Regards sur la poésie française contemporaine des profondeurs : Mathieu Hilfiger
L’écriture, Mathieu Hilfiger la découvre et la pratique, comme tous ses semblables, dans la tiède obscurité du milieu aquatique primitif. Il y fait en 1979 ses premiers et plus authentiques gestes d’écrivains : frôler, palper, glisser, caresser – errer dans les pages animales, analphabètes, du livre de contes archaïques de l’espèce humaine.
Enfant, les rudiments de sa poétique s’inscrivent en lui en même temps que le sentiment de l’irréversibilité du perdu, et la vie, elle, est vécue avec une joie mélancolique. Il est vrai que chez lui la nostalgie semble innée.
Adolescent, la rencontre enthousiaste de la poésie (Rimbaud, Apollinaire, Baudelaire) lui fait son don initial : celui du sentiment d’un espace où pourrait être recomposée une part de cette douceur animale qui s’est soudainement échappée avec la perte des eaux amniotiques. Le premier recueil Lettres Touchées retrace cette genèse poétique dans un contexte de crise familiale extrême.
Parallèle à l’étude des lettres, des langues anciennes et de la philosophie (essentiellement grecque), cette redécouverte de l’écriture par les mots le conduit effectivement à élaborer un rapport privilégié à la langue et une poétique tout à fait singulière, où se retrouvent, naturellement faudrait-il dire, l’origine et l’enfance, la nuit et le rêve, la plante et l’animal – tout ce qui, finalement, prétend constituer la dimension d’un monde. La proximité des œuvres de Saint-John Perse, de Grosjean, de Rilke, et surtout celle de Celan, lue quotidiennement pendant des années, encourage un lyrisme à l’aura « nocturne » chantant cette profondeur.
Les paysages, eux, sont ceux à l’Ouest de sa région d’adoption, la Normandie, et de la matière de Bretagne, et ceux à l’Est de sa région natale, l’Alsace, et des réminiscences de la Mitteleuropa – tous anamorphosés par la rêverie et les générations.
Toutes les ressources, tous les mystères, peuvent être interrogés dans ce chemin d’ombres qui ne saurait prendre une autre courbe que celle d’une longue initiation (Pierre Dhainaut l’a bien saisi dans sa préface aux recueils de 2009 D’une craie qui s’efface et Reflets et Disgrâce) : un chemin retour impossible et passionnant, alors même qu’une vie sans écriture serait une réclusion.
En 2001, Mathieu Hilfiger crée la revue décennale Le Bateau Fantôme, dont les thèmes reprennent métaphoriquement les grandes étapes de l’existence humaine. Les apports des sciences humaines complètent créations et articles littéraires.
Il ne cesse d’écrire des poèmes, aussi bien en vers qu’en prose, qui paraissent en livres et régulièrement en revues (récemment : Phoenix, Nunc, Arpa, Écrits du Nord) ; des entretiens et des lettres avec des amis poètes – Yves Bonnefoy (plusieurs rééditions de leur entretien sur le livre), Pierre Dhainaut (co-signature de De jour comme de nuit), Jean Maison, Jean-Marc Sourdillon, Jacques Dupin ; des proses en fragments (en particulier le triptyque sur l’origine intitulé Vestiges et son premier volet Nuit Primitive) ; des articles littéraires et philosophiques, ainsi que des notes de lectures ; de plus en plus, des textes en échos d’œuvres d’artistes ; du théâtre, plus récemment.
Le Bateau Fantôme renaît fin 2013 sous la forme d’une petite maison d’édition littéraire tournée vers la pratique même de l’écriture et les marges de la création, et dont les livres seront conçus et imprimés en France sur des papiers écologiques d’excellence.
Parmi les autres auteurs qui comptent le plus : Homère, Platon, Chrétien de Troyes, Shakespeare, Kafka, Quignard, auxquels il ne faudrait omettre d’ajouter des noms de musiciens, et d’abord celui qu’il désigne comme son « maître », Monteverdi.
Mathieu Hilfiger construit une œuvre polymorphe, qui se ramifie à travers des modes d’expression pluriels et à partir d’un noyau de sens ; noyau qui doit fondamentalement être sans cesse inventé et recherché. En définitive, c’est la pensée, corde sensible vibrant perpétuellement avec le battement des choses, qui constitue le moteur de son écriture. « Aucun poème de Mathieu Hilfiger qui ne constate loyalement combien nous sommes entravés ou meurtris, aucun qui ne se dresse et ne défie, en tremblant, l’opacité : la voix qui dit ‘’l’exil’’, qui l’éprouve en sa profondeur, appelle également un ‘’royaume’’, elle respire au large, c’est une ‘’voix d’enfant’’. Avec Mathieu Hilfiger les commencements sont perpétuels. » (Pierre Dhainaut).
Œuvre poétique :
Lettres Touchées, Pierron, 2002.
D’une craie qui s’efface, précédé de Reflets et Disgrâce, L’Harmattan, 2008.
De jour comme de nuit, avec Pierre Dhainaut, Le Bateau Fantôme, 2013.
L’Aube Animale, à paraître.
Fulminations, à paraître.