Recours au Poème  pro­pose aujour­d’hui à la lec­ture la ver­sion écrite inédite d’un entre­tien tenu le 27 novem­bre 2010 à la Librairie “Quartiers Latins” à Brux­elles. Il s’ag­it d’un “Coup de coeur” à la faveur duquel deux livres furent présen­tés à leur paru­tion. “Voyageurs que nous sommes” aux édi­tions La Ravine de Muriel Claude, pho­tographe et Marc Dugardin, ain­si que “L’ar­dent silence” aux édi­tions Rougerie de Serge Núñez TolinL’échange avec les auteurs a été con­duit par Jean-François Gré­goire, lecteur.

Nous pub­lions ici les répons­es de Serge Núñez Tolin.

 

I. / Ques­tions posées à Marc et Serge

 

1°)   « Ain­si la réal­ité trou­vée dans le poème, surgie de lui, est-elle avant tout une heureuse sur­prise, venant à la fois du dehors et du dedans », écrit Jean-Pierre Lemaire (« Marcher dans la neige », p.28)… Le poète tou­jours en quête des min­utes heureuses dirait Georges Hal­das. On par­le aus­si du bon­heur d’expression de cer­taines for­mules poé­tiques… Quel serait pour vous le rap­port entre la poésie et la joie – de se retrou­ver, p.ex., d’être ensem­ble, de favoris­er la « com­mune présence » (Char) ?

 

La poésie est d’abord une soli­tude. Cepen­dant, très vite –presque simul­tané­ment- elle pos­tule la présence des autres. C’est ce que je nomme actuelle­ment le « tutoiement ».

 

La joie, non je ne peux faire usage de ce sub­stan­tif s’agissant du rap­port à ma poésie. Mais je reçois fort bien cette impul­sion en elle qui, me pous­sant à écrire, me pousserait à favoris­er la « com­mune présence ».

 

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2°)   Jean-Louis Chré­tien, philosophe-poète, pense que ce qui car­ac­térise la joie, c’est son incli­na­tion à dilater – le cœur, l’univers, les liens. La joie aug­mente. Pour Reverdy, la poésie « appa­raît chaque fois que l’auteur se fait une révéla­tion au-dessus de lui-même. » On pense à Pas­cal et à son affir­ma­tion selon laque­lle « l’homme passe l’homme »… Quel « ter­ri­toire » cherchez-vous à accroître en écrivant des poèmes ?

 

Son livre « La joie spa­cieuse » chez Minu­it est une excel­lente nour­ri­t­ure spirituelle.

 

Bien en accord avec la phrase de Reverdy. Mais cet instant au-dessus de soi-même  –et il est vrai : fugace­ment, survient une sorte de joie au ven­tre, lit­térale­ment physique–  cet instant de dépasse­ment donc donne la sen­sa­tion d’une ampli­fi­ca­tion de l’être que l’on sait aus­sitôt illu­soire face au réel. Toute­fois, rien du réel, même le pire de l’homme, n’empêche l’écriture (l’histoire lit­téraire existe aux côtés de la per­ma­nence des guer­res, crimes con­tre l’humanité, géno­cides, etc.) Il en va de même des arts en général.

 

Rien en tous les cas n’empêche d’écrire, avec par­fois dans son flux, la sen­sa­tion de se croire plus présent. Ni la con­science de la teneur illu­soire de cette amplification.

 

3°) Per­son­nelle­ment, j’aime bien imag­in­er la poésie comme une forge à images, à métaphores. Comme l’atelier où se con­coctent les « métaphores vives » (Ricoeur). Or, éty­mologique­ment, la métaphore, c’est ce qui déplace – le point de vue, la vision du monde, les idées. Poète créa­teur, bien sûr – et créa­teur de nouveauté(s). Il y faut du courage : quelle tonal­ité don­ner­iez-vous à cette espèce de courage : laborieuse, légère, surprenante ?…

 

Cette écri­t­ure dans mon cas a tou­jours pris une tonal­ité laborieuse. A savoir, pourquoi l’écriture plutôt que le silence ?  J’ai tou­jours éprou­vé des doutes quant à ce qui fonde le fait de s’adonner à l’écriture. J’ai pro­fondé­ment en moi, la notion de la dimen­sion col­lec­tive qui serait plus légitime que le fonds indi­vid­u­al­iste. Mais il s’agit d’un prob­lème mal posé. En effet, l’individu peut ne pas exclure l’autre. De même, le plus grand nom­bre ne doit pas écras­er l’émergence du singulier.

