Rencontre avec Cécile Guivarch : De la terre au ciel

Cécile Guivarch est poète, et créatrice d'une revue de poésie incontournable, qu'elle diffuse généreusement, et où elle crée le lieu d'u. travail pluriel, et de publications ouvertes à de multiples voix, Terre à ciel. Elle a publié plus d’une dizaine de recueils depuis 2006 ; parmi ses dernières publications, citons : Un petit peu d’herbes et de bruits d’amour, éditions l’Arbre à paroles, 2013, Du soleil dans les orteils, éditions La porte, 2013, Renée, en elle, éditions Henry, 2015, S’il existe des fleurs, éditions l’Arbre à paroles, 2015, Sans abuelo Petite, éditions Les Carnets du Dessert de Lune, 2017, et dans de nombreuses revues comme Contre-Allées, Décharge, Sitaudis, Incertain regard et participé à plusieurs anthologies et recueils collectifs. Nombreux sot donc ses engagements, limpide son sourie. Elle a accepté de répondre à nos questions. 

Cécile, tu as créé le site de poésie en ligne Terre à ciel. Quand, et surtout pourquoi ? Comment t’est venue cette envie de porter et d’offrir ainsi gracieusement la poésie ?

Chère Carole, Terre à ciel est née en 2005. Dix-huit ans ! Cette aventure est donc arrivée à sa majorité. Je n’en crois pas vraiment mes yeux, mes oreilles. Et pourtant. Au départ, j’avais pour projet d’offrir aux internautes un site de poésie dans lequel on aurait pu trouver une grande majorité de poètes contemporains. J’imaginais une sorte d’encyclopédie. En cliquant sur le nom d’un poète on peut lire des extraits de ses livres, sa biographie, sa bibliographie. J’avais envie de donner envie aux internautes de lire de la poésie.

De découvrir des auteurs, des univers. De leur donner la soif d’en découvrir plus. De pouvoir assouvir leur soif. Cela m’est venu de mes propres recherches en poésie. Au début des années 2000, j’ai découvert l’œuvre de Roberto Juarroz puis celle de Paul Celan. Ces poètes m’ont éclairée sur ce que la poésie pouvait m’apporter, sur ce qu’elle pouvait apporter à d’autres. A partir de ce moment, j’ai voulu tout savoir de la poésie, alors je suis allée dans les librairies, les médiathèques et j’ai cherché sur le net tout ce que je pouvais lire. J’avais surtout envie de découvrir des poètes contemporains et au début des années 2000 il n’existait que peu de sites de poésie. C’est de ce manque qu’est née Terre à ciel.    Je pensais qu’en quelques mois j’aurais répertorié tous les poètes contemporains existants, mais dix-huit ans plus tard ce n’est pas vraiment fini ! Et c’est bon signe ! La poésie est vivante ! La poésie est en mouvement.
Comment conçois-tu tes numéros ? Et comment Terre à ciel a-t-elle évolué ?
Au départ, Terre à ciel était donc conçue pour être un site personnel, un répertoire de poètes contemporains. Mais vite j’ai eu envie de parler de mes lectures, d’y intégrer des notes de poésie, de publier des voix amies émergentes… Des personnes ont commencé à m’envoyer des contributions que j’ai accepté de publier. Je trouvais que cela permettait d’élargir ma vision de la poésie. Puis vers 2009, je crois, des amis poètes, je nomme Sophie G. Lucas et Sabine Chagnaud, m’ont demandé s’il était possible de m’aider… C’est comme cela que Terre à ciel est devenue une équipe… C’est comme cela que nous avons commencé à fonctionner comme une revue. D’autres personnes nous ont rejoints par la suite… Sabine Huynh, Roselyne Sibille, Armand Dupuy, Roland Cornthwaith, Christine Bloyet, Mélanie Leblanc, Jean-Marc Undriener, Clara Regy, Isabelle Lévesque, Florence Saint-Roch, Françoise Delorme, Sabine Dewulf, Olivier Vossot  et tout récemment Justine Duval… Certains membres ont été de passage et ont apporté énormément à la revue. D’autres traversent les années à mes côtés et c’est un plaisir. Nous concevons les numéros tous ensemble. Déjà par le choix des jeunes poètes que nous mettons en avant. Nous recevons des contributions par la boîte de contact du site ou parfois nous sollicitons des extraits auprès de poètes que nous remarquons. Puis nous concevons les numéros au fil des rencontres, dans les festivals, les salons, au fil de nos lectures, de nos découvertes.  Des contributeurs extérieurs nous font également des propositions. Nous restons ouverts, c’est cela qui fait l’esprit de Terre à ciel.

