Retour au pays d’avant-naître : lire (ou relire) Gilbert-Lecomte

Par |2021-09-07T02:57:17+02:00 6 septembre 2021|Catégories : Essais & Chroniques, Roger Gilbert-Lecomte|

Roger Gilbert-Lecomte (1907–1943), fig­ure mythique pour cer­tains et génie mécon­nu pour d’autres, était, avec Roger Vail­land et René Dau­mal, l’un des fon­da­teurs du Grand Jeu, groupe rival des sur­réal­istes. Il faut lire son œuvre prin­ci­pale, La Vie l’Amour la Mort le Vide et le Vent, pour com­pren­dre la sin­gu­lar­ité de cet auteur qui s’était promis d’écrire peu, « de n’écrire que l’essentiel. »

En abor­dant ce recueil de Gilbert-Lecomte, le lecteur ne tardera pas à retrac­er l’influence rim­bal­di­enne par la volon­té du poète de se faire voy­ant, de dépass­er les lim­ites du lan­gage. Mais peu à peu, au fil des pages, l’œuvre du poète se veut tou­jours plus exigeante, évo­quant une quête des orig­ines car­bu­rant à des « éner­gies destruc­tri­ces à faire sauter le monde ». Artaud, qui a pré­facé le livre, saluera « ce ton organique, cette atmo­sphère déchirée d’or­ganes, cet air fœtal, humide, ardent, qui prend sa source à la source de toute vie. », par­ti­c­ulière­ment frap­pant dans les trois dernières sec­tions du recueil (la Mort le Vide et le Vent).

Roger Glbert-Lecomte, Je veux être con­fon­du ou La Halte du prophète, France Cul­ture, Hom­mage à Roger Gilbert-Lecomte par Pierre Minet, voix  Alain Cuny.

Le lecteur con­tem­po­rain, con­fron­té à l’imminence d’un effon­drement de notre civil­i­sa­tion ther­mo-indus­trielle, tombera sur de nom­breux pas­sages prophé­tiques, épous­tou­flants, qui redonnent une per­spec­tive inusitée à cette œuvre longtemps oubliée :

 

À l’ori­ent pâle où l’éther agonise 
À l’oc­ci­dent des nuits des grandes eaux 
Au septen­tri­on des tour­bil­lons et des tempêtes 
Au sud béni de la cen­dre des morts.

 

Sou­vent, créa­tion et destruc­tion, quête des orig­ines et instinct de mort se con­fondent, con­férant à ces poèmes une trou­blante actualité :

 

Pourquoi mourir encore alors qu’on vient de naître 
À la vie à la mort 

Sous le rire con­cave du ciel 
Quand la nuit ronge 

Que la tête à l’en­vers som­bre sous l’horizon 
Lestée d’un poids uni­versel à la mâchoire 
Han­tée d’un vide uni­versel à la mémoire.

                             ∗∗∗

Il remon­tait si loin le courant de sa vie
qu’il se trou­vait per­du au pays à l’envers
où l’on erre avant la naissance

Il rêvait rêvait-il
il changeait de planète 
S’éveillant, s’endormant sans cesse et tour à tour 
au tic tac cérébrale de l’horloge du sang

S’en­dor­mant sans cesse dans des som­meils plus creux

S’éveil­lant chaque fois plus loin dans la lumière
Plus près du feu
Plus bas dans l’eau mortelle des ténèbres.

Le recueil se ter­mine par des textes de Lecomte, la plu­part pub­liés dans les numéros de la revue Le Grand Jeu. Ces textes per­me­t­tent de saisir toute l’ampleur de la démarche des auteurs du Grand Jeu, qui com­por­tait une part de risque et d’engagement au moins égales à celles des surréalistes.

Roger Gilbert-Lecomte, Je n’ai pas peur du vent. 

L’horrible révélation…la seule, qui évoque, sur un mode prophé­tique, la destruc­tion de l’Occident et les poten­tial­ités cachées de l’esprit, reste un incon­tourn­able de Gilbert-Lecomte, qui met ses con­nais­sances philosophiques et méta­physiques au ser­vice d’une révéla­tion implacable :

 

Ton esprit d’Occident n’était qu’un moment de l’évolution didac­tique du

grand Esprit.

O vex­a­tion, tu n’étais même que le moment négatif de l’esprit du sauvage et

vos con­tra­dic­tions vont s’identifier. 

                                                       ∗∗∗

Sou­venez-vous, hommes, du fond cav­erneux de vous-mêmes : votre peau n’a pas tou­jours été votre lim­ite. Il fut un temps où la con­science n’était pas empris­on­née dans cette out­re puante, un temps où le cer­cle mag­ique des hori­zons lui-même ne suff­i­sait pas à empris­on­ner l’homme. Et je ne par­le pas seule­ment d’Eden dont les clô­tures étaient de rêve.

