Né à Dahlonega, dans la partie est de la nation Cherokee, (aujourd’hui situé dans l’état de Géorgie), fils de John et Elizabeth Abercrombie Duncan, tous déportés en 1839 vers l’ « Indian Territory », c’est-à-dire l’Oklahoma (qui signifie terre rouge en langue Choctaw, autre nation Indienne déportée , épisode de l’histoire connu comme la piste des larmes), le jeune Duncan fréquenta l’école de la mission et les écoles Cherokees avant de faire ses études à l’université de Darmouth (New-Hampshire, nord-est des États-Unis).
À cause de la guerre civile il ne put rentrer en Oklahoma et commença à enseigner dans des écoles des états du nord-est avant de s’installer en Iowa en 1866 en tant que juriste, enseignant, et militant politique. Après 1880, il divisa son temps entre la réserve Cherokee en Oklahoma, et l’Iowa. Il enseigna le latin, le grec et l’anglais au séminaire Cherokee, traduisit les lois Cherokees en anglais. Il écrivit des analyses linguistiques à propos de langue Cherokee qu’il écrivait, il devint journaliste pour le Indian Chieftain (journal Cherokee) à Vinita où il s’installa définitivement dans les années 1890 pour devenir un avocat Cherokee (à Tahlequah). Connu pour ses poèmes et œuvres de fiction, il fut aussi célèbre pour les lettres qu’il rendait publiques sous le nom de plume de Too-Qua-Stee. Lettres à caractère politique qui défendaient la souveraineté de la nation Cherokee. Bien que le produit de la politique d’assimilation, il luttait contre, reconnaissant néanmoins que ce système d’assimilation lui avait permis, à lui comme à d’autres Indiens éduqués dans les universités blanches, de mieux connaître l’esprit des blancs et grâce à cela, d’être capable de mieux défendre son peuple Cherokee, pris entre les menaces de dissolution de la nation et d’appauvrissement, ainsi que d’autres nations soumises à la politique de parcage sur les réserves le subissaient, et la tentation d’acquérir la citoyenneté américaine, (donc d’être noyé dans la masse des américains), ainsi que le Curtis Act de 1898 la leur accordait.
Son long poème intitulé A Dead Nation (une nation morte), écrit en anglais, est un constat amer du résultat du contact des Indiens avec les européens et ce qui s’en suivit. C’est aussi un commentaire sarcastique sur ce que les européens pensaient des Indiens, ces sauvages assoiffés de sang, ces barbares, et pourtant quels barbares ont détruit la nation Cherokee ? Qui, bien qu’ayant promis que la nation Cherokee resterait nation souveraine avec sa propre constitution, décida qu’elle deviendrait une nation domestique, dépendante des États Unis ?
Et c’est d’humiliations en mensonges que 17 000 Cherokees entamèrent une marche forcée de 1500km vers le « Territoire Indien », qui deviendrait l’état d’Oklahoma, une terre infertile divisée et nombreuses réserves pour les nombreuses tribus déportées à partir des années 1830. Plus de 4000 Cherokees moururent en route, de faim, de froid, sous les coups … et bien d’autres moururent une fois arrivés, d’épuisement et de désespoir. La politique américaine poursuivra son travail de sape en essayant de détruire la cohésion sociale Cherokee (propriété privée exigée quand les tribus ne connaissaient pas ce principe, discrimination entre sangs purs et métis, destruction de l’organisation familiale traditionnelle …). Le poème vise à montrer la traitrise des européens, les horribles traitements qu’ils ont infligé aux Cherokees. Il utilise des métaphores et des expressions telles que « des haleines pestilentielles propageant les vers de l’avidité » pour dire toute la répulsion qu’éprouvaient les Indiens face aux manières des blancs. Le poème est constitué de 12 strophes de chacune quatre vers. La première montre les navires sur lesquels les européens arrivent. La seconde décrit « le commencement des temps » quand les navires accostent, quand les Cherokees sont « les premiers à marcher dans le monde nouveau-né ». La troisième raconte l’histoire sanglante de l’Europe qui amène à la quatrième strophe où les européens sèment chez les Cherokees (« vêtus de rubans rouges ») la même destruction que sur les champs de bataille européens. Le poème continue en narrant comment les blancs détruisent le système de valeurs et de moralité Cherokee : « Wrenched off the hinges from the joints of truth », soit les gonds arrachés aux jointures de la vérité. La huitième et la neuvième strophes portraient les européens avec une ironie acide :
Ainsi la Pestilence pourrissante, et l’Art, et le Pouvoir,
Se livrent à des orgies sous la lune au-dessus des os de tes enfants,
Pour honorer la civilisation, les mains s’unissent
Et dansent sur la musique de leurs derniers gémissements.C’était la civilisation, (soit disant), au travail,
Faire du prosélytisme auprès de tes fils par les voies de la grâce ;
Avec des moyens de sauvages, le fusil, l’épée et le poignard,
Pour massacrer la nuit, ce jour-là pourrait avoir sa place.
