Plus je lis Pierre Dhainaut, plus je pense qu’il est à l’exact opposé du Baudelaire de Spleen. Quand ce dernier laisse l’angoisse atroce, despotique planter son drapeau noir sur [son] crâne incliné, Pierre Dhainaut ne cesse de célébrer l’éphémère, de se laisser aller à la joie de respirer, d’attiser la conscience inconnue / d’une parole d’allégresse, d’accueillir souffles, oiseaux, embruns… Et c’est vrai avec Rudiments de lumière.
Beau titre lumineux justement que ces Rudiments de lumière, qui traduit bien la démarche de Pierre Dhainaut : il est toujours à la recherche de la lumière, de la transparence, de l’accord au monde, il entend non pas percer le mystère du monde et de la vie, mais le circonscrire par les mots ; il capte par le poème des fragments, des bribes, des rudiments de cette lumière, ce qui rend ses poèmes si prenants. Et tout sera à recommencer, une fois le livre terminé. Mais le livre se termine-t-il ? Jamais, je n’ai tant senti avec ce recueil, combien était forte et signifiante (s’agissant de Pierre Dhainaut) l’expression “vivre en poésie”, les deux mots, vivre et poésie, étant traversés de la même énergie. Ce n’est pas que la lucidité manque à Pierre Dhainaut, ce n’est pas que la mort ne le hante pas (d’où la référence ci-dessus à Baudelaire) : “tu te crois seul, tu ne crois qu’en la mort”. Mais c’est pour mieux accueillir le monde ou la vie : “quel que soit l’âge, tu offrirais les lèvres, / la chair poreuse au soleil, aux rafales”… Mais c’est aussi ‑lucidité oblige- pour se rendre compte de l’impuissance dans laquelle on se débat si l’on veut utiliser les mots en oubliant de s’interroger, de se rendre compte des limites du poème qu’il faudra reprendre…
Le vers est dénudé, l’image discrète voire absente. Pierre Dhainaut rejette tous les artifices qui pourraient le distraire dans sa quête d’être au plus près de ce noyau insécable qu’est vivre/mourir, artifices qui pourraient aussi distraire le lecteur. Il allège sa pensée illustrant ainsi ce qu’il disait, en mars 2010, dans son discours de réception du prix Jean Arp : les mots s’attirent, se rassemblent et respirent en commun pour constituer un poème. “Dans le silence je me débarrasse des ambitions qui alourdissent” : il s’agit d’être à l’écoute. Il ajoutait alors : “Le poème n’en est vraiment que s’il est l’épiphanie de ce qui le déborde. Ses mots ne vibrent, ils ne sont présents que s’ils sont prêts à se libérer de leur prestige même, s’ils aspirent à une autre présence.” Le lecteur attentif, familier de l’œuvre retrouvera des paysages connus comme le Blanc-Nez, le polder des Moëres ou Saint-Pierre-de-Chartreuse. Il retrouvera au hasard d’un poème la tombe de Jean Malrieu, l’ami trop tôt disparu qui ne désirait aucune tombe, au cimetière de Penne-de-Tarn. La pierre tombale sous la vigne vierge cache à jamais le poème qu’on y a gravé mais de ce pèlerinage Pierre Dhainaut tire une raison d’espérer et de célébrer le réel : “et quand, l’hiver, nous serons sous des arbres, / les yeux se lèveront, nous percevrons un souffle / palpiter, resplendir, ranimer le feuillage”. Il retrouvera aussi, ce lecteur, le thème de l’enfant qui traverse, depuis quelques années, les recueils de Pierre Dhainaut, l’enfant qui donne une leçon de vie et d’émerveillement devant les choses les plus simples. Entre ses morts et les enfants, le poète chemine et se confronte à chaque instant à la vie, à la nécessité de vivre car l’amitié ne meurt pas, tout comme l’amour. Les amis, les proches même disparus continuent de nous aider, les enfants nous enseignent toujours la merveille de vivre. Pour reprendre les mots d’un poème dont l’incipit éclaire la poésie de Pierre Dhainaut ( “C’est un appel d’abord…”), il n’y a rien à conquérir, il s’agit de dire oui. Il vit pleinement avec ses morts et les enfants qui ne le quittent pas. Il refuse les ghettos dans lesquels la société actuelle entend enfermer les humains selon leur état (vivants/morts, adultes/enfants…). Il faudrait longuement citer, je ne retiendrai que ces trois vers : “Rends grâce au poème, / franchis l’horizon, / l’essor s’y régénère.”
Rudiments de lumière, comme de nombreux livres de Pierre Dhainaut, se termine par quelques pages de notes sur le poème. Si le poète est réceptif au hasard qui lui fait écrire des poèmes (c’est une affaire de sensibilité, d’attente, de patience, d’écoute…), il n’oublie pas de réfléchir à sa pratique. Mais ce sont deux moments différents, séparés : jamais il n’écrit se regardant écrire. Une poésie ouverte : “Les poèmes qui m’émeuvent […] n’ont pas à dérouler les fastes qui ont longtemps singularisé la poésie en nous isolant dans leur empire”. Le livre ne se referme jamais…
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