Roger Aïm, Julien Gracq Nora, une passion surréaliste
Roger Aïm est l’auteur de plusieurs ouvrages sur Julien Gracq , Julien Gracq Nora, une passion surréaliste est le quatrième, il y aborde un aspect peu connu, tant Julien Gracq se voulait discret sur sa vie intime.
En couverture du livre, un très beau portrait de Julien Gracq à sa fenêtre, soulevant le voilage et regardant discrètement au loin ; ce portrait semble être la métaphore visuelle de ce que va révéler cet ouvrage : soulever un peu de ce voile qui a recouvert la vie amoureuse de l’ « ermite », de ce « Grand silencieux » que fut Julien Gracq, comme le rappelle Irène Frain dans la préface : « Un homme sans histoires en somme, et tout spécialement sans histoires d’amour. A la fin des années 1980, pourtant, dans les milieux littéraires parisiens, circulait la rumeur que la vie de Gracq n’avait pas été exempte de passions ravageuses et l’on citait obstinément le nom d’une femme, celui de Nora Mitrani, au grand désespoir, murmurait-on aussi, de l’auteur du Rivage des Syrtes ».
L’auteur dresse les biographies croisées de Julien Gracq et de Nora Mitrani, deux trajectoires en parallèles mais qui se rencontreront, ils sont à la fois singuliers et complémentaires. Le surréalisme au cœur de la rencontre, comme l’indique le sous-titre « Nora, une passion surréaliste ». Un sous-titre à double interprétation, Nora incarne cette figure féminine surréaliste et se passionne pour ce mouvement, Nora et sa passion pour le surréalisme, mais aussi Nora la passion cachée de Julien Gracq, une passion qui n’aurait pas pu naître sans le lien qui les unissait à ce mouvement.
L’empathie de l’auteur est évidente pour ces deux personnalités si différentes de tempérament et si proches intellectuellement, animées d’une curiosité littéraire commune, curiosité que cette « terra incognita » surréaliste incarnera pour eux deux et dont ils se rapprocheront, tous deux attirés par la figure de André Breton dont ils furent proches, avant même de se rencontrer.Le biographe Roger Aïm est allé à la recherche de cette liaison si discrète qui a uni Julien Gracq et Nora Mitrani, une biographie très documentée.

Roger Aïm, Julien Gracq Nora, une passion surréaliste, Editions Infimes, 2024, 90 pages, 12 €.
L’intérêt de cette double biographie, c’est de mettre en lumière Nora Mitrani, trop longtemps restée dans l’ombre des figures tutélaires du surréalisme. Nora féministe, libre, passionnée d’art et de littérature. Elle qui avait perdu beaucoup de membres de sa famille en déportation, fut en quête d’une famille littéraire et spirituelle. Ses rencontres la feront cheminer du catholicisme au trotskisme, puis au surréalisme avant de flirter avec l’anthroposophie, puis la maladie venue et la mort approchant, retrouver le catholicisme de ses années d’étudiante.
Muse et compagne de Hans Bellmer pour qui elle incarna la femme érotique, elle trouvera auprès du discret Julien Gracq une relation affective et intellectuelle stable tout en gardant la liberté à laquelle elle était plus que tout attachée. Liberté à laquelle l’un et l’autre tenaient, leur attirance commune pour le mouvement surréaliste ne fera pas d’eux des disciples inconditionnels. Tout en révélant une femme de lettres méconnue, Roger Aïm éclaire, certains aspects de la vie de Julien Gracq, à la lumière de cette rencontre improbable tant il y avait de divergences, pour l’un le conservatisme, les habitudes, le goût du retrait et de la solitude et pour l’autre le goût de l’engagement, de l’aventure et des rencontres.
Si pour eux : « L’essentiel se joue dans l’absence », ils vivront cependant une relation faite pour durer, une relation de 8 ans respectant la liberté de l’un et de l’autre. Jusqu’à la fin, Julien Gracq restera aux côtés de Nora, jusqu’au 22 mars 1961, elle n’avait que quarante ans !