Les européens célèbrent leur « victoire » en piétinant des cadavres et se prétendent civilisés…. De même dans ce poème l’auteur critique l’attitude de quelques Cherokees après l’arrivée des colons :
Ils dirent, ils singèrent les façons cruelles de l’homme blanc
Ils déchirèrent la poitrine qui leur avait donnés la vie et les avait nourris.
Ces derniers vers évoquent la relation que les Indiens entretiennent avec le sol, la terre, un territoire, qu’ils considèrent être la mère nourricière de tous les êtres vivants, ses enfants. Le style du poème est conventionnel pour l’époque. On peut se demander quel public visait Duncan en écrivant ce poème, sachant que bien des Cherokees ne pouvaient pas le lire. Sans doute voulait-il mettre les politiques, les intellectuels, les lettrés, les éduqués, devant le fait accompli du génocide en cours, au nom de principes que la culture Cherokee possédait et respectait déjà… La notion de nation n’a pas été inculquée aux Indiens d’Amérique, l’histoire européenne de l’antiquité au dix-huitième siècle n’apportait rien de nouveau dans les concepts de gouvernance, de même que la religion chrétienne, dont les principes furent bafoués par ceux-là même qui en faisaient la religion unique et seule acceptable. Quant au titre, « Dead Nation », elle ne fait pas référence à un concept historique qui ferait de la nation Cherokee quelque chose à oublier dans un passé équivalent à notre antiquité européenne. Duncan n’espère pas un futur moderne qui serait automatiquement meilleur, il en appelle plutôt à une forme de résistance afin que la destruction en cours cesse, et que l’harmonie soit restaurée au sein de la communauté Cherokee.
DE Witt Clinton Duncan ou Too-Qua-Stee en écrivant de la prose et de la poésie dans cette époque comprise entre la guerre civile et la dissolution de la nation Cherokee en 1906, nous livre un témoignage extraordinaire, chargé à la fois d’émotion, de révolte, de lucidité. Dans son poème Truth Is Mortal, Too-Qua-Stee évoque la capture et l’incarcération de Crazy Snake, résistant, militant, activiste, membre de la nation Muskogee. Ce poème fut publié en 1901 dans le Indian Chieftain, il fut ensuite intégré en 2011dans l’anthologie de poésie Indienne Changing Is Not Vanishing (Université de Pennsylvanie).
Chitto Harjo, connu sous le nom de Crazy Snake, orateur et leader Muskogee, avait combattu et avait mené la résistance des Muskogees contre la nouvelle loi qui démantelait leur réserve en parcelles individuelles, ce qui provoquerait des problèmes d’héritage, de plus les parcelles se trouvaient potentiellement vendables et achetables par des non Indiens. Robert Dale Parker, professeur d’anglais et d’études amérindiennes à l’université de l’Illinois écrit : « En 1901, les troupes fédérales marchèrent contre Harjo et sa troupe toujours plus nombreuse (qu’on appelait les Snakes). Le 27 janvier Harjo et ses partisans furent arrêtés ». Le premier vers du poème est une allusion au poème de William Cullen Bryant, The battle-Field (le champ de bataille), qui dit : Truth, crushed to earth, shall rise again ( La vérité écrasée à terre se relèvera), mais ce n’est pas l’idée que Too-Qua-Stee se fait du contexte dans lequel lui et les Indiens sont plongés.
