tu accomplis ton ouvrage
quand je t’appelle encore
et que tu es déjà
parti.
G.B.
Ce qui manque informulé. Le trou de l’absence révélé dans les détails accrus : Voix cachée *. Amenuisés, les signes de présence restent même si et parce qu’ils sont manquants :
« seuls parlent encore
l’amenuisé
des petits cris
une compagnie minuscule »
Compagnie, ces gestes-insectes qui presque invisibles occupent le silence et requièrent celui qui se penche. Restant vivant, il assigne à de menus gestes un rôle que la mémoire porte comme une défense contre le chagrin : vivre la trace en l’éprouvant pour qu’absence et présence fassent corps : « je pose ma tête où tu étais ». L’empreinte, gardée, entretenue, nourrit le vivant comme le livre constitué de textes courts, écrits une page sur deux, pages non numérotées (textes non répertoriés). Au silence, une page sur deux est confiée, au disparu peut-être de l’occuper comme il peut le faire pour la place laissée tout autour des poèmes courts (de quatre à six vers le plus souvent au début du livre, poèmes plus verticaux ensuite). C’est un « je » errant qui tente la piste des retrouvailles pour demeurer ici avec. Au poème, à l’attente, la force de faire surgir peu à peu les gestes lents qui construiront la forme :
« j’entends le bruits de tes mains
qui bâtissent autour de ma tête
la dernière coupole »
Entre ces formes, en devenir, un espace de montagnes et de vignes, un relief que l’on éprouve par la vue complétée de l’écoute. Ce cheminement ne dissocie ni la perception directe ni celle née du souvenir qui vient se superposer à l’entour comme une dimension aussi réelle que la première. Deux tercets amorcent un nouveau rythme qui permet l’allongement du poème, la construction d’une réalité enrichie « des heures passées à bâtir cette / maison ».
Les temps de conjugaison, présent exclusivement d’abord puis l’imparfait et le passé composé de ce qui reste si proche bien que passé, une dimension où le souvenir nourri de gestes permet de se trouver :
« au ciel où ton bras
― et ton autre bras
aimé ―
tressent autour de mon souffle
la précarité de nos
liens »
Rejet infaillible plaçant en un vers seuls, isolés, inscrits, les mots, la clef du livre. Voilà que naît « cette chose / sans corps », une esquisse telle qu’elle reconstruit le « nous » qui avait dû se défaire. Alors, l’imparfait des redites et des contes peut prolonger ce qi fut : « nous regardions /les prés / le soir /la brume et /encore le soir », lexique simple des évidences merveilleuses qu’il a fallu rompre. Au poème de le reproduire autrement – et consciemment. Au milieu des arbres, ce « nous » revient sachant la perte et le chemin somnambule de la traversée imposée. Il faut être autrement :
« mes yeux
mes mains
― sont les premiers nés »
Rien n’a pu se perdre qu’il faut recommencer : « ici / là / ici encore », l’insistance à mesure de l’amour, « tes yeux », le regard plus que porteur révèle le nom des choses, chacune marquée par celui dont l’absence demeure en elle :
« devant la fenêtre
qui est
la fenêtre où je
pense à toi ».
Du vouvoiement au tutoiement : élargir comme restreindre la présence échappée qui revient sous sa forme nouvelle, douloureuse et insistante, ce « tu » ou ce « vous » qui peut disparaître de la phrase (le premier vers par exemple), en un cache-cache où il réapparaîtra:
« qui êtes là ― avec vos
instruments
vos coupoles
vos colonnes ».
Entre deux mondes, la faille, « tu es tout entier en moi / mais je suis déjà seule à fêter / ce triomphe ». Nommer « le don de voix », même cachée, elle se déplace pour réveiller « une couleur différente », « on ne trouve pas / on approche ». Une « attente » dérivée en son adjectif « attentive » car ce déroulement de mots ou de sons proches (coupole/colonne) destine l’espace à une forme attendue, celle qui manque, un fil liant « à la fin » l’ombre à elle-même :
« est-ce là votre étreinte ―
notre accomplissement ? »
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* Voix cachée est la réédition d’un texte paru en livre d’artiste aux éditions du Rouleau Libre (dirigées par Pierre Mréjen, comme les éditions Harpo &) en 1993 à quarante exemplaires avec des gravures de Geneviève Bouchiat.