Roger Gilbert-Lecomte : La Vie l’Amour la Mort le Vide et le Vent et autres textes.

 

La collection « Poésie / Gallimard » vient opportunément de rassembler les plus importants textes théoriques et poétiques de Roger Gilbert-Lecomte. Le choix en est dû à Zéno Bianu et le texte enthousiaste d’Antonin Artaud publié dans le n° 255 de la NRF après la parution de La Vie l’Amour la Mort le Vide et le Vent en 1933 sert de préface à l’ensemble. Une chronologie et un dossier accompagnent les textes.

Sous le titre Proses du Grand Jeu, figurent une série de manifestes : l’avant-propos du premier numéro du Grand Jeu, La force des renoncements, Mise au point ou Casse-dogme, Après Rimbaud la mort des Arts, La Prophétie des Rois-Mages, L’horrible révélation… la seule, et deux hommages au peintre Sima, L’énigme de la face et À toi, Sima. Enfin est reproduit Monsieur Morphée empoisonneur public où Gilbert-Lecomte défend les paradis (ou les enfers) artificiels.

Rappelons les principes du Grand Jeu, tels qu’il apparaissent en italiques dans l’avant-propos :

 

remettre tout en question dans tous les instants.
Nous ne voulons pas écrire, nous nous laissons écrire.
Nous nous donnerons toujours de toutes nos forces à toutes les révolutions nouvelles

 

La « marche de l’esprit vers sa libération », qui suppose « toute une hygiène d’extase particulière » demande à faire le vide pour atteindre « le point immobile en son propre intérieur vibrant », le point inatteignable car « tout est toujours à recommencer ».

Les maîtres ont nom Rimbaud, pour la révolte et la Voyance, et Nerval, pour le rêve : « Le monde onirique est un système de visions cohérentes et universel au même titre que le monde extérieur. » Quant à Baudelaire, qui figure en exergue de Monsieur Morphée, son influence n’est pas négligeable, si l’on en juge par certains poèmes tout emplis d’angoisse. Il faut d’ailleurs souligner que la révolte ne va pas jusqu’à supprimer la versification traditionnelle, conservée dans la strophe des poèmes d’avant 1928, et dans le vers, souvent employé ensuite :

 

Écartelé vivant déchiré de toi-même
Centre en exil de tout
Roisproscrit
Monstre extrême (Le miroir noir)

 

Une opposition constante apparaît entre l’Occident, chargé de tous les péchés et un Orient fantasmé. Certaines proclamations prêtent à sourire dans leur naïveté, comme La Prophétie des Rois-Mages : « « l’an 2000 écarquillera les yeux en vain et ne découvrira plus l’Europe sur la croûte du monde. »

De fait, on a souvent l’impression d’être devant des positions adolescentes. Lecomte le dit d’ailleurs explicitement dans le Casse-dogme à propos des principes du Grand Jeu : « Non, Madame, ce n’est pas beau, la jeunesse. » Les « phrères » fondateurs se réclament aussi du « simplisme » et de l’esprit d’enfance, et leur maître est aussi Jarry.

Cet esprit, on le retrouve dans les poèmes d’après 1928 : goût pour les jeux de mots, dans des sortes de chansons : « Le devenu rat de l’eau rive » (« Le chant malin du rat ») et ce n’est pas ce qui est le plus intéressant, pas plus que les poèmes qui sentent un peu trop l’application des principes, mais ceux, qui, contre le refus pourtant réitéré de l’individualisme, font entendre une voix personnelle, comme dans ce distique qui constitue « Les frontières de l’amour » :

 

Entre les lèvres du baiser
La vitre de la solitude