Entretien de Cécile Guivarch avec Matthieu Gosztola
Matthieu Gosztola : – Peux-tu nous parler de la façon dont l’écriture s’est imposée à toi ? As-tu des souvenirs précis ?
Cécile Guivarch : – Quand j’étais enfant, en classe de CM1, la maîtresse nous avait demandé d’écrire une rédaction. Quand je l’ai rendue, quand elle l’a lue, je ne sais pas si sa réaction a été démesurée ou pas mais elle s’est exclamée tout de suite, l’a lue à toute la classe, est allée trouver sa collègue dans la classe d’à côté se gonflant d’éloges et disant que pour une enfant de cet âge c’était vraiment bien écrit, etc. Cette même maîtresse m’a ensuite beaucoup encouragée dans la voie de l’écriture, me faisant écrire des poèmes, des petits contes pour le journal de l’école. Je me souviens aussi d’un jour, un inspecteur des écoles est venu dans la classe, et ce qui est marqué à vie dans ma mémoire, c’est qu’elle m’a présentée à lui en lui disant « Voici Cécile, plus tard elle sera écrivain ». Avait-elle senti là une sorte de vocation ? En tous les cas, ces mots-là sont restés en moi, ne m’ont jamais quittée. Ensuite, j’ai poursuivi ma scolarité, sans forcément écrire en dehors de mes rédactions, et pourtant j’avais toujours la meilleure note et je ne me souviens pas d’une fois où ma rédaction n’avait pas été lue devant toute la classe. L’écriture s’est vraiment imposée à moi lorsque je suis rentrée dans la vie active et que j’ai commencé à lire de la poésie contemporaine. Il y a eu alors là comme un déclic ou plutôt un choc. J’ai mesuré qu’écrire, et surtout de la poésie, me permettrait d’exprimer ce que j’avais au plus profond.
– Quels sont les premiers poètes, les premières poétesses qui t’ont marquée ?
– Roberto Juarroz est le poète qui m’a fait prendre conscience qu’il y avait autre chose dans la poésie que ce que l’on nous avait appris au lycée, c’est-à-dire une poésie rimée où tout avait une signification mais qui n’était pas forcément la perception que chacun d’entre nous pouvait avoir. J’ai suivi la filière économique, cela explique sûrement la raison pour laquelle le programme « poésie » était si basique. Mais toujours est-il que lorsque j’ai lu Juarroz, cela m’a profondément remuée et j’ai eu le désir, la soif de découvrir plus encore de poètes contemporains. A l’époque, au début des années 2000, cela m’a été facilité grâce à l’anthologie poétique qu’avait initiée Florence Trocmé sur le site zazieweb et aussi grâce au site de Silvaine Arabo. Après est venu remue.net et beaucoup d’autres sites.
Après Juarroz, c’est Fabienne Courtade, Denise Desautels, Antoine Emaz, Jacques Ancet, André Du Bouchet, Ludovic Degroote et Thierry Metz qui m’ont vraiment marquée. Je les relis régulièrement. Et aussi Amandine Marembert dont j’avais lu des extraits dans un numéro de Contre-allées http://contreallees.blogspot.fr/ acheté par hasard dans une librairie, car à l’époque je n’étais pas au jus de toutes les revues qui existaient. J’y ai vu alors quelque chose de différent par rapport à la génération antérieure. Des poètes du monde m’ont aussi marquée ou touchée profondément, comme Nazim Hikmet, Mahmoud Darwich, Alejandra Pizarnik et Marina Tsvetaeva (notamment ses correspondances et ses carnets).
– La poésie a‑t-elle surgi dans ta vie immédiatement comme une nécessité ? Qu’en est-il de la prose ?
– La poésie comme nécessité ? Oui, très certainement. En fait au départ j’avais surtout envie d’écrire. J’ai commencé par la nouvelle. Puis j’ai commencé à lire de la poésie alors j’ai essayé et je m’y suis sentie plus à l’aise. Peut-être car elle est devenue une façon pour moi de vraiment exprimer ce que j’avais au plus profond. Et puis la poésie, n’est-elle pas tout autour de nous, dans toutes choses ? La prose, je ne la dissocie pas vraiment de la poésie. La poésie, elle n’a pas vraiment de limite pour moi. Je ne sais pas trop distinguer entre les deux. L’écriture du roman ou de la nouvelle, je tente de temps en temps, mais c’est toujours de la prose ou des poèmes qui me viennent. J’en suis comme intoxiquée et ne sais pas m’en défaire. Peut-être qu’un jour j’arriverai au roman. Mais sera-t-il vraiment un roman ?
– Ta poésie donne vie de très belle façon à un goût prégnant pour l’oralité. Est-ce façon de faire du poème un poème à deux battants qui battent sans cesse pour que la vie entre enfin en lui ? Pour que la vie en lui soit cette pulsation qui vient du plus profond, et du plus commun, et du plus habituel, et du plus rare aussi de nos vies ?
