Philippe Jaccottet : « Juste le poète »
C’est l’année Jaccottet. Pas encore prix Nobel, mais cela ne saurait tarder (enfin, on l’espère). 2014, c’est d’abord l’entrée du poète dans la Grande bibliothèque de la Pléiade. Il est le 15e auteur vivant à y être publié (le 3e poète après René Char et Saint-John Perse). Voici aujourd’hui, en ce printemps 2014, un important ouvrage qui lui est consacré, sous le titre Philippe Jaccottet, juste le poète, dans le premier numéro de la revue/livre Lettres.
Il y a toujours le risque d’articles redondants dans ce genre d’ouvrage. Il y a aussi le risque d’un décorticage scolaire des œuvres. Ce n’est pas le cas ici. Différents auteurs (écrivains, poètes, universitaires) proposent une approche multiforme du grand poète né à Meudon en Suisse, en 1925, et résidant à Grignan dans la Drôme depuis de très nombreuses années.
L’ouvrage débute, d’ailleurs, par des témoignages sur des rencontres avec le poète à son domicile : une demeure sous les remparts de Grignan, un jardin auquel il tient beaucoup, des tableaux d’amis sur les murs et, surtout, la compagnie d’une épouse elle-même artiste. Cet environnement, on le sait, est fondamental dans l’œuvre de Jaccottet. Le paysage – au pied du Mont Ventoux – y tient un rôle essentiel. « Pour Jaccottet, note avec justesse Jean-Marc Sourdillon, un des fins connaisseurs de son œuvre, « les images sont données principalement dans les paysages naturels, mais il arrive aussi qu’on les trouve dans les grandes œuvres de l’art (…) C’est dans l’approche, la découverte ou l’approfondissement de ces images que consiste le travail de l’écrivain. Il suffit de lire La Semaison pour s’en rendre compte ».
Mais, combien de fois Jaccottet n’a‑t-il pas mis en garde contre les mots et les images. « La plus extrême économie de moyens est évidemment requise, note Florence de Lussy, et le modèle pour Philippe Jaccottet demeure le modèle abrupt et énigmatique du poète Hölderlin ». D’où l’attirance, aussi, du poète pour la forme du haïku (il s’y essaiera d’ailleurs) et cette volonté de parler au plus près de ce qu’il éprouve.
Jean-Pierre Lemaire le relève : il y a chez Jaccottet « la priorité du réel, qu’il soit merveilleux, terrible ou quotidien, par rapport aux mots, priorité dont le respect conditionne la justesse de ceux-ci, leur crédibilité ». Le poète de Grignan n’écrivait-il pas lui-même dans La Semaison (Gallimard, 1984). « La difficulté n’est pas d’écrire, mais de vivre de telle manière que l’écriture naisse naturellement. C’est cela qui est impossible aujourd’hui, mais je ne peux pas imaginer d’autre voie. Poésie comme épanouissement, floraison ou rien. »
En quête de justesse, le poète a toujours manifesté son « refus de toute forme de mensonge » (Taches de soleil ou d’ombre, Le Bruit du temps, 2013). Sa voix juste et discrète participe, souligne opportunément Judith Chavanne, de cet effort pour « trouver, retrouver le sentiment de l’existence ».
Philippe Jaccottet, juste le poète, revue Lettres, N°1, printemps 2014, éditions Aden, 310 pages, 24 euros.