Le Louvre possède un bon nombre de Poussin. Je n’éprouve pas de prédilection pour son Enlèvement des Sabines, où je ressens de tout sauf de l’enlèvement, d’autres tableaux m’intéressent davantage, mais tant pis… J’ai passé en revue, par conscience confessionnelle, les diverses toiles exposées. Et soudain… L’extase ! Figé, statufié, médusé, immobilisé par le mouvement. La légèreté même, l’envolée céleste. Sous mes yeux, un homme grimpait au Ciel. Un homme de poids, un gaillard solide, pour lequel il ne fallait pas moins de trois anges bien membrés pour le faire décoller, délaissant à terre son glaive et le reste – adieu matérialités terrestres, on abandonne tout quand on monte. L’ascension par hélicoptère.
Ai-je bien là le ton qui convient (vous demandez-vous) ? Est-ce bien à propos, alors que l’incroyable légèreté qui émanait de l’œuvre me rendait aussi ravi que l’était le sujet lui-même, m’enlevait dans une ascension spirituelle dont la délicate puissance me laissait sans voix et sans poids ? C’est que je savais son histoire, pour l’avoir lue un jour, et dans un premier temps elle affectait un peu mon regard, avouons-le. L’histoire de ce Ravissement de saint Paul. Si Saül s’appelait Paul, Scarron lui aussi, mais ce Paul-là était réduit au cul-de-jatte. Oui, Scarron, le commanditaire du tableau, de ce chef‑d’œuvre, d’ailleurs bien moins reconnu comme tel aujourd’hui parmi les Poussin (on le trouve rarement cité), qu’il ne le fut par Le Brun lorsqu’il disserta devant la cour du roi Soleil, sans tarir d’éloges. Oui, l’horrible monstre génial, ce Scarron que le peintre contraignit à se rogner les ongles d’impatience pendant cinq années – comme si son corps n’était pas assez rogné déjà – avant de lui faire livrer le tableau depuis Rome, où il l’avait réalisé. Ravi fut-il enfin, le bossu !
Mais pourquoi ce choix ? Pourquoi cette soif d’élévation chez le grand maître du grotesque ? Quel rapport entre son « Roman comique » et le ravissement d’un saint ? Peut-être, justement, parce que l’antithèse était si forte entre ces deux êtres – on peut parler d’oxymore, non ? – qu’on peut y voir le rêve, chez l’écrivain infirme, d’une libération, physique pour le moins et, peut-être, morale. Ce Z, auquel lui-même se comparait le malheureux auteur atteint de spondylarthrite ankylosante ou, si vous préférez, de pelvispondylite rhumatismale – ah ! poésie de la terminologie médicale – ce Z devait se sentir redressé comme un I, transporté à la vue d’un tel tableau, dont il n’avait sans doute pas imaginé la merveille mais, en tout cas, avait certainement donné les directives essentielles à son Poussin. Sans oublier qu’en fait, Paul – le saint – était un petit maigrichon sans aucun rapport avec l’athlète du tableau, et qu’avant de retourner sa tunique et d’aller évangéliser les foules, il se comportait en beau salaud de persécuteur de chrétiens. Comme quoi le pinceau du Poussin était parvenu à transfigurer le corps, comme le Créateur l’avait fait de l’âme.
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