Samira Negrouche, cinq poèmes

Par |2025-01-07T09:12:56+01:00 6 janvier 2025|Catégories : Poèmes, Samira Negrouche|

Il fait som­bre dehors || tou­jours autrement || tou­jours plus || som­bre à 
Alger et || ailleurs j’ai vu la neige || il y a dix ans la neige || les branches 
ont cassé || je m’en sou­viens et les poteaux brisés || le vent brise et le 
poids || la neige sur ma terre-mère || on dit que ce n’est pas si rare || il 
neige sur les dunes du Sahara || pas si rare || on a beau revoir la scène || 
neige sur sable || c’est tou­jours la pre­mière fois || qu’il fait trente-trois 
degrés un vingt-trois octo­bre || il fait som­bre dehors || c’est midi plein.

***

Il y a des choses Anna || ça n’a rien à voir avec le sein et le téton || ni 
avec l’éveil du désir || le réveil des sens || il y a des choses comme le 
dérè­gle­ment des sens || qui me préoc­cu­pent || quand je pense à toi || c’est
aux incendies || à la Cal­i­fornie en feu que je pense || à la Kabylie au 
Por­tu­gal || à la Grèce à la dune du Pilat || au parc d’El Kala ses oiseaux 
migra­teurs || à l’ouest du Cana­da || je ne savais pas que le pays froid 
peut brûler || ain­si on brûle le pays froid et l’Amazonie || et l’Australie
encore || rien de Flat à ce sujet || pas lisse || ça grimpe || ça saute || partout 
de proche en proche || ça flambe.

***

Il y a une faille en Cal­i­fornie || comme il y a une faille à Alger || moi 
aus­si je suis nulle en géo­gra­phie || le plus sou­vent || j’oublie où se 
trou­vent les failles majeures || en Méditer­ranée en Ana­tolie || sur la mer 
morte je ne sais pas || s’il y a autre chose || que la guerre || j’y ai pourtant 
nagé || toi et moi vivons || sur la faille || et d’autres que nous || failles et 
fis­sures habitent || nos pro­fondeurs || je suis née le jour || du grand 
séisme || une deux­ième fois || dans mon berceau || les mères oublient 
par­fois les nour­ris­sons || elles se sauvent || les mères pleurent d’avoir
oublié || qui pour sauver les mères || je traduis les sec­ouss­es mal­gré moi 
|| l’échelle n’est pas référencée || je traduis du bout || de la langue.

***

Je n’oublie pas les trente-trois degrés || le chaud quand ça vient à cette 
sai­son on dit || ça rap­pelle le grand séisme || celui d’Orléansville il y a 
quar­ante-deux ans || moi aus­si j’ai peur || quelque chose me secoue || 
j’aimerais avoir une queue à bal­ancer || nous autres humains traduisons 
la peur par || des flam­bées cutanées || des démangeaisons || la maladie 
men­tale est tou­jours || une tra­duc­tion || tu ne sauras jamais || la langue 
de départ || زعزعني sec­ouée ébran­lée dérac­inée || accepter la part de 
sec­ouss­es || inven­ter entre les lignes de quoi || traduire tor­du || passer 
juste || la frontière.

***

Anna la chaise est ren­ver­sée c’est à par­tir de la fin—n’importe quelle 
fin—qu’il faudrait réa­juster l’oubli—le par­adis Anna a par­fois un goût 
de soleil moisi—quand je pense au soleil je veux penser à Sénac à 
Amrouche à Amrani—mais quand je pense soleil je veux penser au 
soleil de la Californie—celui que je n’ai jamais vu—cette terre mère 
qui t’irrigue—le désir prend place dans ce qui advien­dra peut-être—
peu importe si ça advient—à la fin le par­adis rétablit la chaise—je ne 
dis pas que la chaise rede­vient droite—je ne dis pas qu’elle se dresse—
mais quelque chose n’est-ce pas doit être rétabli et je crois que c’est
l’idée même du par­adis qui m’inquiète—dans le Coran il ruis­selle sous 
les pieds des mamans—dans le Coran cer­tains reti­en­nent les vierges 
offertes aux sacrifiés—il faut ren­vers­er le sac­ri­fice Anna—sans doute 
rétablir les vierges et les mères—pour le Marabout de Dakar il ne sert 
à rien d’aller à la Mecque car dit-il la Mecque c’est le flanc de ta mère—
hon­ore le flanc de ta mère dit-il—il ne dit pas étran­gle-toi avec ton 
cor­don ombilical—mais ta mère comme une Mecque est une terre 
promise—il ne faut y voy­ager qu’une fois—la terre de ma mère est un 
cor­don joyeux—c’est une chan­son dans le bain—thawardets—la
rose—ma mère se rap­pelle le bain—tous les enfants sont beaux—et le 
par­adis Anna est une mère dans laque­lle on ne voy­age qu’une fois—un
refrain qui reste comme un bat­te­ment lointain—nous ne sommes pas 
par­faits Anna—nous ne sommes pas impar­faits non plus—

Extraits de Sta­tions, édi­tions chèvre-feuille étoilée, 2023.

