous incluez la pen­sée autochtone ou les langues autochtones dans vos écrits, vous con­tin­uez à les hybrid­er parce que nous, les Indi­ens d’Amérique,  ne sommes pas cen­sés être ici ».

Quand on la ques­tionne sur l’éducation don­née aux Etats Unis aux ado­les­cents elle répond : « I wish high schools would intro­duce more con­tem­po­rary poet­ry in the cur­ricu­lum. Very lit­tle poet­ry is worked into high school cur­ricu­lums and usu­al­ly the poet­ry that is, is writ­ten by long-dead white men, which is a very nar­row scope of poet­ry. And I feel like it can make poet­ry seem dif­fi­cult or even inac­ces­si­ble to a lot of peo­ple. So I would have loved to have read more con­tem­po­rary poet­ry as a young adult. (Et j’aimerais que les lycées intro­duisent davan­tage de poésie con­tem­po­raine dans leurs pro­grammes. Très peu de poésie est inté­grée aux pro­grammes d’é­tudes des lycées et, générale­ment, la poésie pro­posée est écrite par des hommes blancs morts depuis longtemps, ce qui con­stitue un champ très restreint de la poésie. Et j’ai l’impression que cela peut ren­dre la poésie dif­fi­cile, voire inac­ces­si­ble, à beau­coup de gens. J’aurais donc adoré lire davan­tage de poésie con­tem­po­raine en tant que jeune adulte.)

À pro­pos de son enfance, Mary Leau­na Chris­tensen, comme nom­bre des amérin­di­ens métis, recon­naît que c’est la part indi­enne de son édu­ca­tion et de son iden­tité qui l’ont le plus mar­quée ; elle con­fie ceci : « I was raised by the non-white side of my family.In my ear­ly life, grow­ing up, books were real­ly expen­sive for us so I didn’t real­ly get new books. It was like a treat if I ever got a book. I was lucky enough that my grand­moth­er would take me to the pub­lic library a lot when I was very small, and that helped. That, like, gave me this love of read­ing and lat­er mor­phed into my love of writ­ing. » (J’ai été élevée par le côté non blanc de ma famille. Au début de ma vie, en gran­dis­sant, les livres étaient très chers pour nous, donc je n’avais pas vrai­ment de nou­veaux livres. C’é­tait un bon­heur si jamais j’avais un livre. J’ai eu la chance que ma grand-mère m’emmène sou­vent à la bib­lio­thèque publique quand j’é­tais toute petite, et cela m’a aidée. Cela m’a don­né cet amour de la lec­ture et qui s’est ensuite trans­for­mé en mon amour de l’écri­t­ure.) Il faut dire que la grand-mère de Mary était née et avait vécu sur la réserve Chero­kee. Si les Appalach­es, situées au nord-ouest de l’état de Car­o­line du nord, ont telle­ment d’importance dans la vie et les écrits de Mary, c’est parce qu’elles se trou­vent à 45 min­utes de la réserve où cette grand-mère Chero­kee avait gran­di. Se trou­ver dans les Appalach­es et y vivre c’était pour elle la chance de vivre au con­tact de cette cul­ture, la sienne, d’en faire une véri­ta­ble expéri­ence alors qu’en d’autres endroits plus urbains ce n’était pas pos­si­ble. En con­séquence Mary Leau­na Chris­tensen a beau­coup écrit sur les Appalach­es, sur le fait d’être métis et amérin­di­enne, sur l’importance de se sen­tir appartenir, et d’être con­nec­tée à un lieu. 

Voici un poème où elle s’addresse à cette grand-mère :

 

Grand-mère/ je veux causer de l’inconfort/ ser­rer ces os anguleux/ entre la chaleur et l’accoudoir de Ton fauteuil/ dis-moi que je Te pince la jambe/ per­me­ts-moi de rester/ immobile/ je rêve de neu­tres salis/ fau­teuil tis­sé du sud-ouest/ acheté à un cousin d’Arizona / avec une maison/ aus­si grande qu’un enfant pou­vait l’imaginer/ je rêve même du drap/ drapé sur la chaise/ de décen­nies de chiens grat­tant leur dîner/ dans son coussin/ redis-le moi/ je suis têtue/ dis-moi de bouger/ dis que j’ai trop grandi/ Tu as rem­placé la chaise/ par une autre d’occasion/ trop étroite pour notre corps/ seule­ment maintenant/ sans Toi ici/ puis-je m’asseoir sur cette chaise/ mon dos appuie sur un rem­bour­rage raide/ comme Toi/ je lève ma jambe gauche / pour la repos­er sur la table basse

