REVU, La revue de poésie snob et élitiste

Il y a certes du dandysme dans la posture qui consiste - de nos jours - à présenter une revue comme "snob et élitiste", et au fond, c'est loin de nous déplaire : nous n'aimons guère les meutes ou les troupeaux, encore moins la bien-pensance respectueuse de l'air du temps et des idées en vogue... Qu'on revendique une position différente de la doxa est une belle chose en poésie comme dans la vie...

Voici donc, dès la couverture (sobre, photo de fougères monochrome sur fond ocre, le titre en beaux caractères blancs art déco...) une revue très élégante qui, une fois ouverte dévoile, sur de belles pages ivoire,  une profusion de textes, dessins et photos en n&b...

REVU, la revue de poésie snob et élitiste,
numéro 4/5,  "Pieds nus sur la lande",
130 p., 5 euros, ou par abonnement, par chèque
à l'ordre de l'association REVU 
59 rue Voltaire, 54520 Laxou

Feuilletons-la comme elle nous y invite, et découvrons  l'édito, qui nous annonce tout de go la position de la rédaction  - dont on comprend, à la lecture de cette livraison, tout ce que la posture initiale enferme de vérité, et de provocation amusée :

 

Effort semble soudain le mot qu'il faut pour faire le tri, après tant de concepts, d'avant-gardes et de commentaires – on a oublié qu'écrire de la poésie demandait un effort. La poésie s'étudie au cordeau.

 

Cette "petite corde tendue entre deux points fixes afin de tracer des lignes droites, utilisée notamment dans le bâtiment et en horticulture" selon la définition du TLF nous amènera à envisager la poésie comme un jardinage (et je repense au charmant Parcelle 101 de Florence Saint-Roch recensé sur ces pages en octobre) . Toutefois, je ne peux m'empêcher aussi de penser à "L'unique cordeau des trompettes marines" qui nous ramène à la poésie d'Apollinaire - et me voici en condition pour lire ce numéro double de la revue.

        numéro 1.

 

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numéro 2.

 

 

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numéro 3

Le "sommaire", lui,  annonce 4 volets : poèmes en archipel, Relâche, Dossier (ici "pieds nus sur la lande" - mais les numéros précédents portaient sur "La Psychologie des mouettes" ou "La Ville à nos pieds" et l'esprit des bardes) et enfin :  Situations. Le premier volet - qui se réfère au titre de René Char - s'ouvre sur deux double pages de photo (la même, et son "écho" inversé) accompagnées de cette légende : "Les Poèmes en archipel invitent à se perdre dans les chemins des peaux et des forêts. Tel le Petit Poucet rêveur guidé par le chuchotement d'un fleuve, on y croisera les animaux curieux des contes : à moins que le parchemin des corps à nu ne nous égare vers un désert peuplé de mirages." Il regroupe des textes qui se parlent ou se font écho, comme toujours les voix poétiques. On y retrouve Fabrice Farre dont nous avons récemment présenté un recueil , Hawad, traduit par l'auteur et Hélène Claudot-Hawad, présentant aussi la version originale en tamajaght, Dom Corrieras qui nous emmène sur les chemins "De Bordeaux à Roncevaux", avec "Vingt kilos sur le dos / ma sueur soignant mon âme", et de belles gravures de Gérard Hutt et Michèle Forestier...

Le volet "Relâche" se présente (toujours sur la luxueuse double page de photo) comme "cabinet curieux, lieu de la friction, du mélange des genres, de l'insolite, espace du jeu et de la bigarrure, îlot désemparé, oeuvre vive, carène fissurée". Y sont proposées de curieuses recommandations de Roy Chicky Arad, traduit par Marianne Louis, desquelles nous relevons celle-ci (pas la plus étrange !) :

 

Je conseille à mes lecteurs

de s'asseoir près de la fenêtre

et d'éviter la guerre par tous les moyens

il n'en sortira rien de bon

et évitez aussi les luna parks. Ça ne vaut vraiment pas

le déplacement (...)