La Vérité est mortelle
Vers suggérés par le contenu d’un interview amical entre l’auteur et l’éditeur du Chieftain faisant référence à la capture et l’emprisonnement de Crazy Snake, le patriote Muskogee.
«La vérité écrasée à terre se relèvera »,
Parfois on le dit. Faux ! Quand elle meurt,
Comme un grand arbre tombé sur la plaine,
Elle ne peut jamais, jamais se relever.La beauté morte est enterrée hors de notre vue ;
Elle est partie au-delà de la vague éternelle ;
Une autre jaillit dans la lumière,
Mais pas celle qui est dans le tombeau.Une fois j’ai vu un navire quitter la côte ;
Son nom était « Vérité » ; et à son bord
Se trouvait un millier d’âmes ou plus :
Sous sa quille l’océan grondait.Ce navire et tout son équipage coulèrent.
Vrai : d’autres navires aussi fiers que lui,
Bien construits, forts, et totalement neufs,
Naviguent sur cette même mer.Mais la «Vérité », et tous ceux qui avaient embarqué
Sont perdus dans un sommeil éternel,
(L’endroit fatal non situé)
Loin dans la profondeur abyssale.Laissons Aguinaldo le fuyard parler ;
Et Oc̅eola* depuis sa cellule ;
Et Sitting Bull, et Crazy Snake ;
Leur histoire raconte leurs expériences.Sur la terre entière aucune vérité
Mais une cavalerie et une croix ;
Nous avons à peine le temps de saluer sa naissance,
Que nous sommes appelés à noter sa disparition.La vérité elle vit, mais le rire est un mouchard,
Qui accroupi lèche la main du pouvoir,
Alors que ce qui mérite ce nom est faible,
Et sous le pied meurt toutes les heures.
Oc̅eola,Vsseyvholv (assiyahola, celui qui crie) leader Creek-Séminole (1804–1838) fut traitreusement frappé à la tête et arrêté alors qu’il arrivait à Fort Peyton où flottait le drapeau blanc, pour des négociations pacifiques avec l’armée. Il mourut de malaria dans sa prison en Floride.(N.d.T).
TRUTH IS MORTAL
Lines suggested by the tenor of a friendly interview between the author and the editor of the Chieftain in reference to the capture and incarceration of Crazy Snake, the Muskogee patriot.
“Truth crushed to earth will rise again,”
’Tis sometimes said. False! When it dies,
Like a tall tree felled on the plain,
It never, never more, can rise.Dead beauty’s buried out of sight;
’Tis gone beyond the eternal wave;
Another springs up into light,
But not the one that’s in the grave.I saw a ship once leave the shore;
Its name was “Truth;” and on its board
It bore a thousand souls or more:
Beneath its keel the ocean roared.That ship went down with all its crew.
True: other ships as proud as she,
Well built, and strong, and wholly new,
Still ride upon that self-same sea.But “Truth,” and all on her embarked
Are lost in an eternal sleep,
(The fatal place itself unmarked)
Far down in the abysmal deep.Let fleeing Aguinaldo speak;
And Oc̅eola from his cell;
And Sitting Bull, and Crazy Snake;
Their story of experience tell.There is no truth in all the earth
But there’s a Calvary and a Cross;
We scarce have time to hail its birth,
Ere we are called to mark its loss.The truth that lives and laugh’s a sneak,
That crouching licks the hand of power,
While that that’s worth the name is weak,
And under foot dies every hour.
Avocat de la dignité humaine, Too-Qua-Tsee a su souligner et s’élever contre les mensonges des politiques coloniales qui prétendaient accueillir les Indiens dans leur programme de « progrès », mais qui faisaient tout pour les en éloigner, et pire, faisaient tout pour les supprimer. Il a su analyser et prouver que le progrès n’était pas le but des dirigeants, que la « civilisation » était l’autre nom donné pour dissimuler la cruauté inique du pouvoir de l’argent. Et que rien dans tout cela ne suivait les préceptes du Christ au nom duquel bien des méfaits avaient été commis, bien des décisions avaient été prises aux dépens des Indiens.
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