Je me suis égarée si loin de toi
je me suis mus­clée   retournée dans ton fau­teuil   lovée sur tes genoux
tu me dis de bouger

je te pince la jambe

 

À pro­pos de son tra­vail d’éditrice, Mary affirme ceci :

« I like being able to imag­ine myself in the writ­ing, be that a poem that is set in a spe­cif­ic town or a poem that feels very set­tled into an emo­tion or even like a strange lim­i­nal space. I want to be able to inhab­it that piece. But for me, “place-based” doesn’t nec­es­sar­i­ly mean that it’s from like Asheville, North Car­oli­na, June 5th, 1997, or some­thing like that. »  (J’aime pou­voir m’imag­in­er dan­sce qui est écrit, qu’il s’agisse d’un poème qui se déroule dans une ville spé­ci­fique ou d’un poème qui sem­ble très ancré dans une émo­tion ou même comme dans un étrange espace lim­i­nal. Je veux pou­voir habiter cet écrit. Mais pour moi, « basé sur le lieu » ne sig­ni­fie pas néces­saire­ment que cela vient d’A­sheville, en Car­o­line du Nord, le 5 juin 1997, ou quelque chose comme ça.)

Le poème suiv­ant illus­tre ce que dis­ent qua­si­ment tous-tes les auteurs-tri­ces amérin­di­ennes, à savoir que pour eux pren­dre la parole c’est con­vo­quer la présence des ancêtres. Et faire acte de présence, s’affirmer en con­science, en sachant qui l’on est et d’où l’on vient, c’est encore une autre façon de con­vo­quer les ancêtres, c’est recon­naître et vivre dans sa chair qu’en soi-même il y a beau­coup d’eux.

I Tell a Friend 

Pub­lished in South­ern Human­i­ties Review

it was nice to be tak­en care of/ say I dozed off with my hand in the nail tech’s/ as she spoke about her sons/ as she shaped my nails almond & paint­ed tiny landscapes/ just on the ring fingers/ I joke that all my fin­gers are ring fingers/ shim­my my hands to flash/ ster­ling sil­ver turquoise wampum/ my grand­moth­er pur­chased sev­er­al of the rings/ at the PIMC giftshop/ she knew the nurses/ once girls at the Phoenix Indi­an School/ where my grand­moth­er worked/ after leav­ing her rez/ after mar­ry­ing a man with the last name Nuñez/ every December/ she wres­tled a large met­al tub from the garage/ rem­nant of the school’s cafeteria/ in the tub large enough to be an incubator/ she’d mix masa well by hand/ I’d watch/ when I was born/ a nurse said / pity an Indi­an baby so white/ I chewed my nails to the quick & then tore at the quick/ now self-care/ or my nails cost so much/ I can’t afford the ruin/ I joke I am a bird/ attract­ed to glistening/ am told my rings are typ­i­cal Indi­an/ I buried a ring in the lin­ing of my grandmother’s casket/ adjust­ed the engage­ment ring/ on my mother’s cold finger/ my nails long almond shaped/ my wrists widen­ing with age/ what I’m try­ing to say/ is when I look at my hands/ they’re not mine

