Regards sur la poésie française contemporaine des profondeurs (3) : Jean-François Mathé
La profondeur poétique de Jean-François Mathé ne relève pas de l'enracinement. Sa plongée dans le langage tient de la contemplation du ciel, des nuages ; de l'écoute du silence et de ses présences qui, comme les mots, peuvent ouvrir les perspectives de la beauté, et révéler les pouvoirs sémantiques du monde pour peu qu'on sache être sensible à leur compagnie invisible. Voir dans la contemplation du ciel une perfection permanente, et permanente dans sa mouvance infinie, c'est inscrire une poétique dans l'absence de limite, tant au niveau du sensible que de l'intelligence. La poésie, nous murmure Jean-François Mathé, a ce pouvoir. Un pouvoir d'architecture et d'agrandissement de la beauté confiée à l'homme.
Les poèmes de Jean-François Mathé relèvent de la profondeur en ceci qu'avec une précision acérée, voire coupante, il creuse le réel par les outils du cœur, certes, mais aussi avec la conviction de devoir capter, puis fixer l'éphémère et la précarité, dans ses dons de bonheur intermittents, et de souffrances et déceptions.
Lorsqu'on l'interroge sur sa poésie, il dit : "Pendant la plus grande partie de ma vie de poète, je suis resté fidèle à l’interrogation de mes hantises favorites : le passage du temps avec ce qu’il apporte et emporte, la fragilité de la condition humaine, les forces et les faiblesses du corps, les ombres et les clartés de la mémoire, la révélation dans l’apparemment rien du quelque chose ou du quelqu’un qui s’y cache…".
Poète des profondeurs parce qu'il approfondit le monde sur le versant de son rythme premier : le rythme du cœur, sa langue, au gré d'une œuvre presqu'exclusivement publiée chez Rougerie : J’ai demain pour mémoire ; L’Inhabitant ; Instants dévastés ; Ou bien c’est une absence ; Mais encore ; Navigation plus difficile ; Contractions supplémentaires du cœur ; Corde raide fil de l’eau ; Saisons surgies ; Sous des dehors ; Passages sous silence ; Le temps par moments ; Le ciel passant ; Agrandissement des détails ; Chemin qui me suit précédé de Poèmes choisis 1987-2007, est concise, ses images inspirées, et ses vers offrent dans leur traîne l'inspiration généreuse de tout grand poète, celle marchant vers la sérénité. En ces temps de détresse, Jean-François Mathé est l'un de nos plus précieux poètes.