– Sûrement est-ce lié à tous ces moments que j’ai passés pendue aux lèvres de ma mère ou d’autres personnes, à écouter des récits de vie et surtout ce qui s’est dit. Ma poésie je la veux et je la sens proche de tout cela. Ces langues aussi de ma vie. Entre patois normand, espagnol et galicien. Des chocs entre ces langues. Alors la langue, l’oral, viennent se choquer dans mes poèmes qui sont aussi une façon de se vouloir au plus près de nos vies. Je ne veux pas que mes poèmes soient hermétiques ou précieux, je veux qu’ils soient vie ou histoires de vie et que chacun puisse les lire, se les approprier, entrer dedans. C’est pour cela que l’oralité prend sa place. L’oralité, chacun peut la comprendre. L’oralité c’est aussi un ancêtre de la poésie avec les troubadours…
– L’écriture a très fortement partie liée chez à toi avec la filiation. Écrire, est-ce d’abord reconnaître une filiation ? Ne jamais cesser de l’établir ?
– Je ne peux écrire sans revenir à la filiation. Ma filiation c’est un ensemble d’histoires de vies qui m’ont toujours bouleversée. Un grand-père jamais connu mais vivant à Cuba après avoir fui le franquisme, une tante en Argentine qui a fui le franquisme, une mère élevée par sa grand-mère et non par sa propre mère et qui a fui ses terres pour travailler autre chose que la terre, un père fils unique après avoir perdu sa petite sœur, un nom breton alors qu’on ne connaît rien de la Bretagne, une double nationalité et moi dans tout cela, je suis là. Et je suis là à me demander d’où je suis vraiment. Alors, reconnaître une filiation, certainement. Mais la fouiller, ça c’est sûr. Coups portés paru chez publie.net http://www.publie.net/fr/ebook/9782814502284/coups-portes, Le cri des mères paru chez La Porte http://www.e‑litterature.net/publier3/spip/spip.php?page=article5&id_article=327 et Un petit peu d’herbe et beaucoup d’amour à paraître aux éditions L’Arbre à paroles en mai 2013 en sont les témoins (des extraits sont parus sur remue.net ). Mes chantiers d’écriture en cours sont également de vastes fouilles sur la filiation et tous ces gens dans notre sang et qui nous habitent (voir sur Sitaudis http://www.sitaudis.fr/Poemes-et-fictions/vous-etes-mes-aieux-extrait.php, Recours au poème https://www.recoursaupoeme.fr/c%C3%A9cile-guivarch/que-vous-t-fait-mes‑a%C3%AFeux et Incertain regard).
qui vous dira mes aïeux
« n’avons cessé de penser à vous »
vos silences écoulés de cœur en cœur
vos sangs mêlés de rivières
vous reteniez votre souffle
vous n’avez jamais été aussi proches
à frémir ainsi sur nos épaules
vous êtes nos morts
le ciel vous empêche de glisser
Un petit peu d’herbe et des bruits d’amour
*
**
*
cette nuit vous êtes venus me voir
je dormais j’ai fait semblant de rien
vous m’avez soufflé vos malheurs
j’ai tendu l’oreille je n’ai rien compris
vos langues anciennes
vos langues chargées de langues
de vos bouches des flots de paroles
dans vos voix j’ai entendu la terreur
je me suis blottie un peu plus
le matin vous étiez partis
*
c’est ainsi que je vais dans votre sillage
les foins sont coupés les rats sont partis
je marche le longs d’allées anciennes
la même terre toujours sous mes pas
elle aurait un peu durci
elle craque par endroit
j’y vois vos visages
*
vous me venez par bribes
je me souviens enfant
des lèvres de ma mère
en ce temps là
*
vous me paraissiez loin alors
vous êtes comme arrachés
nous avons quitté vos terres
comment revenir à vous
maintenant que nous nous sommes perdus
que nos langues ne vous disent rien non plus
Vous êtes mes aïeux, inédit
– L’écriture est-elle un geste à jamais recommencé d’enracinement ?
– Oui, l’écriture permet ce geste de recommencer toujours à fouiller dans les racines, qui pour ma part sont toutes à recoller car enracinement, je ne sais pas si c’est de cela dont il s’agit, ce serait plutôt une sorte de déracinement ou alors un gros fouillis de racines à remettre en ordre pour y voir clair dans les choix, les paroles et les silences de ceux et celles qui m’ont précédée. J’accompagne l’écriture de vieilles photos, vieux courriers et aussi de recherches dans mon arbre.
– Ton écriture a, me semble-t-il, des liens très forts avec l’enfance. En quoi écrire est-ce retourner la terre de son enfance ? Revenir à ce geste très lent d’être dans une quête éblouie qui s’ignore elle-même, quête toujours actualisée des premiers instants sans contours, des premiers instants à jamais premiers instants ?