Il faut lire ou relire Gilbert-Lecomte en 2020 et prof­iter pleine­ment des ful­gu­rances du poète, qui jet­tent un éclairage par­ti­c­ulière­ment frap­pant sur nos ténèbres contemporaines.

Roger Gilbert-Lecomte, Hom­mage excep­tion­nel dans l’émis­sion “Soirées de Paris”, dédié aux poètes du XXème siè­cle, dif­fusée le 29 décem­bre 1963 sur la Chaîne Parisi­enne, réal­isée par Pierre Minet et Michel Dup­lessis, avec le témoignage de proches. 

Présentation de l’auteur

Roger Gilbert-Lecomte

Né à Reims le 18 mai 1907, Roger Lecomte – qui devien­dra Roger Gilbert-Lecomte en 1928 pour se démar­quer de son père – est un poète rémois et pili­er de la revue Le Grand Jeu.

Il fait ses études sec­ondaires au lycée des Bons Enfants de Reims où il  ren­con­tre René Dau­mal, Robert Meyrat et Roger Vail­land. Les qua­tre lycéens for­ment ensem­ble le groupe des « Phrères sim­plistes ». Le groupe d’amis obéit à la doc­trine du « sim­plisme », qui con­siste à préserv­er résol­u­ment l’e­sprit de l’enfance.

Il entre^rend ensuite des études de médecine, et ren­con­tre Léon Pierre-Quint, co-respon­s­able des Edi­tions du Sagit­taire, qui apporte une aide pré­cieuse aux Phrères et au pein­tre Joseph Sima pour créer la revue Le Grand Jeu en 1928 (BM Reims, RES ATL 125). La revue se place à la fois dans la mou­vance du sur­réal­isme et dans le refus de s’y fon­dre. Ce posi­tion­nement déplait à André Bre­ton qui attaque vec vir­u­lence Roger Vail­land. Ce dernier quitte la revue qui va s’ef­fon­dr­er. Roger Gilbert-Lecomte som­bre de plus en plus dans la drogue. Il pub­lie en 1933 La Vie, l’Amour, la Mort, Le Vide et le Vent, ain­si que Le Miroir noir en 1938. C’est finale­ment à l’âge de 36 ans qu’il décède à Paris, le 31 décem­bre 1943.

        Bibliographie

  • Le Grand Jeu, revue (la col­lec­tion com­plète, c’est-à-dire les numéros 1, 2 et 3, ain­si que les épreuves du numéro 4 jamais paru, a fait l’ob­jet d’un reprint par les édi­tions Jean-Michel Place en 1977).
  • La Vie, l’Amour, la Mort, Le Vide et le Vent, édi­tions des Cahiers libres, 1933. Rééd. par les édi­tions Prair­i­al, 2014.
  • Le Miroir noir, coll. « les feuil­lets de Sagesse », éd. Tschann, 1937. Rééd. à la suite du précé­dent recueil par les édi­tions Prair­i­al, 20

        Parutions  posthumes

  • Tes­ta­ment, Gal­li­mard, coll. « Méta­mor­phoses », 1955.
  • Mon­sieur Mor­phée, empoi­son­neur pub­lic, Fata Mor­gana, 1966 ; rééd. Allia, 2011.
  • Arthur Rim­baud, pré­face de Bernard Noël, Fata Mor­gana, 1971 ; rééd. Édi­tions Lurlure, 2021.
  • Cor­re­spon­dance. Let­tres adressées à René Dau­mal, Roger Vail­land, René Maublanc, Pierre Minet, Véra Milano­va et Jean Puyaubertn Gal­li­mard, 1971.
  • Tétanos mys­tique, Fata Mor­gana, 1972.
  • L’Hor­ri­ble révéla­tion, la seule…, Fata Mor­gana, 1973.
  • Œuvres com­plètes, 2 tomes, Gal­li­mard, 1974–1977.
  • Caves en plein ciel, Fata Mor­gana, 1977.
  • Neuf haï kaï, Fata Mor­gana, 1977.
  • Poèmes et chroniques retrou­vés, éd. Rougerie, 1982.
  • Let­tre à Ben­jamin Fon­dane, éd. Les Cahiers des Brisants, 1985.
  • Mes chers petits éter­nels, L’Éther Vague, 1992.
  • Joseph Sima, éd. L’Ate­lier des Brisants, 2001.
  • Écri­t­ures, édi­tions Mar­guerite Wak­nine, 2015.

Poèmes choi­sis

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Martin Payette

Mar­tin Payette tra­vaille en fran­ci­sa­tion avec les immi­grants. Il a pub­lié ses textes dans plusieurs revues de poésie (Exit, Estu­aire, À l’index, Recours au poème et Nyxx) et vient de pub­li­er un pre­mier recueil de poésie en France, Don Juan et le mode tur­bo, avec la mai­son d’édition À l’index.

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