 

On y lit aussi la biographie fantaisiste d"une imaginaire Lisette Poupidor par Alexane Aubane, de vrais textes d'un illustre inconnu ou de Pierre-Albert Birot, dans un article intitulé "De REVU à revue SIC (1916-1919)" - frère aîné revendiqué, donc, et dont  l'importance et l'originalité ne sont  pas à démontrer, cette publication ayant accueilli - mais qui l'ignore? - Philippe Soupault, Pierre Reverdy, Gino Severini, Pablo Picasso, Blaise Cendrars, Tristan Tzara...

Le "dossier" quant à lui interroge l'état et la variété de la poésie contemporaine, à l'ère des nouveaux médias en particulier, en présentant un aperçu des différentes directions où s'aventure la poésie – des recherches formelles renouant avec la tradition, aux nouvelles formes à lire et écouter... Il s'ouvre sur un texte de Chloé Charpentier, "La Poésie est un jardin". La métaphore qu'y file l'auteure s'accompagne d'une "bibliographie verte" citant Le Jardin Perdu chez Actes Sud (2011), et les ouvrages des poètes cités au cours de l'article (Gilbert Vautrin, Gilles Baudry, Tahar Ben Jelloun).

Suit un écrit de Mathieu Olmedo consacré à "La Sorgue en Kayak avec Dom et René Char" – texte sur la parole "percutante" du poète, et son intérêt pour le monde végétal... tempéré par les considérations de Dom, lors de la descente en kayak annoncée dans le titre, considérations qui permettent à l'auteur d'aborder l'intérêt des aphorismes du poète, avant de se conclure sur un bel hymne à La Sorgue, dont les vertus "sont semblables à celles de la poésie. Lié au mouvement et au jaillissement, le poème est comme le cours d'une rivière, un cri propice à l'abandon, au brouillard, au sinueux, à l'incomplet (...). C'est un très beau texte, très géopoétique, que je relirai volontiers - j'y laisse un marque-page (et pour rester dans l'humeur générale de ce numéro horticole, je choisis plutôt d'y mettre une fleur séchée).

Etonnant dans ce dossier, également, la "recette" pour réaliser un iris en origami (ainsi s'explique la feuille pliée étrangement collée à la fin du numéro, où se lisent les mots du poème qui n'apparaîtra qu'une fois  le pliage réalisé – très poétique idée due à Théo Maurice). Le dossier contient aussi  une série de dessins et photos de paysage "déshabités" (si l'on me permet le néologisme), et un texte d'ana nb intitulé :"(images et sons captés lors d'une contemplation dans un jardin sauvage)" - il s'agit du listage (accompagné de chiffres dont j'ignore le sens) entrecoupé de paragraphes/strophes décrivant le parcours de "il", jardinier-bourreau des fleurs rouges qu'il écrase, et la surprise du lecteur/auditeur sans doute habituellement, à la lecture de la dernière strophe. Il se clôt sur une double page intitulée "photosynthèse", sorte de planche botanique, fort scientifique et délicieusement dessinée, faisant naître - comme d'un arbre généalogique - depuis des racines "Baudelaire, Hawad, Ronsard", ou Vivaldi ou Dalida... en passant par les branches de toutes les rencontres inspirantes,  l'oeillet de poète sauvage que nous rêvons tous de cueillir.

 

Le voyage se termine, avec "Situations", par une invitation au voyage – à la découverte du poète vénézuelien Miguel Bonnefoy, mais aussi par un historique du fascinant voyage dans l'espace et le temps du quinquina, par Samir Boumediene, et un série de brefs poèmes bilingues de Omar Youssef Souleimane, traduit de l'arabe par Caroline Boulord et l'auteur. On apprécie la générosité qui fait que ces poèmes, en bas de page, laissent tout l'espace ivoire au lecteur pour rêver dans cette immense marge, si rare dans l'édition.

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