Sac à dos dans la poussière
« Sac à dos dans la poussière »
chantaient les bataillonnaires
en passant devant ma mal-maison
Je les guettais
assis sur le bord de la fenêtre
derrière la vitre en hiver
Leur sac à dos et leur fusil se balançaient
au rythme de leur triste chant de guerre
en marteau sur le bitume-enclume de la rue
Je me souviens qu'ils rabâchaient :
« C'est tous des gars qu'ont pas eu d’ veine
c'est nous les Bats d'Af nous voilà ! »
Et je me sentais leurs frère — désarmé—
Ils passaient ainsi deux ou trois fois
par semaine Je les guettais
du fond de mon cœur de trois ou quatre ans
Ils allaient en manœuvre au bois
de Saint-Cucufa où le bon roi Dagobert
selon la version de ma mère chassa
Et le refrain de ces frères soldats
traîne en moi à n'en jamais finir :
«Mais quéqu’ ça fout et on s’en fout la la la »
Heureusement il y avait presque chaque matin
les éboueurs — qu'on appelait boueux—
et qui vidaient nos poubelles où il n'y avait rien
J'admirais le conducteur le chauffeur le pilote
de la benne à ordures
à l'époque grande ouverte — et ma vocation c'était ça !—
Voilà comment peut-être sinon pourquoi
je me suis fait poète
au séminaire des mots sans loi.