Samir Moinet, EFFONDREMENT

Par |2025-01-07T15:24:51+01:00 6 janvier 2025|Catégories : Poèmes, Samir Moinet|

Il n’y a pas d’effondrement

Des civil­i­sa­tions

Des bours­es

Des rela­tions diplomatiques

Des écosys­tèmes

Du cli­mat

Des règnes

Des bâti­ments civils

Des avancées sociales

Des iden­tités

Du lan­gage

Du bon sens

 

Il y a

L’effondrement

Per­ma­nent

De l’humain

 

Les panse­ments manquent

À cou­vrir l’artère perforée

Par la graisse

Pour accom­pa­g­n­er

La mort lente et vulgaire

De l’humain

 

Nous devri­ons le bâillonner

Qu’il arrête de se vom­ir dessus

Dans un flot d’injures et de couteaux

Il faudrait créer un pays EHPAD

Qu’on en finisse

Sans vis­ite sans moyen sans bonheur

Il faudrait qu’on se parque

Dans un de ces fou­tus camps

Aux États-Unis, en Tunisie, en Alle­magne, en Russie, en France, en Espagne, en Nami­bie, à Cuba, en Chine…

Traître human­ité sale humain sale

Il faudrait qu’on se donne

Au fusil automatique

Pris en pho­to par une balle argentique

Immor­talis­er le moment

Il faudrait cet hiver

Qu’on fasse une bonne bataille

De boules de napalm

Il faudrait enfil­er nos bottes

Sur ce parterre de dents cassées

Pren­dre le chemin des ossements

Sans école sans concorde

Cimetière humain

Notre temps

Est un cimetière humain

 

Il faudrait pour sourire que je déchire mon vis­age en un large hori­zon nouveau

Ne plus être

Humain

 

La cage tho­racique n’enveloppe plus rien

            Défaitisme !

Les yeux ne pleurent plus

            Men­songe !

La Terre va-t-elle cess­er sa rotation ?

            Un jour

            Éclipsera

            Nos traces

 

Au bord de l’œil du gouvernant

Une larme peut-elle encore tomber ?

Faut-il la chercher à la bêche

Quand la com­plainte ne suf­fit plus ?

Faut-il pel­leter dans son regard froid de bœuf ?

Et nous les four­mis rouges d’amour

Sommes-nous des bœufs en puissance ?

 

Le temps est fini de demander

 

Je suis coupable

Gon­flé vorace obèse

De ce pays

Je mange l’électricité jusqu’à déplac­er le soleil et vio­l­er la nuit

Je mange l’autre et ne suis pas à sauver

Ma parole

Ma révolte

S’embourbent

Ma bouche est pleine d’une bouil­lie infâme

Qui m’étouffe et m’affole

Il faut bien cracher et n’ai pour crachoir

Que mon vis­age sem­blable si semblable

 

Ma voix de farine se veut bien blanche

Pour le bon pain à rompre

Man­geons ceci est ma voix

Man­geons de l’oreille et de la langue

Ma voix ne s’effondre pas

Elle s’esseule

Et s’essaie

Et pour­tant

Rien !

 

Une voix peut faire pleurer

 

Ô mes lèvres alour­dies de peine

Molles et lâches

Guimauves rouges étendues

Les ros­es sont mortes

 

Pou­vez-vous dire encore

Le brin de l’espoir dans un bou­quet au cimetière ?

Pou­vez-vous faire de l’autre

Une voix qui s’anime ?

 

Rota­tion claire de la respiration

Hor­loge mal réglée du cœur

Bombe gira­toire Bombe attendue

Comme le messie

Fana­tiques de la paix

Explosez votre cœur

Là-bas plus rien que du bruit

Et des cris violents

Qui tem­pê­tent s’abîment s’éboulent

Dans le silence lourd des truands

 

Le truand

C’est la sil­hou­ette épaisse

Où l’on ne dis­tingue plus ou trop

L’humain

 

Ter­reur ! Ô mes lèvres alour­dies de peines

Molles et lâches

Déchirez mon visage

En un large cri

Hori­zon perpétuel

De notre Troisième millénaire

 

Moi tas de chair vieux de mil­liards d’années

Le moin­dre atome qui me traverse

A la fièvre

La fièvre de ses frères atomes

Trem­blant sortant

Des dépos­sédés

Partout pleu­rant mourant

Des tas de morts aux atom­es fuyant

 

Tam­bour de nos vis­ages écartelés et joints

Frap­per sur nos yeux nos nez nos bouch­es nos cheveux

Bat­tre la marche chao­tique des chamois

Que l’ordre ne soit plus jamais un avantage

Le rythme neu­tre et ferme des poli­tiques à abattre

Par la même occa­sion emmenez ma voix qui n’ose pas aux dépo­toirs des lâchetés là où repose 
mon cerveau dysfonctionnel