 

L’écriture est imman­quable­ment sur­prenante ; c’est ain­si que l’on éprou­ve cette « joie spa­cieuse » de Jean-Louis Chré­tien ou cet « au-dessus de soi-même » de Pierre Reverdy.

 

 

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4°)   La poésie, pré­tend Reverdy, c’est le lien entre moi et le réel absent. C’est cette absence qui fait naître tous les poèmes.  « … tout nous résume en nous absen­tant », écrit Serge (p.41) Dans la bible, l’homme créé par Dieu se dis­tingue par sa com­pé­tence à nom­mer les choses, les êtres. Mais ce tra­vail ne le rend pas heureux : pour être heureux, il lui fau­dra trou­ver une aide, à côté de lui, qui ne soit ni ange ni bête, mais un(e) parte­naire sus­cep­ti­ble de lui per­me­t­tre de fournir une sub­stance au mot « je ». Est-ce la quête de ce « tu » jamais vrai­ment disponible qui nous résumerait ?

 

Cette recherche du « tu » : oui ! C’est égale­ment, « le néant fer­tile » qui nous con­duit au « tutoiement ». Sor­tir de soi, ce n’est pas se con­tenter de cette sen­sa­tion d’amplification dont l’écriture peut être l’occasion. Ecrire donc, qui revient à sor­tir de soi, c’est suiv­re sa piste –un sen­tier muletier–pour en arriv­er au développe­ment d’un grand paysage que l’on peut com­par­er au tutoiement.

 

II. / Ques­tions posées à Serge

 

 

1°)   Dans le fab­uleux livre qu’il a inti­t­ulé « Qui/ si je cri­ais… ? » où il par­court des œuvres-témoignages, Claude Mouchard cite un texte du poète russe/soviétique Aïgui : « Plus ferme/ que la fermeté/ fonde­ment du silence/ le plus pur. » Com­ment com­prends-tu cette fer­meté du silence (qu’on aurait ten­dance, sou­vent, à qual­i­fi­er d’évanescent), toi, qui en as fait le motif/moteur de ton dernier recueil ? Aurait-elle à voir avec l’ardeur dont tu qual­i­fies le silence dès le titre du recueil ?

 

Le mot « pur » est bien un terme, une notion dont je ne crois pas avoir jamais fait usage dans mes livres, ni dans la vie… ! De même que celui d’absolu –si ce n’est pour le dénier.

 

Le dernier –l’ultime– état du silence, le pre­mier, le dernier : celui du néant, ce silence du néant, je le reçois, l’accueille, comme un silence fer­tile qui me pousse. Je dirais qu’il me con­duit au réel. Et c’est en cela que ce mou­ve­ment ne peut être qu’ardent. Comme est ardente la vie. Peut être pas nos vies mais la vie, elle-même.

 

Je conçois bien le « silence » comme une réal­ité ferme ; je ne le vois pas autrement. Cer­taine­ment pas comme évanes­cent, cela je ne le com­prends pas.

 

 

2°)   Le romanci­er Michel del Castil­lo affirme volon­tiers que toute parole naît du silence. Mais on com­prend que ce silence n’a rien à voir avec le silence « vide » qui a ren­du fou cer­tains mys­tiques ! C’est un silence habité, en quelque sorte : un silence qui écoute, ou pour écouter… Est-ce bien ain­si que tu ver­rais les choses, toi aussi ?

 

Un silence qui écoute : je ne crois pas. Je reçois ce silence plutôt comme l’indifférence du réel, l’indifférence naturelle à l’égard de notre présence. Ou la vie comme indif­férente à nos consciences.

 

Mais un silence pour écouter : oui. Pour­tant, il n’y a rien à écouter dans le silence si ce n’était ce « néant fer­tile » car si l’on entend en soi (l’oreille pro­fonde) ce qu’il y engen­dre, nous déci­dons  –un acte de notre volon­té–  de nous avancer ici et main­tenant, dans ce monde où nous sommes présents, présents à la vie.

 

 

3°) Puisque je viens d’évoquer les mys­tiques, en voici un, et non des moin­dres : Eck­hart, évo­quant le silence comme « voie d’accès vers le loin­tain intérieur et la cham­bre secrète où s’épaissit le mys­tère » – qu’on rêve de ren­dre présent dans le lan­gage. Se ris­quer à la lisière du mys­tère, est-ce le risque que tu prends en écrivant ?

 

Plus main­tenant. Il est sans doute vrai que marchant aux lim­ites du lan­gage (les 4 Silo), je décou­vrais la tau­tolo­gie, l’enfermement, la lim­ite de la con­science humaine et l’écriture comme métaphore de cette tautologie.

