Romain Fustier, Terre — mer

le vent sinistre dans les peupliers – elle

associe depuis toujours ce bruit à un
malheur, quelque catastrophe qu’il présage

– mon poème aux pavillons d’oreilles fines
saisit cette menace, cette inquiétude

longeant le canal : les écluses retiennent
l’eau, les sons qui se combinent – ça sent le

bois pourri, le feu de bois dans la forêt
qu’elle imagine – nous entendons au loin

des chiens de chasseurs, puis la mélancolie
arrive sur nous par bouffées, intervalles

– elle paraît s’échapper de la bouche même
des arbres que je chausse de baskets, à

qui j’enfile son blouson pour cheminer

                                                                 ] Vaux

un joli petit bruit – nous rebroussons tous

chemin creux devant ce qu’elle a pris pour une
source, qui s’avère rétrospectivement

un reste de ruisseau se perdant parmi
la prairie – avons croqué dans la galette

du crépuscule un ou deux quarts d’heure plus
tard : le ciel émiettait sa lumière sur

la cime crénelée des arbres, marchait
sur les forêts – tout était sauvagerie

calme autour, tranquillité irradiant cette
terre qu’aucune métaphore ne par-

vient à croquer – il n’en est guère resté
la nuit tombée – ces souvenirs secrets, quelques

cupules, et des glands au fond d’une poche

                                                                          ] Beissat

les oiseaux qui vont boire partent pour la

baignade – ma petite a lâché la phrase
précédente, ou un propos y ressemblant de-

puis la voiture, levant les yeux au ciel
dont un menu morceau a émergé entre

les immeubles, derrière le pare-brise
– elle a remarqué que les freux chaque soir

descendent à la rivière, à la brune en
ville, venus des côtes qui la surplombent

où ils retourneront – les berges deviennent
la bouche du monde s’abreuvant d’eau : quel

pays merveilleux s’est ouvert entre les
deux lèvres de ma fillette – elle en étrenne

l’histoire, éteignant ces néons clignotants

                                                                           ] Montluçon

nous serons allés, nous croirions à la mer

pour un peu – les lumières du port sur la
berge opposée sont celles du parking de

l’étang, pas les reflets de celles de la
station balnéaire que nous fantasmions

– nous longeons la berge, nous la longeons : j’en
suis longé à mon tour, poursuivant tout droit

pour gagner le pont de bois franchissant le
ruisseau – les bords sont des limites dont nous

ne connaissons pas la limite : l’eau re-
prend son cours telle la vie après la digue

dont l’éclusier a ouvert les vannes – je
reviens près de l’école de voile où j’a-

vais rendez-vous, plein de cet écoulement

                                                                          ] Étang de Sault

des bouts de neige sur le pré, restes de

chutes de la semaine – j’écris depuis
l’intérieur de mon vécu sans que je sois

en capacité de faire autrement, fuir
mon tempérament – ces reliquats sur le

sol en haut de la côte réveillent quelles
rêveries, sont les débris de quels instants

dont je croise les ruines, j’exhume les
vestiges, virant à gauche – l’eau de fonte

s’écoule dans l’herbe qui servira de
nourriture au bétail : les vaches dans le

pâturage s’en gorgeront jusqu’aux sexes
– ça sentait la betterave fourragère

tout à l’heure – la vie respire, charnelle

                                                                       ] Les Réaux

Présentation de l’auteur

Romain Fustier

Textes

© Crédits photos (supprimer si inutile)

Poèmes choisis

Autres lectures

Romain Fustier est né en 1977 à Clermont-Ferrand. Il a passé son enfance et son adolescence à Gerzat, dans la banlieue ouvrière de cette ville. Après l’obtention de son baccalauréat, il entreprend des études de lettres en classe préparatoire puis à la faculté de Clermont-Ferrand, où il rencontre Amandine Marembert, qui devient sa compagne. Ils fonderont ensemble, au cours de leurs années étudiantes, la revue et les éditions Contre-allées.

Romain Fustier vit aujourd’hui à Montluçon.

Bibliographie 

Le volume de nos existences. Décharge & Gros textes, 2006.
Négatif photo de la muse. Le Chat qui tousse, 2007.
Une ville allongée sous l’épiderme. Éditions Henry & Écrits des Forges, 2008. (Prix des Trouvères, 2007)
Boîte automatique du crâne. E-book. Publie.net, 2009.
Les yeux assis sur la plage. Éditions de l’Atlantique, 2010.
Habillé de son corps. Rafael de Surtis, 2010.
Des fois des regrets comme. Éditions des États civils, 2011.
Dans nos intérieurs. In Anthologie Triages. Tarabuste, 2011.
Mal de travers. Clarisse, 2012.
Rembobinant l’extérieur. Éditions du Cygne, 2012.
Mon contre toi. Éditions de l’Atlantique, 2012.
Infini de poche. Éditions Henry, 2013.
Bois de peu de poids (été-automne). Lanskine, 2016.
Bois de peu de poids (hiver-printemps). Lanskine, 2017.
Dans la chambre tes bras. Musimot, 2019.

Ricochet. Peintures de Daniel Bambagioni. Poïein, 2019.
Panoramiques. E-book. Éditions Qazaq, 2020.
Jusqu’à très loin. Publie.net, 2021.

Un même pays potager. Atelier de Groutel, 2022.

Autres lectures

Roman d’amour par Romain Fustier

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