Résonance Générale
La dernière livraison de la revue, dirigée par Serge Martin, Laurent Mourey et Philippe Païni, s’accompagne d’un billet de l’éditeur annonçant la fin de cette aventure éditoriale – ce dont tout lecteur se désolera, autant en raison de la qualité des contenus que de l’élégance de cette publication en cahiers cousus, façonnés de façon traditionnelle, et imprimée sur un beau papier ivoire.
Ce qui caractérisait (il me pèse de l’écrire au passé) l’esprit de Résonance générale, c’était son « refus de la séparation lire-écrire-penser-vivre » - refus également de la séparation entre poème et théorie, d’où le sous-titre cahiers pour la poétique.
S’ouvrant sur un édito commun des « rédacteurs de la revue » intitulé « Manifeste continué », chaque livraison regroupe les textes en diptyque ((on en trouve la liste sur le site de l’éditeur, avec la possibilité d’acheter les numéros restant, ainsi que le numéro 10, qui clôt la série, au prix exceptionnel de 10 euros )) dont les titres sont repris sur la couverture.
« Insaisissables danses, tes miracles » annonce le numéro 8, qui présente des textes de Charles Pennequin, Matthieu Gosztola, Alfred Jarry, Thierry Romagné, Frédérique Cosnier, Guy Perrocheau et Serge Riman, ainsi qu’un cahier de photos noir & blanc d’Adèle Godefroy.
Le poétique « manifeste » - rien d’explicatif, dans ces textes liminaires que le lecteur reçoit comme un poème-essai en prose d’ouverture – est inscrit sous l’égide des danseurs de L’Iliade (livre XVIII) et cite, outre Georges Did-Huberman Patrick Boucheron et Alice Godfroy. Je retiens ces lignes du premier: « N’est pas n’est que pas dansé-mouvant et c’est ce qui fait corps et phrase /En longueurs inégales pas en ressac non plus dans les rythmes la fibre (…) » et ce passage dont la résonance me met en condition d’accueil des textes et poèmes qui suivent :
tout ce qui fait consonance est la meilleure voie vers la nuit
la solitude et le silence sans aucune servitude dogmatique
pour déployer l’espace intérieur d’une danse même dissonante
où s’entend toujours la pluralité des corps vifs ou morts
Résonance générale : cahiers pour la poétique,
revue semestrielle, numéros 8 et 9
L’Atelier du grand tétras, 128 p, 12 euros.
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C’est par l’intermédiaire de Théodore de Banville que « La Ronde des nuits debout » dans le numéro neuf, se place elle, sous le drapeau de l’insurrection ; patronage dont la surprise se dissipe dès l’abord : il s’agit du poète des « heures heureuses » sous l’égide duquel se place l’édito jubilatoire et critique. On y souligne ce qui fait l’originalité de la revue : son côté collectif, sans revendication d’ego – un collectif dans lequel le poète, parce qu’il incarne la marge, a sa place pour « mettre le doigt là où ça parabole » - faire sens avec les événements, entraînés dans « la rOnde » (sic) qui clôt aussi la livraison de façon tout à fait exemplaire. Françoise Delorme, Rolf Doppenberg, Nathalie Garbelli et Isabelle Sbrissa se sont engagés dans un échange circulaire de poèmes – « une écriture singulière et collective, une ronde poétique qui se construit au fil des textes et que nous envoyons dans des enveloppes timbrées » entre le 23 mars 2015 et le 21 septembre 2016, nous donnant à lire seize textes librement inspirés les uns des autres, par un jeu de déplacements, d’échos et de résonances, qui suscite des parcours ludiques de lecture – jeu dont on aurait aimé qu’il se prolonge, comme ce flux souterrain évoqué dans le dernier courrier :
et la rivière souterraine
comme une Durance d’en bas,
une durance sous-sol
toute une Provence phréatique s’abouche à la mer
durance de fond
ses eaux douces viennent se mêler à l’eau de mer
même son embouchure est sous les eaux
Entre les deux – le manifeste aux couleurs de révolte, et la confluence imaginaire de cette durance poétique – on découvrira une série de réflexions sous forme de poèmes d’Arnaud Le Vac. « Une vie humaine » interroge les idéologies de notre siècle, les désastres du précédent, et sous le titre « Soleil, cou coupé » (où l’on reconnaît le dernier vers de Zone, d’Apollinaire ), interroge la fonction de l’artiste ou du poète :
« Pas d’erreur sur l’heure,
c’est de ce siècle
que l’on voit et parle aujourd’hui.
D’un sujet autrement
souverain.
Et de ce qu’il aura fallu vivre :
l’esprit en fuite,
le rire en tête,
la vie dans tous ses états,
pour reconnaître et célébrer
ce qui importe. »
Guy Perrocheau, Angèle Casanova (avec dix poèmes autour de « pandore eve épouse de Barbe bleue » et de la tentation scopique), Chantal Danjou, dont on relève la magnifique image « l’Horizon est le chien rouge qui s’approche de la nuit », Marie Desmée et le texte d’Alexis Hubert sur les lavis de Philippe Agostini composent la première partie « des nuits debout ». Serge Ritman ouvre la seconde, consacrée à « la rOnde » déjà évoquée.
Une partie « on continue » propose, p. 112, des notes de lecture, et p. 118, Serge Martin offre aux lecteurs un texte provenant d’une journée d’études à La Sorbonne Nouvelle en juin 2017, qu’il intitule « Pasolini et le pathos ou le poème au plus près », dans lequel la philosophie qui a guidé les années « Résonances Générale » et son « énonciation échoïque » (p. 123) se trouvent magnifiées et explicitées. Je ne peux qu’inciter le lecteur de cette note à se précipiter sur le site de l’éditeur pour se procurer ce numéro et le suivant, le dix et dernier, hélas.