 

         Quelques livres après Silo, la courbe par­tie des mots s’est infléchie vers les choses, courbe aus­si du silence vers la présence, du je vers le tu : soit dans chaque sit­u­a­tion : voie de l’acquiescement à la vie, par là, la dif­fi­cile accep­ta­tion de l’impermanence et de la mort.

 

Aujourd’hui, je prends plus le risque de l’autre, le tutoiement. J’éprouve une réti­cence au mot de mys­tère car je le crains quand on en fait usage  pour bar­rer celui de con­science. J’admets forte­ment que nous sommes tant dépassés par le fait qu’il y a quelque chose plutôt que rien. Telle­ment, lim­ité dans l’illimité. Mais je n’éprouve pas à par­tir de cela la néces­sité per­son­nelle ou col­lec­tive d’une tran­scen­dance qui serait, par exem­ple le « mystère ».

 

 

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4°)   Dans un livre remar­quable qu’elle a inti­t­ulé « L’œil de l’âme », Jeanne-Marie Baude pré­tend que « dans la péri­ode de dépérisse­ment spir­ituel que nous tra­ver­sons, il nous faut sans doute sor­tir du silence. » Le pens­es-tu aus­si ou, au con­traire, aurais-tu ten­dance à dire qu’il s’agit plutôt d’y demeur­er et de le creuser ? Et est-ce qu’on pour­rait dire qu’à cer­tains moments le silence est assour­dis­sant – et qu’il faut en sor­tir pour s’entendre ou se com­pren­dre encore ? C’est un peu la ques­tion du « pour­ri­t­ure du silence » (p.63) qui se pose ici peut-être…

 

 

Je ne sais trop com­ment « demeur­er dans le silence et le creuser» n’empêche nulle­ment de par­ler. Je pencherais même que, ce faisant, il y aurait comme une oblig­a­tion vitale à en sor­tir une parole. Le silence nous pousse lit­térale­ment à pren­dre con­science ici et main­tenant.

 

5°) « Attein­dre l’ignorance qui nous devance, écris-tu p.44 (…) L’ardent silence qui manœu­vre dans ma langue, est comme l’évidement du  je pour ne laiss­er de lui que ce qui y manque. »

« Efface­ment », sug­gère Jac­cot­tet. Tsim-Tsoum dis­ent les Juifs quand ils par­lent de la manière don Dieu créa le monde – en s’en reti­rant. Qu’est-ce qu’on vise à tra­vers ce retrait ? Le rien ? La simplicité ?

 

Si  l’on se laisse fascin­er, sub­juguer par la ques­tion que pense-t-on le silence nous poserait, le silence est effec­tive­ment « assour­dis­sant ». Il empêche de revenir en soi, au silence de « l’oreille pro­fonde » vibrant de la même vibra­tion que le silence du monde. Cette iden­tité des vibra­tions résulte aus­si d’un acte de notre volonté.

 

Cette igno­rance qui nous devance, c’est sans doute, la capac­ité à se délester de la rai­son tyran­nique pro­pre à la tra­di­tion occi­den­tale. Cette rai­son qui si sou­vent despo­tique s’impose en imposant le « je » comme son bras armé et vio­lent, faisant vio­lence au véri­ta­ble moi, celui qui s’efface pour mieux s’ouvrir au réel, à la vie, au tutoiement.

 

Il faut se retir­er pour être présent.

 

 

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6°)   « Je suis paysage dans le paysage », écris-tu p.12 Cette affir­ma­tion con­sonne pour moi avec cette sug­ges­tion de Jacques Reda : « Car s’il est vrai qu’on apprend à mieux se con­naître quand on voy­age, on fait aus­si l’expérience d’une cer­taine déper­son­nal­i­sa­tion, comme si l’on se trans­for­mait en un libre espace dont celui qu’on explore devient à son tour le promeneur. » Dirait-on que le silence nous découvre ?…

 

 

Mag­nifique l’écho que tu m’offres, ce « libre espace » que l’on peut induire en soi dans la marche. Oui, le silence nous décou­vre ; comme le paysage et comme le silence du paysage, aus­si nous découvrent.

 

 

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7°)   « Chaque chose est pierre d’achoppement, non pas pour les laiss­er der­rière soi mais pour les tra­vers­er. » La pierre d’achoppement, c’est le scan­dale (en grec) : c’est ce qui fait chuter. Quelle serait ta « philoso­phie » du scan­dale ? Et com­ment s’y pren­dre, le cas échéant, pour le tra­vers­er (plutôt que le con­tourn­er ou l’éviter) ?