Clip a été réalisé à partir du recueil Tourner Rond écrit par Cécile Guivarch et édité par la ©ollection Petit Va ! En 2023. Lecture par l’auteure enregistrée en 2023. Création sonore Rémy Peray. Réalisation et montage L'écrit du son.

© Centre de créations pour la jeunesse Collection Petit Va !

Tu es poète. Pourquoi la poésie ?
La poésie car elle sert à exprimer ce que je ne pourrais faire sans elle. La poésie est le moyen de rendre compte des plus profondes émotions et sensations. De les libérer. Elle est l’écriture du corps autant que celle de l’âme. Elle permet également d’avancer, d’ouvrir l’esprit, d’accepter ce qui fait peur. Elle garde l’empreinte du présent mais se souvient aussi du passé, de ceux qui nous ont précédés. Elle permet une grande liberté et un constant travail sur la langue. La poésie est vraiment riche et vivante. Elle aide à mieux vivre.

La poésie peut-elle affirmer, et donner à voir, une fraternité, est-elle le lieu d’un rassemblement humaniste qui dépasse toute frontière ?
Oui, j’en suis assez convaincue. La poésie permet de rassembler. La poésie n’a pas de frontière et en même temps elle rend compte de ce qui se passe dans le monde. La poésie est un relai, elle témoigne. Je suis presque convaincue que si tous les enfants lisaient de la poésie, peut-être il y aurait moins de haine dans ce monde, moins de guerres. Je dis « presque convaincue » car est-il possible de refaire l’homme ?
Que peut-elle transmettre ?
Elle peut transmettre de beaux messages. Aider à mieux vivre. Accepter ce qui est inacceptable. A comprendre. Elle aide à réfléchir. Car si on ne comprend pas toujours un poème, il infuse en nous une réflexion. Nous amène à nous questionner là où on ne se posait plus de questions. Elle nous prépare à perdre aussi. La poésie parle de la vie mais aussi de la mort.

