Revue Voix d’encre n.64

Revue élégante de pure poésie qui paraît deux fois l’an, Voix d’encre, la revue de la maison d’édition éponyme qui publie « aussi bien les inédits de quelques grands aînés d’hier que ceux des alliés substantiels du temps présent. Parce qu’il faut sans trêve agrandir davantage ce domaine où nous voulons respirer, tout parcourir du monde comme des possibles, toutes les dimensions du jour comme les innombrables ailleurs. »propose plusieurs poèmes de huit ou dix auteurs d’aujourd’hui, de France et d’ailleurs, des textes en vers et en prose, toujours inédits qu’Alain Blanc, l’éditeur et fondateur de la revue, fait dialoguer, à chaque livraison, avec l’œuvre d’un artiste (les encres ont la part belle, évidemment, mais on y découvre également des photographies, des peintures, des lavis, des dessins, des sérigraphies, des logogrammes, des calligraphies… (Rappelons qu’Alain Blanc a été, en 1993, l’un des pionniers de l’édition de calligraphie). Au fil du temps, la revue à la couverture marine et lettres d’argent (lorsque je l’ai connue dans les années 2000) a fait l’objet de plusieurs variations dans sa présentation s’enrichissant depuis 2016 de couleurs y compris à l’intérieur.

Ce nouveau numéro est déjà, d’un point de vue visuel, particulièrement beau. Les propres encres d’Alain Blanc y jaillissent en arabesques de feu, de cendre et de lumière – ponctuant les textes de dix auteurs parmi lesquels plusieurs grands noms de la poésie.

Dans l’ordre de lecture : le poète argentin Alejandro Crotto, (traduits par Omar Emilio Sposito), Pierre Dhainaut, Irène Duboeuf et Max Alhau, tous trois « auteurs Voix d’encre2 »,  Michel Passelergue, Jean-Pierre Otte, Jacques Vincent, Isabelle Garreau, Abdellatif Laâbi et Didier Pobel, tous poètes de l’intériorité « qui habitent la terre entre l’ombre et la lumière, entre le doute et l’espérance »3 dont les textes s’articulent, se questionnent. Parler de chacun d’eux dépasserait le cadre de cet article. Aussi, je ne citerai que quelques vers que je n’ai pu m’abstenir de souligner au crayon tandis que je lisais…

Sensuels et mystiques sont ceux d’Alejandro Crotto

 

 

Voix d’encre n.64, Mars 2021, 64 pages, 12 euros

Imaginons, chacun de nos corps
et le soleil à l’intérieur : un escalier d’or

 

On retrouve Pierre Dhainaut et son écriture entremêlée de nature et d’enfance

 

L’enfant
reconnaît
la neige
qu’il n’a pas
vue
encore 

 

Les textes publiés appartenant aux lecteurs, je m’abstiendrai de citer mes propres vers parus sous le titre Les guetteurs de feu et poursuivrai la présentation de la revue avec cette phrase des Rechants nocturnes de Michel  Passelergue, extraits de Un roman pour Ophélie :

 

Nous brûlions de même étoile.[…] Psalmodiée d’une paume fervente, la lumière gagnait chaque degré de nos corps éblouis, et la nuit allait se froisser, s’unir aux dernières ombres du silence, vive encore des promesses prodiguées par sa robe maintenant lacérée.

 

Puis il y a les vers de Jean-Pierre Otte :

 

Nous voilà sans reflet, sauf
dans les yeux des autres 

 

Ceux de Jacques Vincent :

D’il à elle
D’elle à il
Nul ne se penche à la fenêtre pour appeler l’autre
ne s’attarde pour l‘écouter
ou éprouver la peau d’une caresse 

 

d’ Isabelle Garreau…

 

Pourquoi ai-je ce souvenir ? c’était hier
peut-être. Ton amour était l’unique amarre
de ces avatars de mes vies antérieures 

 

et la troublante simplicité de ceux d’Abdellatif Laâbi

 

Entre, entre
poésie !
Ma maison
t’est toujours ouverte
Fais comme chez toi
et s’il te manque
la moindre chose
n’hésite pas à demander 

 

Enfin Didier Pobel, l’homme au « parler ordinaire » qui « habite dans un patelin / Tout au bout d’un hameau / où galope le vent », clôt la revue en nous parlant à sa manière (directe et le plus souvent teintée d’humour) du Covid, de la mort et de la vie, et en se demandant pourquoi il rit à gorge déployée :

 

Peut-être tout simplement est-ce
Parce que je suis vivant sur la terre
C’est tout de même un sacré privilège
me disais-je
Hier en visitant un cimetière. 

 

J’ai volontairement omis de citer les vers de Max Alhau, les gardant pour la fin, peut-être parce qu’ils pourraient bien être mon « coup de cœur » : je  les avais presque tous soulignés…  j’ai dû choisir… je termine donc avec le poème Une voix qui s’efface, qui a donné son nom au titre des extraits :

 

Une voix qui s’efface,
dissipée par le temps et le vent.

Demeurent les mots
qui ne failliront pas
et ranimeront le silence,
le feu toujours en veille. 

 

Si les  écritures diffèrent, une unité de fond émane de la présente sélection, faisant de ce numéro de Voix d’encre, sinon un livre, du moins beaucoup plus qu’une anthologie.