 

 

Si le scan­dale est le fait que rien ne nous est don­né du sens de ce monde où nous sommes, si le scan­dale est le fait qu’il n’y a pas de sens à la présence du monde ain­si qu’à la nôtre, à la vie (et dans son cas, le sens est la vie même), la pierre d’achoppement est dou­ble­ment le « néant » et le « réel » : les tra­vers­er nous  revient. Effectuer ces tra­ver­sées, revient à admet­tre ce que nous sommes et ne sommes pas, ne pour­rions pas être, accepter notre « ici et main­tenant ». Le réel (néant inclus) nous con­duit vers son imma­nence, et ain­si, cette imma­nence du réel, nous la sen­tons nôtre.

 

 

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8°)   Affût, vig­i­lance, attente, patience, (espérance ?)… Etre poète, c’est être veilleur, guet­teur (« ardent, ce guet ouvri­er tou­jours à ses com­mence­ments », p.40) Guet­teur d’aube, comme le moine ? Guet­teur obsédé comme le mil­i­taire dans « Le désert des Tartares» de Dino Buz­za­ti ?  En attente de quoi ?

 

En attente de rien. C’est une attente sans objet. Une attente qui n’a pas de but. Quoi que, cette attente soit la mise en disponi­bil­ité de soi à ce qui pour­rait arriv­er et que l’on ignore. Mais cette attente n’a pas la révéla­tion du sens comme réso­lu­tion : il n’y a pas de réponse à la question.

 

L’attente est une ten­sion dynamique de l’intérieur de l’être vers son extérieur. L’attente, c’est, en effet, guet­ter l’aube pour y puis­er l’acquiescement en une sorte d’immobilité active.

 

 

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9°)   « L’emprise du silence sur le lan­gage, la supéri­or­ité de la patience sur l’attente : jeuness­es per­ma­nentes de la sim­plic­ité. » (p.33) Que peux-tu nous dire de cette patience ?

 

Cette patience serait une sorte de con­fi­ance dans l’attente, en laque­lle nous trou­ve­ri­ons l’acquiescement au monde.

 

 

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10°)   « Celui-là même enfin, ce silence, qui à perte de vue s’est soumis à un impren­able ‘il y a’ » (p.22) « Formes accom­plie du silence, ce qu’il y a, pollen, qui propage une même per­sis­tance des lieux. » (p.28) Je pense à ces réflex­ions d’Emmanuel Lév­inas à pro­pos du fond de tout : cet « il y a », pré­cisé­ment, qui n’est pas silence, à pro­pre­ment par­ler, mais mur­mure vague­ment inquié­tant… Cet « il y a », toi, com­ment le ressens-tu ? Que te « dit »-il ?

 

 

Cet « il y a » ne m’inspire pas l’inquiétude, l’intranquilité certes, mais avant tout, il ne faudrait peut être pas utilis­er l’adjectif démon­stratif « cet » qui établit un face à face. Or nous sommes par­tie de l’« il y a ». En ce sens, il n’y a ni espérance ni dés­espérance, l’ « il y a » est. Il n’appelle pas de sens puisqu’il ne pose pas de question.

 

« Il y a » est le lieux où par un acte de notre volon­té, nous pou­vons ral­li­er « cette cham­bre d’où nous ne sommes jamais sor­tis » en ten­tant d’y rejoin­dre ce que nous y sommes et comme nous en sommes.

 

 

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11°)  Car tu notes ailleurs (p.43) : « Le silence détaché de ses sources défait ce qui l’approche… » Pour éviter le chaos de la destruc­tion (voire de la vio­lence), sur quelles sources peut-on compter ? Sur quelque chose qui serait à voir, comme les fameux « éclats » de lumière chers à André Dhô­tel ?… « Il y a une com­mune présence du silence et de la lumière, écris-tu par ailleurs. Ils for­ment cette plaine de la réciproc­ité où l’on trou­ve que l’un con­tin­ue l’autre. » (p.51) Com­ment inter­préter cette continuité ?

 

 

Toute la vie sociale repose sur cette idée de source. En effet, sur quelle source nous fon­dons-nous pour éviter le chaos, la destruc­tion, la vio­lence ? Quelle tran­scen­dance ou caté­gorie supérieure de la pen­sée, quel universel ?

 

Aujourd’hui, en nos XXème et XXIème siè­cles, je pense que nous sommes, quels que soient les tran­scen­dances, face à des réc­its. L’homme, la société, l’histoire nous l’ont montré.

