Recevoir cet ouvrage de Desnos dans un paquet scotché avec rigueur 1Par le service expédition de Recours au poème, alias Marilyne Bertoncini ! n’est finalement pas un hasard. Ce livre bigame (Nouvelles Hébrides et Dada surréaliste), empaqueté dans un article sur l’histoire des émotions (Vigarello, Corbin, Courtine) du numéro 1168 du NQL, suscite une interrogation imprévue. Comment vivre « un état de privation de la conscience» (émotion, esmaier) lorsque toute lecture impose d’être éveillé ?
Pourquoi ne pas choisir un des deux textes ? Écartons d’emblée le premier produit des délires imaginés par l’écriture automatique (Nouvelles Hébrides, 1922), pour retenir égoïstement le second à option réaliste (Dada-surréalisme, 1927). Ce dernier est écrit à la demande du couturier-mécène Jacques Doucet, avide de saisir les tenants et les aboutissants du surréalisme. Croustillant et parfois rageur, il étale avec naturel les pinailleries et les rivalités dadaïsto-surréalistes.
Il classe d’emblée les surréalistes selon leur obsession (Dieu ou la révolution), laquelle se décompose selon la dialectique sectariste du pour ceci et du contre cela et se décline en catégories (liberté, amour, histoire, poésie). Avec de telles luttes littéraires, le « sort de l’occident est en jeu » – du moins l’auteur le croit-il. Après un listing des stars (Tzara, Aragon, Breton, etc.) et de leur « rencontre » capitale (Breton-Aragon à l’hôpital, etc.), suit un panorama historique : d’abord « dada 1,2 et 3 (1919 à 22) », puis « après dada », et enfin « surréalisme (1924–1927) ». Faisant fi des « querelles personnelles » (dixit Desnos), ces hommes (peu de femmes, même aucune !) travaillent sur le « sens ». Par pure provocation, nous retiendrons ce qui éclaire les mauvais penchants de ces novateurs (seule Frida Kahlo pesta contre « ce tas de fils de pute lunatiques et tarés » trouvant, si besoin est, le soutien d’opportuns mécènes).
Desnos propose ensuite des fiches biographiques nominales d’une fraîcheur parfois critique! Aragon, médecin d’état-major à la « cervelle sentimentale », est ébloui par l’élève médecin André Breton rencontré à l’hôpital. Il se méfiera désormais du « spectre dangereux et accusateur » de sa propre intelligence. Benjamin Peret, jadis cuirassier, quasiment mutique devant Breton ou Picabia. refuse de les présenter à Desnos et néglige même un rendez-vous avec lui. De surcroît, ses écrits n’apportent « rien de nouveau » car ils imitent l’un ou l’autre poète. Salacrou, lui, est « vain et prétentieux ». Delaunay ne sait faire que des Tour Eiffel, les recopie « éternellement en grand, en petit, à l’huile, à l’aquarelle, au crayon, au pastel ». Vitrac est un ni plus ni moins « coureur de grue », Radiguet un « gigolo enrichi dans le vagabondage spécial », et Tzara fait dans la « scatologie misogyne ». Le voyage de Duchamp en Amérique se fait à pile ou face (pour prendre une rue, se lever, se coucher, etc…). Rigaut, ce « cas dada », assomma un chauffeur de taxi qui l’avait insulté, mais paya ensuite pour éviter les suites judiciaires.
L’histoire la plus significative reste celle du « portefeuille volé » sur une table de bistrot. Rigaut veut boire son contenu, Aragon songe à le partager, Breton qui n’a pas mangé depuis plusieurs jours veut se faire « rembourser » les cadres de l’expo Max Enst. Mais Eluard qui en a la garde le rapportera au bistrot : le portefeuille est celui d’un garçon de café.
L’épisode la plus surprenante est celle de l’exposition Sans Pareil : Péret, caché dans une armoire nomme les invités un à un en adjoignant « un épithète désagréable ». Un coup de bluff dadaïste a enfin lieu lors d’un matinée de la revue Littérature au Salon des Indépendants (1919). On y annonce ni plus ni moins la venue de Charlot. Tous les journalistes en attente découvrent la supercherie et en font un article qui fera enfin connaître l’excentricité dadaïste. Coup de pub, finalement, sans service de presse !
Reste une énigme : Qui donc a inventé le mot dada ? Quels grands dadais de l’intellect ? Arp ? Tzara qui fait signer les copains pour le reconnaître ? Arp ? etc.? Même en fouillant entre les lignes de l’ouvrage, le lecteur restera dans une ignorance toute chevaline ! Après tout ce mouvement artistique audacieux – il l’était par son désir de secouer les cocotiers de la raison – n’a donc pas d’inventeur breveté SGDG. Ni EDF, ni P et T, ni LR, ni PS, ni LREM, ni… ni….Quelle « émotion » !!! Voila qui nous ramène au point de départ dadaïen 2Le néologisme ne me déplaît pas, sans doute parce qu’il ne figure pas dans le dictionnaire. du merveilleux poétique présidant à cette notule !