Sami­ra Negrouche, deux extraits de Sta­tions, Sta­tions, édi­tions chèvre-feuille étoilée, 2023.

Présentation de l’auteur

Samira Negrouche

Née à Alger où elle vit, Sami­ra Negrouche est poète, essay­iste et tra­duc­trice. Médecin de for­ma­tion, elle se con­sacre à l’écriture. Les col­lab­o­ra­tions inter­dis­ci­plinaires tien­nent une place impor­tante dans son proces­sus créatif et dans son chem­ine­ment de pen­sée. Elle a notam­ment tra­vail­lé avec la chanteuse et musi­ci­enne Angélique Ion­atos, l’artiste Marc Giai-Mini­et et le théor­biste Bruno Hel­stof­fer. En 2019, elles créent à Conakry avec la choré­graphe Fatou Cis­sé la per­for­mance « Traces ». Elle co-écrit en 2024 « Trem­ble­ment » avec la com­positrice et musi­ci­enne Floy Krouchi et « Pente Raide » avec l’écrivain et per­former Marin Fouqué. Voix majeure de la poésie algéri­enne, elle est traduite dans une trentaine de langues. Par­mi ses pub­li­ca­tions : À l’ombre de Grenade, Édi­tions Mar­ty (2003), Le Jazz des oliviers, Édi­tions du Tell (2010), Quai 2I1, par­ti­tion à trois axes, Édi­tions Mazette et Traces, Fidel Anthelme X (2021). 
 
Elle pub­lie en 2023 sa tra­duc­tion du recueil de Nathalie Han­dal, De l’amour Des étranges chevaux, Édi­tions Mémoire d’encrier (Mon­tréal), l’anthologie per­son­nelle, J’habite en mou­ve­ment ( 2001 – 2021), Édi­tions Barza­kh (Alger) et le vol­ume hybride d’essais, de dia­logues et de poèmes Sta­tions aux Édi­tions Chèvre-feuille étoilée (Mont­pel­li­er). Son œuvre poé­tique choisie « The Olive Trees’ Jazz and Oth­er poems » a été­traduite en anglais par Mar­i­lyn Hack­er et pub­liée aux États-Unis en 2020, elle a été final­iste du Nation­al Trans­la­tion Award et du Derek Wal­cott Prize for Poet­ry. 

© Crédits pho­tos Lili N.

Bibliographie

  • J’habite en mou­ve­ment, édi­tions Barza­kh, 2023
  • Sta­tions, édi­tions chèvre-feuille étoilée, 2023.
  • Traces, édi­tions Fidel Anthelme X, 2021
  • The Olive Trees Jazz and Oth­er Poems, tra­duc­tion par Mar­i­lyn Hack­er, Presse Pléi­ades, 2020
  • Alba Rosa, édi­tions Col­or Gang, 2019
  • Quai 2I1, par­ti­tion à trois axes, édi­tions Mazette, 2019
  • Six arbres de for­tune autour de ma baig­noire, édi­tions Mazette, 2017
  • Quand l’a­mandi­er refleuri­ra, Antholo­gie, édi­tions de l’A­mandi­er, Paris, 2012 (épuisé)
  • Le Jazz des oliviers, Bli­da, Édi­tions du Tell, 2010
  • Cab­i­net secret, avec trois œuvres de Enan Bur­gos, Col­or Gang, 2007
  • À cha­cun sa révo­lu­tion, bilingue fr/it, Trad. G. Napoli­tano, Naples, Édi­tion La stan­za del poeta, Ital­ie. 2006
  • Iri­di­enne, Lyon : Col­or Gang, 2005.
  • À l’om­bre de Grenade, A.P l’é­toile, Toulouse 2003 ; édi­tion aug­men­tée Let­tres Char-nues, Alger 2006.
  • L’Opéra cos­mique, Alger, Al Ikhtilef, . Réédi­tion, Alger, Let­tres Char-nues, .
  • Faib­lesse n’est pas de dire… Alger : Barza­kh, 2001.

