Requiem de Marie-Josée Desvignes

    Comment énoncer la douleur ? Rendre compte. Transmuter pour dire ? Comment l’expulser du signe, la restituer dans toute sa puissance au fil percutant des mots ? Tant de tentatives aux chemins de la Littérature, avec toujours cette même acuité du silence à atteindre pour en soulever l’intensité.
     Marie-Josée Desvignes tente cette gageure, dans Requiem, hymne à la douleur crue, non tue, parlée dans une langue plurielle qui oscille entre pudeur métaphorique et énonciation assumée.
   Dans la forme elle tente. Prose et poésie se mêlent au parcours des pages qui alignent des typographies hétéroclites. Métaphore du morcellement, de la dislocation, de la sidération, ponctuée par des encres de l’auteure qui soutiennent cette pénétration au désastre au train des mots qui avancent.
   Dans les mots elle tente. Elle, présente aux jets des existences énoncées, elle assume la parole et donne à recevoir les strates du temps à porter la souffrance. Dans la violence des heurts à la page, se dessinent
 

Lumière blafarde- nuit sur le monde et – la lune à son plein
L’enfant expulsé-déchaînement torrentiel-en même temps que les
eaux-en une seconde-là-pas encore cadavre-mais-à l’agonie
-rejeté aux rives d’un silence profond-Bousculade dans les couloirs
-cris étouffés des blouses-ne vois plus rien-suis devenue sourde
-suis-avec mon enfant-ne demande pas à le voir-suis avec lui-
en lui puisqu’il n’est plus en moi-suis là-lui là-bas-qui est-il ? Où
est-il ? NOIR-tension heute, très haute, perfusion-on tire le lit dans
le clouloir, on l’emmène dans une autre salle-NOIR.
 

    Expurger, exorciser dans la parole à la page, dans le trait vertigineux des signes, pour ne pas oublier. Marie-Josée Desvignes est celle qui dit non, qui refuse de se taire, telle Antigone, convoquée au recueil, première femme de la littérature à se dresser contre l’horreur, à refuser d’accepter.
 

Antigone lui chantait à l’oreille. Elle, pouvait dormir en paix-sa crypte scellée loin du monde. Derrière ta pierre encore chaude, entends ma prière-
 

A la douleur du vide s’affronte la réminiscence de la première naissance-à peine quelques prémisses-quelques minutes-quelques efforts sereins.
Il y en aura d’autres puisque rien n’a eu lieu.
 

    Requiem, tombeau désiré des souffrances, ne pouvait pour ensevelir l’incapacité à énoncer la douleur offrir que cette ultime épaisseur, qui n’est pas celle du signe, impossible, ni celle formelle d’un alignement orthonormé de textes énumérés au protocole d’un recueil poétique. Mais dans la multiplicité des dislocations paradigmatiques et formelles Marie-Josée Desvignes enchaîne avec intensité les univers dramatiques comme un orchestre conduit les notes à l’ultime mélodie d’un silence qui, après l’avoir lue, donne toute sa puissance aux émotions suscitée par sa lecture.