Je dis à un ami

Pub­lié dans South­ern Human­i­ties Review

c’é­tait agréable d’être soignée/ dis­ons que je me suis assoupie avec ma main dans celle de la manucure/ pen­dant qu’elle par­lait de ses fils/ pen­dant qu’elle façon­nait mes ongles en amande et peignait de minus­cules paysages/ juste sur les annulaires/ je plaisante en dis­ant que tout mes doigts sont des annulaires/ agite mes mains pour l’éclat / wampum turquoise en argent sterling*/ ma grand-mère a acheté plusieurs bagues/ à la bou­tique de cadeaux PIMC/ elle con­nais­sait les infirmières/ autre­fois élèves à l’é­cole indi­enne de Phoenix/ où ma grand-mère travaillait/ après avoir quit­té la rez*/ après avoir épousé un homme du nom de Nuñez/ chaque mois de décembre/ elle récupérait une grande cuve en métal du garage/ ves­tige de la cafétéria de l’école/ dans la cuve assez grande pour servir d’incubateur/ elle mélangeait soigneuse­ment la masa* à la main/ Je regardais/ quand je suis née/ une infir­mière a dit / ayez pitié d’un bébé indi­en si blanc/ je me rongeais les ongles jusqu’au bout, puis je les déchi­rais jusqu’au sang/ main­tenant je prends soin de moi/ sinon mes ongles coû­tent telle­ment cher/ Je ne peux pas me per­me­t­tre leur ruine/ Je blague en dis­ant que je suis un oiseau/ attiré par ce qui brille/ on me dit que mes bagues sont typ­ique­ment indi­ennes/ J’ai enter­ré une bague dans la dou­blure du cer­cueil de ma grand-mère/ j’ai ajusté la bague de fiançailles/ sur le doigt froid de ma mère/ mes ongles sont longs en forme d’amande/ mes poignets s’élar­gis­sent avec l’âge/ ce que j’es­saie de dire/ c’est que quand je regarde mes mains/ ce ne sont pas les miennes

 

*L’argent ster­ling est un alliage d’ar­gent con­tenant 92,5 % en poids d’ar­gent et 7,5 % en poids d’autres métaux, générale­ment du cuivre.
*Rez: abre­vi­a­tion util­isée par les Indi­ens pour « reser­va­tion », la reserve donc.
* masa: pâte obtenue par trem­page des grains de maïs

La ques­tion de se réapro­prier l’usage des langues trib­ales par­mi les amérin­di­ens est une ques­tion cru­ciale aujourd’hui. Il en va de la con­ser­va­tion d’un mode de pen­sée, d’un rap­port entretenu avec une vision du monde. De nom­breuses réserves essaient d’offrir des écoles où cer­tains cours sont en anglais et d’autres dans la langue autochtone orig­inelle. Cer­taines langues comme la langue des Nava­jos, des Sioux, des Anishi­naabeg, con­ser­vent assez de locu­teurs pour que la dis­pari­tion de la langue ne soit pas un souci majeur. Mais cer­taines langues ont déjà dis­paru et d’autres sont en voie de dis­pari­tion. Ceci est le résul­tat des poli­tiques d’assimilation et de la poli­tique des pen­sion­nats pour Indi­ens. Inter­dits de par­ler leurs langues, punis sévère­ment s’ils le fai­saient, et coupés de leurs familles, les enfants trau­ma­tisés ne savaient plus par­ler que l’Anglais. Suiv­ent ensuite des généra­tions « baclées » comme le dit le poème, essayant de renouer avec la langue ances­trale, et qui auront le sen­ti­ment négatif de ne  pas pou­voir don­ner nais­sance à de « vrais » enfants Indi­ens avant d’avoir récupér­er l’usage de ces langues.

 

Inborn

            Pub­lished in Den­ver Quarterly 

The lan­guage in me/ is old/ though I feel new to it/ palate warping/ a met­al over flame/ I prac­tice sounds of animals/ their names/ almost ancestral/ they know I try/ yona/ first word I ever knew/ bear/ some kind of witness/ to a slop­py rebirth/ I told a lover/ I would name a child/ tsisdu/ because it is good/ to be quick & small/ aware of your surroundings/ childless/ I ink the animal’s likeness/ on the inside of my wrist/ a reminder/ my body can­not be trusted/ to reproduce/ any­thing but words          

Inné

            Pub­lié dans Den­ver Quarterly

Le lan­gage en moi/ est ancien/ bien que je me sente neuve en ce domaine/ le palais se déforme/ un métal au-dessus de la flamme/ je pra­tique les sons d’animaux/ leurs noms/ presque ancestraux/ ils savent que j’essaie/ yona/le pre­mier mot que j’ai su/ ours/ une sorte de témoignage/ d’une renais­sance baclée/ j’ai dit à un amoureux/ que je nom­merais un enfant/ tsisdu/ parce qu’il est bon/ d’être rapi­de et petit/ con­scient de ton environnement/ sans enfant/ j’en­cre la simil­i­tude animale/sur mon poignet/ un rappel/ qu’on ne peut pas faire con­fi­ance à mon corps/ pour reproduire/ quoi que ce soit d’autre que des mots.

