Rouge contre nuit (7), « le ciel renversé », avec Valérie Canat de Chizy et Cécile Guivarch
Pure sensation.
Valérie Canat de Chizy et Cécile Guivarch ont choisi de confondre leurs voix. Aucune indication typographique particulière ne permet de distinguer l’une de l’autre. D’ailleurs, il semble que les poètes ont choisi de se taire d’abord pour devenir une chambre d’écho. Le bruit des abeilles se fait alors entendre. Distinctement. À cette condition sans doute. Pour les papillons, silencieux, « ce sont leurs caresses d’ailes / dont les fleurs se souviennent ». Place à l’imperceptible, cela seul, au-devant du livre : tout ce qui peut être ainsi ressenti devient la matière de ce recueil cousu comme il est de coutume aux éditions La porte. Quelques pages pour une attention accrue à l’autre, il s’agit d’écrire à deux, et au monde. Cohérente démarche, la poésie se nourrit de l’approche légère d’un souffle, d’un regard. Le « je » alors devient impersonnel ou manifeste la conscience aigüe de ce qui peut échapper si l’on n’y prend garde. Synesthésie particulière où « tout est mêlé », les perceptions en particulier, les deux voix aussi :
« je te vois murmurer
ce que les fleurs savent taire »
Au déchiffrement, se vouer, dans l’amitié du « poème en miroir ». Le vol des papillons, des libellules, très présent dans le texte, figure la tentative menacée de percevoir. Le poème serait cette acuité particulière, ce vis-à-vis fragile où tout peut s’inscrire ou se perdre, le partage lui donne l’existence des signes d’encre. Empreinte végétale ou animale, croisée d’humanité et de nature vivante, « quiétude d’ « une feuille / sur la mousse ». Sujet qui disparaît :
« nous vient un jardin
parfois une forêt »,
ellipse du pronom « il » ou retard d’un sujet inversé qui n’en est pas un tout à fait, sur le seuil d’un poème où le pronom objet « nous » devient sujet (« nous volons presque ») : ce que le poème déclenche, c’est la perception autant qu’une saveur de « fraises », réjouissance du mot en bouche quand il entre dans le texte. Ce mouvement rejoint le « bruit des vagues » qui éveille « peut-être une sirène » ou « un trésor / dans le silence » car la « fusion » fonde l’accueil du merveilleux infime. L’animal familier, le chat, dans cette danse, murmure sa propre version (« dormir »).
Le battement d’un même cœur, celui de la terre en chacun perçu, devient le rythme du poème. Enchaînement des distiques, au milieu du livre, pour évoquer les poèmes comme une eau douce ou salée. Jeunesse à travers les rires et les enfants, leurs sauts qui les poussent à toucher le ciel de leurs secrets (« ballons dans le ciel », tête renversée sur une balançoire et les ailes, récurrentes, présentes en chacun qui regarde les nuages) là où « même l’abeille / a un bruit de fleur ». Et la page écrite du livre pour entendre se rejoindre les poèmes à deux voix comme une seule.