 

La source où je con­sid­ère que l’on peut, une fois encore –si ce n’est la dernière–  chercher des fonde­ments à notre con­duite, c’est pré­cisé­ment cet « il y a ». Cet « il y a » duquel nous pou­vons tir­er les leçons qui sont d’abord en nous (ne pas oubli­er que nous sommes par­tie de cet « il y a »). La vie qui s’entend avec elle-même. La plante qui pour­suit la lumière.

 

La con­ti­nu­ité répond dans mon esprit à l’absence d’unité. Il n’y a pas d’unité en ce monde pour l’homme. Dieu n’en est pas une, la sci­ence n’en est pas une (et avec elle la ratio comme sur­plomb sur l’homme) : il n’y a pas de tran­scen­dance. Il n’existe aucun sur­plomb sur l’homme.

 

L’immanence –ici et main­tenant– est cette con­ti­nu­ité entre l’ici et le main­tenant, entre l’homme, la vie et la mort. La con­ti­nu­ité est ce qu’il résulte de l’opposition des con­traires. La con­ti­nu­ité m’est inspirée par l’ « il y a » et le rap­port où je me perçois avec le monde. La con­ti­nu­ité est un acte de volon­té. C’est une dis­ci­pline intérieure qui me porte au-dehors. Ce n’est pas exacte­ment une éthique, ce n’est cer­taine­ment pas une morale. C’est, je dois bien l’admettre, une con­duite –une dis­ci­pline intime– dont le fonde­ment est encore à l’état d’intuition. Cepen­dant, je ressens ce fonde­ment, comme vril­lé au ven­tre tel une intu­ition animale.

 

 

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12°) « La ques­tion du silence est absurde, ayant pris au silence sa pro­pre absur­dité, comme il serait absurde de ne pas pos­er la ques­tion du silence. » (p.55) Com­ment com­pren­dre cette espèce de para­doxe ?  Comme l’expression de la lim­ite de la pen­sée ? Ou comme le point de levi­er qui per­me­t­tra de bas­culer vers un ailleurs de la pen­sée : cf. « Dire dans le silence : ‘la pen­sée n’éclaire rien, ni même, ce rien qu’elle laisse devant elle’. »

 

 

Expres­sion de la lim­ite de la pen­sée et comme point de levi­er qui con­duit vers un ailleurs de la pen­sée. Se pos­er la ques­tion « pourquoi nous sommes là ? » n’a pas de sens. Comme pos­er cette ques­tion au silence même. Ne pas se la pos­er serait une incon­séquence grave car nous sommes des êtres de pro­fondeur ; sinon que faire de la con­science et de la pen­sée ? Toute­fois, la réponse à cette ques­tion qui ne con­naît pas de réponse ne doit pas atten­dre de la rai­son la réso­lu­tion qu’elle appelle.

 

Cette réso­lu­tion  –qui n’est pas réponse–  néces­site de se laiss­er porter par l’ « il y a ». Nous devons nous effac­er et surtout met­tre en retrait cet occi­dent de la rai­son. Notre corps peut rejoin­dre le corps du monde. C’est peut être ce qu’il appelle le plus pro­fondé­ment et nous enten­dons mal cet appel, pen­sant qu’il est néces­sité d’une tran­scen­dance. Le corps réclame de nous une éman­ci­pa­tion de l’homme.

 

 

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13°) « Le silence, c’est le lan­gage du monde à venir », affir­mait le moine Isaac le Syrien. Pour­rais-tu faire tienne cette affir­ma­tion ?  Et que serait alors le silence de l’écriture – ou le silence écrit ?…

 

Si le silence est le partage, la com­mune foulée avec l’ « il y a » que je nomme sou­vent « le paysage », je peux effec­tive­ment faire mienne cette phrase d’Isaac le Syrien. Le silence de l’écriture serait une écri­t­ure qui ne recour­rait plus au réc­it pour se développer.

 

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Pour finir en ne finis­sant pas…

 

 

Jean-François, main­tenant que j’ai répon­du à ces ques­tions si rich­es,  –bien que ce soit là des ques­tions aux­quelles nous n’avons jamais fini de répon­dre…–, il faut tout de même écrire ici que le poète a tout dit de ce qu’il peut dire dans la poésie qu’il écrit. Il faut dire que le poète est sans système.

 

Si le poète ajoute à son texte, c’est qu’il a pu dire tu à celui qui l’a inter­rogé et que ces mots de plus sont essen­tielle­ment l’exercice du tutoiement.

 

 

Jean-François, je t’adresse un très grand mer­ci pour le tra­vail que tu as fourni. Très stim­u­lant. J’espère que ce que cela a déclenché en moi est à hau­teur de ta profondeur.

 

 

Serge

 

 

 

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