Pour finir, voici un poème qui résume un peu tous les thèmes qu’explore Mary Leau­na Chris­tensen et qui se rangent dans la caté­gorie “iden­tité, perte et survie”, avec l’aspect trau­ma­tique lié à la sen­sa­tion ou à la con­science de la perte.  En même temps lignée, généalo­gie, fidél­ité aux ancêtres et à leurs principes de vie, tra­vail­lent dans la pen­sée y com­pris dans le quo­ti­di­en le plus banal. La con­struc­tion de casi­nos sur cer­taines réserves et le droit de l’exploiter finan­cière­ment, est un des moyens pour le gou­verne­ment trib­al d’une réserve don­née d’avoir des fonds pour ensuite bâtir des écoles, des loge­ments, des hôpi­taux trib­aux. C’est par­fois vu comme une forme de trahi­son à l’idéal et aux principes Indi­ens selon lesquels l’argent n’est pas une valeur, est mépris­able, les vraies valeurs étant les qual­ités humaines de sol­i­dar­ité, de partage, de courage, de générosité, de don de soi pour le bien com­mun. Mais com­ment faire quand on est dému­ni de tout, sur des ter­ri­toires arides ou stériles, où il n’est plus pos­si­ble de vivre selon les anciens modes de vie ? Com­ment faire quand le taux de chô­mage est dix fois plus élevé que partout ailleurs sur le sol améri­cain ? Ces casi­nos décriés peu­vent être une planche de salut afin de recon­stru­ire un tis­su com­mu­nau­taire, ils peu­vent engen­dr­er les moyens d’améliorer le quo­ti­di­en sur la réserve en offrant des emplois, des per­spec­tives d’avenir et un niveau d’éducation com­pat­i­ble avec une adap­ta­tion à la vie hors réserve. Il faut par ailleurs savoir que les « lois des degrés de sang » , (Blood quan­tum laws), sont des lois adop­tées aux États-Unis et dans les ex-colonies pour obtenir la qual­i­fi­ca­tion d’ « Améri­cain natif » selon les dif­férents ancêtres con­nus d’une per­son­ne, c’est-à-dire dont le nom a été enreg­istré lors de l’installation ou la dépor­ta­tion sur une réserve. Les Indi­ens qui auraient choisi de fuir, de ne pas se ren­dre, qui ne sont pas enreg­istrés sur les reg­istres des réserves, sont donc privés de toute recon­nais­sance légale, et pour­tant ils sont bien Indi­ens, descen­dants de ces « hos­tiles » comme on les appelait au 19ième siè­cle. Un des points litigieux est que ces lois ne pren­nent pas en compte l’adop­tion tra­di­tion­nelle pra­tiquée chez les Amérin­di­ens, ain­si que la con­ti­nu­ité cul­turelle trib­ale qui intè­gre totale­ment ces adop­tés ain­si que les enfants métis. Une autre ques­tion soulevée : qu’est-ce qui fait l’« Indi­en » ? Est-ce un cer­tain nom­bre de chro­mo­somes « Indi­ens » dans ses cel­lules, est-ce le vécu dans une cul­ture, une langue éventuelle­ment,  assim­ilée et faite sienne ? Des « blood quan­tum laws » découlent l’obtention ou pas des cartes d’i­den­tité trib­ales (ID), qui sont délivrées par les tribus comme preuve de votre inscrip­tion et de votre appar­te­nance à la tribu. Une carte d’i­den­tité trib­ale recon­nue par le gou­verne­ment fédéral est égale­ment une forme valide de pièce d’i­den­tité, avec pho­to émise par le gou­verne­ment dans de nom­breux endroits, bien que cer­tains autres endroits refusent de l’accepter en tant que doc­u­ment officiel.

