Revue TXT 32 : le retour
TXT comme quoi ? Comme TeXTe ou TeXTure ? comme Ton Xylophone Troué ? Comme Ta Xénophobie Tarabiscotée ? comme Ton Xérophage*((Une revue de ce nom – Les xérophages - existe vraiment)) Trublion ? … Eh bien non, il s’agit de TXT comme « TrenTe-deuX » avec les lettres dans le désordre. Approfondissons donc. Tout d’abord dans cette revue, le nombre 25 semble prédestiné. Certes, ce n’est pas le 25 de la librairie parisienne dite de La 25ème heure**((Place général Beuret, 75015)) . Ce 25 signale qu’un quart de siècle s’est écoulé entre la parution du dernier numéro de TXT 31 et la présente sortie ou re-sortie de ce TXT numéro 32.
Revue TXT 32, le retour, Edition Nous, 15 euros.
Une gestation donc de longue haleine ! Pour le rappeler, 25 auteurs/poètes/philosophe/photographe/artistes/ceci/cela du comité de rédaction soutiennent ce néo-projet TXT de 96 pages. Un artiste par année donc ! C’est un probablement un hasard. C’est sûrement un hasard. Un hasard qui reste définitivement hasardeux. Quoiqu’il en soit, 17 auteurs prennent leur plus belles touches de laptop pour dénoncer ou annoncer ou claironner la « haine de la poésie ». Une sacrée entreprise qui consiste à « vider la poésie de la poésie qui bave de l’ego », des « intériorités émues, du troc des imageries, du vers libre standard et des métaphysiques rengorgées ». Le programme commun - somme toute sélectif - d’une écriture qui se travaille aussi « contre le langage ».
Que substituer à la poésie, ce fond du message, si souvent fonds de commerce de nos si délicieux états d’âme ? Tout simplement la « forme ». Pas la santé musculaire ou cardiaque entretenue par un jogging des mollets en plein bois ! Non, il s’agit de la forme Forme hors du fond, c'est-à-dire de la « poéticité matérielle » (rythmes, son, typographie, collage, composition). Le travail poétique consiste à chercher « ses formes propres, ses rythmes sensibles » selon Boutibonnes, Clemens, Demarcq, Frontier, Le Pillouët, Prigent, Verheggen par ordre alphabétique. Il joue avec la langue, mais ce n’est pas une langue de bois of corse ! Objectif toute : créer des « secousses » (dixit W. Benjamin)… Il faut faire trembler la pensée, tsunamiser les strophes, éruptionner les respirations. Au demeurant, J. Demarcq estime cette revue « carnavalesque », sans doute car elle sait se moquer du langage.
Quoiqu’il en soit, deux des supporters-auteurs-artistes annoncés sont quand même de sexe féminin. Seule la première, l’autrice Typhaine Garnier, propose une intervention écrite intitulée A l’atelier. Son récit est fait de deux strates - Rossinière et Grands Augustins - liées à deux peintres dont on imagine qu’elle a écrit au pied d’un de leurs tableaux, en quelque sorte guidée sous sa surveillance ! La Rossinière, liée à Balthus (Le peintre et son modèle) propose une pensée qui dérive, qui émerge en strophes, qui questionne en anglais, qui se distribue un temps en colonnes, qui propose un contenu diversifié parfois sans ponctuation ou parfois avec un point d’interrogation, des pensées composites parfois séparées par un simple espacement ou parfois par un mot découpé en morceaux sur deux lignes avec une moquerie orthographique (« es-cabot » pour escabeau), parfois des phrases qui sont des « balbutiements ». Sous l’égide de Picasso (Dora Moore au chat), un autre récit se distribue sur trois colonnes de taille variable : celle de gauche au fer à droite, celle du centre impeccablement justifiée, celle de droite au fer à gauche. Comme si l’anamorphose de sa pensée poétique se déconstruisait pour éviter certaines constructions. Bref, un pied de nez au classicisme est fait dans cet « atelier » de fabrication de la langue : un lieu où le contenu est d’évidence moins important que le contenant en rappel - peut-être - de Mac Luhan (« Le medium, c’est le message »), ce qui implique le rejet de tout « caquet narcissique » (dixit Philippe Mangeot). Le Verbe avec cette écrivante***((néologisme qui me plaît))ne se fait pas chair mais forme, squelette, géométrie de mots. Bref, cet atelier où travaille un artisan du langage refuse toute construction au fondement si solidement ancré dans nos têtes traditionnelles (alexandrins, quatrains, tintins !). La seconde femme est la photographe Marie-Hélène Dhénin qui a codirigé la revue Tartalacrèmedans les années 70-80. Elle propose Un thé avec Sémiramis, formidable entassement de chaises de bureau retournées cul par-dessus tête, autrement dit les pieds en haut et les siège-et-dossier en bas. La présence de Sémiramis est à démontrer.
Ne soyons pas exclusifs. Fréquentons quand même les hommes qui s’offrent la part belle.: Verheggen Jean-Pierre: « La mort ? Le père Lachaise s’assied dessus ! ». Novarina Valère allitératione (!) avec les lettres ESPIR « l’esprit respire » pour décliner tout ce qu’il pense du christianisme (Croix, Trinité, Dieu), du moins en période de Carême ! Demarcq Jacques propose son dans son Exquis disent (version modifiée de Qu’est-ce qu’ils disent) les zozios de son zoo sonore. Il n’hésite pas à muer le son en lettres de taille et nuances variées entrecoupées de signes non significatifs : pour le rollier d’Abyssinie, c’est du « krwèèwOh%krrwèèh ». Inutile de traduire, il faut juste entendre… Cochevis, souimanga, traquet et bergeronnette ont droit à leur litanie singulière en « slams mystitsiques » ou en « tripes dispipsiques »…Prigent Christian, quant à lui, se déchaîne en écrits un tantinet macho : «Oter la culotte avec les deux/ A la fois fesses dedans, ça ne/T’excite pas le Mister Smart slip ? »». Ou après le dessin du sigle vénusien : « Tu souviens quel beau mon/ Cul ? Il y a base de bonne/Pute à dix bornes »…l » Entre les « gros mamelons hygiéniques » et le « sexe dépravé », l’auteur classe lui-même ses écrits en « courriers indésirables ». La lectrice est soulagée par sa lucidité éventuellement humoristique ! Bobillot Jean-Pierre, enfin, pense « à ce vertige : penser à tous les mots auxquels s’ajoute celui que je suis en train d’écrire (de penser) »…Une raison pour moi de cesser ce commentaire et de retourner à mon propre néant mental. Mais non, quand même non, rajoutons ce constat de Pennequin Charles qui me trouble : « La poésie, c’est le retour à l’état sauvage de sa propre personne ». De quoi méditer jusqu’à la sortie du numéro 33, prévue en… 2019.