– Cela a été un véritable choc de quitter l’enfance pour moi et de ne jamais pouvoir y revenir. Je pense que beaucoup sont comme moi. J’ai eu une enfance comblée. Sans grands soucis mais avec des histoires de famille à écouter. L’enfance, malgré tout, c’est une lumière. Elle m’habite au quotidien. Mes enfants me permettent de la revivre intensément.
– L’écriture est-elle toujours façon de naître ? De naître à soi ? De naître au monde ?
– Oui, l’écriture c’est une formidable naissance. Déjà par la naissance des textes. Toujours la joie de les voir arriver au monde, de les découvrir car ce que l’on écrit nous prend toujours au dépourvu. Parfois, je me relis et je me demande si c’est bien moi qui ai écrit tel ou tel texte. Bien sûr, l’écriture me permet également de mieux prendre conscience de certaines choses qui se passent dans le monde ou qui se sont passées. Un beau texte sur la naissance c’est La tendresse de Jacques Ancet http://www.publie.net/fr/ebook/9782814504042/la-tendresse. Je ne saurai peut-être jamais l’exprimer mieux que lui.
– Comment est né le site Terre à ciel http://terreaciel.free.fr/ ? Comment s’est ressentie la nécessité qui a préludé à sa naissance ?
– Terre à ciel est né car j’ai moi-même passé des heures sur le net à la recherche de poésie contemporaine et du monde entier. Comme je l’ai dit plus haut, il y a eu un moment où j’ai eu envie de connaître la poésie. Enfin quand je parle d’envie, cela serait plutôt une soif. Alors j’ai rassemblé sur un site le fruit de mes recherches. Mon idée : permettre à d’autres d’accéder à la lecture de poètes, donner des liens vers d’autres sites pour que l’internaute puisse en découvrir encore plus. Comme j’avais fait du bénévolat auprès d’un atelier d’écriture nantais (Coq à l’âne http://www.ouest-france.fr/actu/actuLocale_-Coq-a-l-%C3%82ne-l-atelier-d-ecriture-grandit-_44109-avd-20121001–63703193_actuLocale.Htm), j’ai pu bénéficier de quelques heures pour comprendre comment créer un site Internet et je me suis lancée toute seule dans cette aventure, créant le site de toutes pièces. Au départ j’étais seule. Puis des auteurs ont commencé à m’envoyer des contributions. Enfin, Sabine Chagnaud et Sophie G. Lucas m’ont demandé si elles pouvaient m’aider. J’ai alors ouvert Terre à ciel aux personnes motivées et ayant une vision de la poésie proche de la mienne. Maintenant, Terre à ciel, ce n’est plus seulement pour y lire des grands noms de la poésie d’aujourd’hui, mais aussi pour y donner à découvrir des voix nouvelles.
– Peux-tu nous parler de la façon dont Terre à ciel se construit mois après mois ?
– Terre à ciel se construit au fil des rencontres que je fais moi-même ou que les membres de l’équipe http://terreaciel.free.fr/angedemons/angesdemons.htm font. On reçoit aussi des contributions dans la boîte email que nous discutons entre nous. On m’envoie aussi des livres en service de presse ou directement venant des auteurs. Chacun, dans l’équipe, propose des notes, des dossiers, des traductions. Chacun au gré des envies et de la disponibilité. Nous proposons une nouvelle édition par trimestre. Cela permet entre chaque numéro de faire ce travail de recherche, de rédaction ou de traduction et surtout de faire les mises en page que je fais seule et qui demandent beaucoup de temps et d’attention. J’aimerais beaucoup trouver une personne qui m’aide sur ces mises en page.
– Terre à ciel est ouvert à la poésie contemporaine française mais aussi étrangère, au travers de belles traductions. Peux-tu nous parler de cette ouverture au monde qui caractérise Terre à ciel, dans la droite ligne de l’entreprise également sans cesse recommencée de Recours au poème ?
– La poésie n’est pas seulement française, et il y a de très belles voix dans le monde. La traduction elle-même est pour moi une activité poétique et finalement de création à part entière. Il y a aussi cette relation entre poète et traducteur que je trouve magnifique. La voix peut ainsi trouver résonance dans une autre langue et cela c’est important. Je suis attentivement les voix étrangères qui sont publiées sur Recours au poème et même il m’arrive de leur demander quelques contacts. A une époque, avant Terre à ciel, j’ai fait beaucoup de recherches sur la poésie de la négritude, la poésie palestinienne, roumaine, espagnole, inca, berbère, etc. J’animais alors un groupe yahoo, Voix du monde http://fr.groups.yahoo.com/group/voixdumonde/?yguid=132401013. Puis je suis moi-même un petit mélange franco-espagnol, cubain, breton, argentin, normand, ce qui doit forcément avoir un lien avec mon attirance pour les voix du monde.