At the Casi­no Hotel on the Rez

            Pub­lished in Poet­ry Northwest
locat­ed in the lob­by— a per­fect­ly con­tained fire
all black rocks & equal­ly black marble
i’m whol­ly aware of myself
tourist & old blood
i belong & unbe­long in this place

*                        

all that fam­i­ly in the cemetery
on the hill above the house—
the house my grandmother
had built but nev­er lived in

worn from lack of use
there’s talk i’ll fix the house up
make it liv­able & lived-in
i remind myself hill rhymes
w/will— my grand­moth­er was
strong-willed
all we can do is what the dead
would want

*                        

i dream of red clay giv­ing up
what is buried
a slide of cas­ket & decay
all the quartz native here
the final­i­ty     an erosion

*                        

i’ve buried so many
i’m undone & reworked

*                        

the own­er of the place that sells
mar­ble & gran­ite knew my great-
grand­fa­ther     knows the family
ceme­tery & the hol­ly bush­es it’s
named after     says my great-
grand­fa­ther deliv­ered gifts of food
when in town— specif­i­cal­ly fresh
sausages     the own­er discounts
two head­stones— a double &
a sin­gle— a parent/daughter set

*                        

we     two daugh­ters motherless
                        a father w/no daughter

*                        

last time i vis­it­ed     i stained
the inte­ri­or of my partner’s car
w/red clay
ceme­tery stains
the path cleared to car­ry mother
up the hill w/ease washed away
months later
i bare­ly made it to the gravesite
           a lone pallbearer
mother’s silk flow­ers were stained red
grandmother’s too

*                     

here now in december
there is no snow
            just a wetness
a bone-deep-ness

 like the lobby’s fire
i con­tain so much
            most­ly it’s death
            & the effects of it

*                       

i con­tain so much     my blood is percentages
quan­tum print­ed on a card in my wallet
           the card so much like a driver’s license
            it can be used at the bar on the casi­no floor
an alter­na­tive form of identification
in case i’m lost

*                       

when i last talked to my grandmother
a bird flew to me confused
when my moth­er told me she found
my grandmother’s body
my knees bruised against carpet &
i don’t think i ever wailed before
i was my mother’s final phone call—
we almost filed a miss­ing person’s report
before we knew she was lost
but not that kind of lost
how our bod­ies become statistics

*

my moth­er was once in this lobby
belong­ing & not belonging
& it’s only a woman
that looks like my mother
who walks past now

 

À l’Hô­tel du Casi­no de la Rez

Pub­lié dans Poésie Nord-Ouest

situé dans le hall — un feu par­faite­ment maîtrisé
tout en roches noires et le mar­bre tout aus­si noir
je suis pleine­ment con­sciente de moi
touriste & lignée ancienne
j’ap­par­tiens et je n’ap­par­tiens pas à cet endroit

*

toute cette famille au cimetière
sur la colline au-dessus de la maison—
la mai­son que ma grand-mère
avait con­stru­it mais où elle n’avait jamais vécu

usée par manque d’usage
on dis­cute, je vais répar­er la maison
je me rap­pelle volon­taire­ment les rimes
des collines— ma grand-mère était
volontaire
tout ce que nous pou­vons faire, c’est ce que les morts
voudraient

*

je rêve d’argile rouge libérant
ce qui est enterré
une dia­pos­i­tive de cer­cueil & de pourriture
tout le quartz natif d’ici
la final­ité        une éro­sion

*

j’en ai enter­ré tellement
que je suis défaite et refaite

*

le pro­prié­taire du lieu qui vend
mar­bre & gran­it con­nais­sait mon arrière-
grand-père          il con­naît le cimetière
famil­ial & les buis­sons de houx qui lui ont
don­né son nom       il dit que dit mon arrière -
grand-père a livré des cadeaux alimentaires
en ville — par­ti­c­ulière­ment des saucisses
fraich­es         le pro­prié­taire fait un prix
pour deux pier­res tombales : une dou­ble et
une sim­ple– un ensem­ble parents/fille

*

nous     deux filles sans mère
un père sans fille

*

la dernière fois que je suis venue      j’ai taché
l’in­térieur de la voiture de mon compagnon
avec de l’argile rouge
tach­es de cimetière
le chemin a été dégagé pour porter maman
en haut de la colline facile­ment    emportée par l’eau
quelques mois plus tard
je suis à peine arrivée à la tombe
         por­teuse de cer­cueil solitaire
les fleurs en soie de maman étaient tachées de rouge
celles de grand-mère aussi