 

Et partout la fuite des peuples

On a pris leurs maisons pour des bougies

Voulu allumer la mèche

Chan­té pour le bien la sécu­rité le bon sens

Nous n’avons enten­du qu’un cri sourd

La chou­ette n’hulule plus

Il n’y a plus de jour plus de nuit

Ils s’enfuient quand on voudrait nous couper les bras dire non ne venez pas trop tard trop sales 
trop sombres

Ils n’ont plus de jour plus de nuit plus de terre

 

Ô mes lèvres alour­dies de peines

Cernes du ciel et de la terre

L’horizon de mes dents

Creuse une langue intérieure

 

Mansarde sur deux épaules

Nous ouvrons les fenêtres

Face au cosmos

Silence

Le néant puis quelques étoiles

Descen­dent et s’installent

Dans notre tête

 

Nous n’avons plus de jambes pour piétiner

Plus de jambes pour nous tenir debout

Nos jambes elles sont illusoires

Nous ram­pons

Ne vous fiez pas à notre corps

Nous lon­geons le sol comme des blattes

Ou des vers luisants

Nos jar­rets on les a coupés broyés

Dans les écrous de l’ascenseur social

Ils en fer­ont du carburant

Nous n’avons plus de bras pour écrire

Plus de main pour tenir un stylo

Nos let­tres sont fausses

La langue on nous l’a volée

Stérile la langue est stérile

Nous avons imagé une voix

Avec nos yeux révulsés

Une voix qui regarde par la mansarde ouverte

Le néant puis quelques étoiles

 

Human­ité-cul-de-jat­te

Human­ité-tronc

Le soleil peut-être va-t-il nous don­ner la lumière

Et la pluie nécessaire

Pour que nous repoussions ?

Mais nous n’avons rien à attendre

Ni de la matière

Ni d’un dieu

Nous n’avons rien

 

On nous roule comme des bal­lots de paille

Nos révoltes ne leur font pas plus peur

Qu’un épou­van­tail au fermier

Nous sommes la tête coupée d’Orphée

Qui per­siste et chante et pleure

Sa mansarde ouverte

Le vent passe et râle quelques souvenirs

Glacés

Nous avons froid dans la pensée

Froid dans les os

Nous avons ouvert le haut de notre mansarde

Pour nous enfuir si nous le devions

Et nous restons

Nous restons

 

Human­ité-tronc vulnérable

N’importe quelle pous­sière qui entrerait

Par le haut de notre conscience

Nous détru­irait

Mais l’ennemi est trop gras de ses billets

Et ne passe pas notre porte

Human­ité-tronc nous ne pouvons

Que nous affaib­lir davantage

Nous affaib­lir

Totale­ment

Nous nous effon­drons pour n’en avoir plus rien à foutre

D’être à terre au fond sans bras ni jambes

Nous nous effon­drons pour être aus­si vastes

Et insai­siss­ables

Que ce néant dans notre mansarde

 

Nous nous allé­geons davan­tage que le corps

Pour être plus léger que la tor­ture de nos frères

 

Mansarde sur deux épaules

Nous ouvrons les fenêtres

Face à l’autre

Une voix point à point

Le néant puis quelques étoiles

Lumière des feuilles automnales

Éclat du déclin

 

Pour ceux qui désirent encore

Remon­ter de leur corps de chenille

J’ai assem­blé vingt-sept pierres

Et vingt-sept colonnes

Pour notre ennéagone

Pour ceux qui peu­vent encore

Saliv­er de leur peau de chenille

Arriv­er en haut des colonnes

Là où la mansarde s’ouvre

Au néant puis quelques étoiles

Peut-être

L’être

Présentation de l’auteur

Samir Moinet

Samir Moinet est né en 1999 en France et vit actuelle­ment à Stras­bourg. En 2024, il achève un mémoire en Lit­téra­ture française sur la poétesse mécon­nue Marie Dauguet.

Il écrit de la poésie depuis ses qua­torze ans et crée chaque semaine au sein de l’Atelier de Créa­tion Poé­tique de la Fac­ulté des let­tres à Strasbourg.

Pho­to © Teona Gore­ci pour Haut Par­leurs !

Bibliographie 

La revue Europe a pub­lié en sep­tem­bre 2024 son poème A vava inou­va. On peut égale­ment citer les revues Au Pied de la Let­tre et Le Par­rhèsi­aste, ain­si que la scène ouverte de poésie Haut Par­leurs ! qui lui ont don­né un espace pour s’exprimer.

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