La revue de poésie en ligne Terre à ciel - https://www.terreaciel.net/

Penses-tu qu’elle soit lue, et fréquentée, surtout par les plus jeunes ?
Pas suffisamment à mon goût. Déjà remarquons que les rayons poésie dans les librairies ne sont pas forcément les plus garnis, et ne représentent pas toujours ce qui s’écrit de nos jours en poésie. Heureusement au programme du bac de français est entrée la poétesse Hélène Dorion. Certains professeurs font du bon travail auprès des plus jeunes et ont compris l’intérêt de le faire. Je pense par exemple au travail que Michel Fievet, professeur de poésie et éditeur à L’Ail des ours, a fait avant son départ en retraite auprès des jeunes. Mais je pense aussi que la plupart des professeurs de français ne connaissent pas suffisamment la poésie contemporaine, ou n’osent pas assez sortir du programme de l’Éducation nationale. Or la poésie, c’est un entrainement.
Et les jeunes auraient bien besoin d’elle. Je salue le beau travail du Central National pour l’Enfance de Tinqueux qui organise des événements autour de la poésie pour les jeunes et publie revues et livres qui leur sont dédiés. Je pense par exemple au travail de Bernard Friot qui écrit pour les jeunes. Sabine Zuberek Kotlarczik et Sabine Dewulf ont également créé le Prix Pierre Dhainaut du Livre d'artiste dans l'Académie de Lille, qui s'adresse à tous les élèves depuis la primaire (CM1-CM2) jusqu'au lycée, en 1ère. C’est une superbe initiative pour faire lire de la poésie aux jeunes, surtout lorsque l’on sait qu’elles voudraient l’étendre au niveau national. Et j’oubliais, j’ai été lauréate du Prix Poésyvelynes en 2017 pour mon livre S’il existe des fleurs, paru aux éditions L’Arbre à paroles, ce prix est l’occasion pour des collégiens lecteurs de décerner un prix à un livre de poésie et donc de la diffuser. Nous avions été heureux avec mon éditeur quand nous sommes allés à la remise du prix de constater qu’un élève avait dérobé un livre sur l’étalage, nous aurions pu crier « Au voleur ! » mais non ! Nous étions heureux que la poésie intéresse cet élève. Je pense aux salons, aux festivals de poésie, mais qui ne sont peut-être pas assez fréquentés en dehors d’un public d’avisés… mais l’espoir n’est pas vain… car dans ces endroits parfois des rencontres se font avec des personnes qui ne connaissaient pas la poésie. Espérons gagner ainsi de nouveaux lecteurs !    
As-tu des témoignages, des retours de lecteurs ?
Oui, de nombreux témoignages. Les lecteurs de Terre à ciel sont contents d’y trouver beaucoup de choses à lire. Notamment on me parle beaucoup de l’esprit d’ouverture de Terre à ciel et d’y trouver des idées de lectures.
Comment diffuser la poésie, plus encore, et permettre aux gens de se rassembler autour du poème ?
Déclamer dans la rue ! Distribuer des poèmes dans les boîtes aux lettres. Lire un poème chaque soir au JT de 20 heures ! Mettre à disposition des poèmes dans les salles d’attente. La RATP le fait déjà avec son concours de poèmes. Je trouve cela formidable ! Il devrait y avoir un poème affiché à chaque coin de rue, dans toutes les vitrines, sur toutes les boîtes aux lettres ! Soyons nous-mêmes des poèmes !
Les guerres se multiplient sur la planète. Comment la poésie peut-elle aider à l’édification d’un monde pacifique et serein ? Que peut le poème ?
Les guerres… Nous poètes nous assistons. Impuissants. Témoins. Nous écrivons. Crions. Décrions. Dénonçons. J’ai l’impression que nous sommes si petits face à ces horreurs, face à ces guerres qui sans cesse recommencent. Je ne sais pas si le poème peut beaucoup pour la pacification. Ou alors il faudrait que ce soit la poésie qui passe au JT de 20 heures. Et non pas la guerre. Notre monde, les médias, ne nous font voir que les mauvaises choses, on nous maintient dans un climat constant de peur et de haine. Je suis convaincue que si les médias nous montraient la beauté du monde, la richesse des interactions entre les hommes, la bienveillance et l’altruisme, le monde serait bien plus beau. Car le monde est beau si on le regarde de plus près et dans ce qu’il a de beau.  
Et demain ? Des numéros particuliers en vue, des actions ? Ta poésie ?
Cela continue. Le prochain numéro est pour mi-décembre. Il y aura notamment une anthologie organisée par Florence Saint-Roch : « Brasser les cartes ». Ensuite ce sera le numéro d’avril puis celui de l’été. Nous sommes passés de 4 numéros annuels à 3. C’est du travail, de l’investissement et nous avons nos vies personnelles et professionnelles. Pour ma poésie, je viens de publier trois livres cette année : Tourner rond, dans la collection Petit VA ! du centre national pour la poésie jeunesse de Tinqueux, un livre qui a été écrit notamment en réaction à la guerre en Ukraine. Sa mémoire m’aime, aux éditions des Carnets du Dessert de Lune, un livre sur les deux dernières années de vie de ma maman atteinte d’Alzheimer. Partir vient tout juste de paraître à L’Atelier des Noyers, un livre en collaboration avec l’artiste Alexia Atmouni, très beau. Et voilà, la suite s’écrit en marchant. Merci Carole !     
Merci Cécile ! 

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