*

ici     en décem­bre à present
il n’y a pas de neige
            juste une humidité
une pro­fondeur osseuse
comme le feu du hall
je con­tiens tellement
c’est surtout la mort
et ses effets

*

je con­tiens telle­ment         mon sang en pourcentages
quan­tum imprimé sur une carte* dans mon portefeuille
la carte ressem­ble beau­coup à un per­mis de conduire
elle peut être util­isée au bar à l’étage du casino
une forme alter­na­tive d’identification
au cas où je serais perdue

*

la dernière fois que j’ai par­lé à ma grand-mère
un oiseau s’est envolé vers moi confus
quand ma mère m’a dit qu’elle avait trouvé
le corps de ma grand-mère
mes genoux étaient meur­tris con­tre le tapis &
je ne pense pas avoir jamais pleuré auparavant
c’était le dernier appel télé­phonique de ma mère—
nous avons presque rem­pli un for­mu­laire pour sig­naler une per­son­ne disparue
avant de savoir qu’elle était perdue
mais pas ce genre de perte
com­ment nos corps devi­en­nent des statistiques

*

ma mère était autre­fois dans ce hall
appar­tenant & n’appartenant pas
& ce n’est qu’une femme
ressem­blant à ma mère
qui passe devant maintenant

La notion de per­pé­tu­a­tion, de con­ti­nu­ité, de trans­mis­sion d’une généra­tion à une autre est ancrée dans la façon cyclique dont les Indi­ens d’Amériques com­pren­nent la marche du monde. Mary Leau­na Chris­tensen y con­tribue à sa façon, souhaitons-lui d’écrire longtemps pour témoign­er et partager son expéri­ence de per­son­ne indigène, souhaitons-lui de trou­ver un pub­lic qui se trou­vera changé, plus con­scient, plus com­préhen­sif sur le sujet de la con­di­tion amérin­di­enne après la lec­ture de ses poèmes, et qu’elle réus­sisse à épanouir son jeune talent. 

Poets in Paja­mas 156: Mary Leau­na Chris­tensen & Sare­na Brown, 2023.

Présentation de l’auteur

Mary Leauna Christensen

Mary Lean­na Chris­tensen est une poète Chero­kee, mem­bre inscrite de l’East­ern Band of Chero­kee Indi­ans. Elle a été nom­mée bour­sière 2022 Indige­nous Nations Poets pour la retraite inau­gu­rale In-Na-Po et a été sélec­tion­née comme bour­sière de retour pour 2023. Elle a récem­ment obtenu son doc­tor­at en anglais à l’u­ni­ver­sité de South­ern Mississippi.

Bibliographie 

Ses poèmes sont pub­liées dans Cac­tus Heart, Per­mafrost, Drift­wood Press et Avenue Journal.

Poèmes choi­sis

Autres lec­tures

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Béatrice Machet

Vit entre le sud de la France et les Etats Unis. Auteure de dix recueils de poésie en français et deux en Anglais, tra­duc­trice des auteurs Indi­ens d’Amérique du nord. Per­forme, donne des réc­i­tals poé­tiques en col­lab­o­ra­tion avec des danseurs, com­pos­i­teurs et musi­ciens. Pub­liée entre autres chez l’Amourier (Muer), VOIX (DER de DRE), pour les ouvrages bilingues ASM Press (For Uni­ty, 2015) Pour les tra­duc­tions : L’Attente(cartographie Chero­kee), ASM Press (Trick­ster Clan, antholo­gie, 24 poètes Indi­ens)… Elle est mem­bre du col­lec­tif de poètes sonores et per­for­mat­ifs Ecrits — Stu­dio. Par ailleurs elle réalise et ani­me chaque deux­ième mer­cre­di du mois à par­tir de 19h une émis­sion de 55 min­utes con­sacrée à la poésie con­tem­po­raine sur les ondes de radio Ago­ra à Grasse. En 2019, elle pub­lie Tirage(s) de Tête(s) aux édi­tions Les lieux dits, Plough­ing a Self of One’s Own, paru en 2021 aux édi­tions Danc­ing Girl Press, (Chica­go), et TOURNER, petit pré­cis de rota­tion paru chez Tar­mac en octo­bre 2022, RAFALES chez Lan­sk­ine en 2024. 

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