- Revue Dissonances n°42, mai 2022 - 6 juillet 2023
- Revue Dissonances n°42, mai 2022 - 5 septembre 2022
- Christine de Pizan, Cent ballades d’amant et de dame - 6 juillet 2022
- La revue Florilèges n°187 - 28 juin 2022
- Armand Dupuy, Selfie lent - 28 décembre 2021
- Gilbert Lascault, Petite tétralogie du fallacieux - 6 octobre 2021
- Marie Etienne, Antoine Vitez et la poésie, La part cachée - 6 mai 2021
- L’Intranquille 19, revue de littérature - 21 février 2021
- Florilège, revue trimestrielle, n°174 - 6 février 2021
- DISSONANCES, Feux, n°38 - 5 janvier 2021
- Barry Wallenstein, Tony’s blues - 5 janvier 2021
- Luminitza C. Tigirlas, Noyer au rêve, Avec Lucian Blaga, Poète de l’autre mémoire, Fileuse de l’invisible, Marina Tsvetaeva - 6 octobre 2020
- Verso n°179, Ici & ailleurs - 6 septembre 2020
- Aragon, La grande Gaîté suivi de Tout ne finit pas par des chansons - 6 mai 2020
- Albertine Benedetto, Vider les lieux - 21 avril 2020
- Clara Régy, Ourlets II - 5 février 2020
- Christine Durif-Bruckert, Le corps des pierres - 20 décembre 2019
- Louise de Coligny-Châtillon dite Lou, Lettres à Guillaume Apollinaire - 19 novembre 2019
- Christine de Pizan, Cent ballades d’amant et de dame - 6 novembre 2019
- Cairns 25, Murs, portes ou ponts - 6 novembre 2019
- Estelle Fenzy, La Minute bleue de l’aube - 14 octobre 2019
- Philippe Jaffeux, 26 tours - 25 septembre 2019
- Patrick Pécherot, Lettre à B - 1 septembre 2019
- Wislawa Szymborska, de la mort sans exagérer - 4 juin 2019
- Fil autour de Catherine Gil Alcala, Serge Pey, Olivier Domerg - 4 mai 2019
- Christine Durif-Bruckert , Arbre au vent, Joseph Thermac, Du sublime moderne - 3 février 2019
- Jean-Claude Pirotte et Didier Cros, les livres bilingues pour la jeunesse : Maya Angelou, Carson McCullers - 4 janvier 2019
- Xhevahir Spahiu, Urgences — Urgjenca - 5 novembre 2018
- Constance Chlore, L’Alphabet plutôt que rien - 4 septembre 2018
- Patrick Chamoiseau, L’Empreinte à Crusoé, La Matière de l’absence - 6 juillet 2018
- Jean Fanchette, L’île équinoxe - 5 juillet 2018
- Revue TXT 32 : le retour - 3 juin 2018
- Roland Dubillard : Je dirai que je suis tombé, suivi de La boîte à outils - 5 mai 2018
- Christian Bobin, L’homme-joie - 5 mai 2018
- Écritures féminines : découvertes de Claire Dumay, Doina Ioanid, Marcelline Roux - 6 avril 2018
- André Velter, N’importe où - 1 mars 2018
- Ecritures féminines : découvertes - 1 mars 2018
- Carole Carcillo Mesrobian et Jean Attali, Le sursis en conséquence - 26 janvier 2018
- Les carnets d’Eucharis, La Traverse du tigre, hors série - 26 janvier 2018
- Baptiste Pizzinat, Les mots rouges - 26 janvier 2018
- Bernard Fournier, Lire les rivières, précédé de La rivière des parfums - 22 novembre 2017
- Robert Desnos, Nouvelles Hébrides suivi de Dada-surréalisme 1927 - 22 novembre 2017
- Jacques Demarcq, Suite Apollinaire - 22 novembre 2017
- Jacques Demarcq, d’ubu fait dure loupe - 22 novembre 2017
- Les cahiers du sens, 2017, n° 27 - 11 octobre 2017
- Le Journal des poètes 2, 2017, 86e année - 11 octobre 2017
- Dissonances – Le Nu - 30 septembre 2017
- Fil de lecture autour de Marilyne Bertoncini, Denis Emorine et Jasna Samic - 29 mai 2017
Notes