Livres d’artistes

  • Cab­i­net secret, avec trois œuvres de Enan Bur­gos, Col­or Gang, 2007.
  • Bâton / Totem — livre d’artiste avec Ali Silem, 2016
  • Voit la nuit — livre d’artiste avec Ali Silem, 2017
  • Nuage du matin — livre d’artiste avec Jacky Essir­ard, 2017
  • Il ou Elle, livre d’artiste avec Marc Giai-Mini­et, édi­tions du nain qui tou­sse, 2018
  • Sus­pends la langue, livre d’artiste avec Marc Giai-Mini­et, édi­tions du nain qui tou­sse, 2018
  • Flux 1 & 2, livre d’artistes avec Lamine Sakri et Ryma Rezaigu­ia, Les ate­liers sauvages 2018
  • 2X2, livre d’artistes avec Lamine Sakri et Ryma Rezaigu­ia, Les ate­liers sauvages 2018

Ouvrages collectifs

  • Le retour dans Le bocal algérois, édité et mis-en-scène par Gare-au-théâtre à Vit­ry-sur-Seine, 2003.
  • J’ai embrassé l’aube d’été, Villeur­banne, Édi­tions La Passe du vent, 2004.
  • L’Heure injuste !, dans L’Heure injuste, Villeur­banne, Édi­tions La Passe du vent, 2005.
  • Départe­ments et ter­ri­toires d’outre-ciel, Villeur­banne, Édi­tions La Passe du vent, 2006.
  • “Nei bas­tioni del­la cul­tur­ali­ta”, dans Vio­len­za sen­sa legge, (éd.) Mari­na Cal­loni, Édi­tion De Agos­ti­ni, 2006.
  • Dans le priv­ilège du soleil et du vent, Villeur­banne, Édi­tions La Passe du vent, 2007.
  • “Déser­ti­fi­ca­tion”, dans Antholo­gie des dix ans du fes­ti­val Voix de la Méditer­ranée de Lodève (dou­ble CD), poètes sélec­tion­nés par l’écrivain et poète cana­di­enne Denise Bouch­er. 2007
  • “Café sans sucre, dans Dans le priv­ilège du soleil et du vent, Villeur­banne, Édi­tions la passe du vent, 2007.
  • “Mon père ce passé présent”, dans Mon père, (éd.) Leila Seb­bar, Édi­tions Chèvrefeuille étoilée, 2007.
  • “Cor­re­spon­dance avec l’écrivain Nicole Cali­garis”, dans Il me sera dif­fi­cile de venir te voir, Édi­tions Vents d’ailleurs, 2008.
  • Tri­an­gle : Poésies en tra­duc­tion, Alger: Alpha, 2009.
  • “S’il fal­lait trou­ver un sens, dans Pour tous ! Démoc­ra­tis­er l’accès à la cul­ture 1789–2009, Villeur­banne, Édi­tions La Passe du vent, 2009.
  • Sami­ra Negrouche (ed.), Lignes d’hori­zons, Bli­da, Édi­tions du Tell, 2010.
  • “Qui con­nait le désert sait qu’il n’est jamais vrai­ment ouvert”, Alle­magne Michael Jeis­mann (éd.), Mauer­reise. Gren­zsi­t­u­a­tio­nen rund um die Welt, Goet­tin­gen: Stei­dl Ver­lag, 2010.
  • La Vérité de la nature, dans Rousseau au fil des mots, Lyon: Le passe du vent, 2012.
  • Maram al-Mas­ri (ed.), Femmes poètes du monde arabe, antholo­gie, Paris, Le Temps de ceris­es, 2012.
  • Sami­ra Negrouche (ed.), Quand l’amandier refleuri­ra, Antholo­gie de poètes algériens con­tem­po­rains, Paris, Édi­tions de l’Amandier, 2012.
  • “Sept petits mono­logues du jas­min”, dans His­toires minus­cules des révo­lu­tions arabes, Mont­pel­li­er, Chèvrefeuille étoilée, 2012.
  • “Du Feu que nous sommes”. Antholo­gie poé­tique. Bor­deaux, Abor­do Édi­tions, 2019.
  • Goutte à goutte, revue Europe N° 1094 — 1095 — 1096 été 2020, numéro dédié à Dib en son cen­te­naire et à Jean Sénac.

Traductions de son œuvre

  • A cha­cun sa révo­lu­tion, bilingue fr/it, Trad. G. Napoli­tano, Naples, Édi­tion La stan­za del poeta, Ital­ie. 2006
  • Il palo elet­tri­co soltan­to, tra­duc­tion en ital­ien par Gio­van­ni Det­tori, dans “Soliana”, n°1, (Cagliari), nov. 2007. [archive] Revue de cul­ture, p. 21–25.
  • Ban­i­pal, Mag­a­zine of Mod­ern Arab Lit­er­a­ture, N°45, poèmes traduits en anglais par Mar­i­lyn Hack­er, Win­ter 2012.
  • Jazz degli ulivi, traduit en ital­ien par Annie Ursel­li, Alber­o­bel­lo, Ital­ie: Poiesis Éditrice, coll. Diwan del­la poe­sia, 2011.
  • A cien­to ochen­ta gra­dos, traduit en espag­nol et pré­facé par Car­los Alvara­­do-Lar­rou­­cau, Rosario — Buenos Aires, Argen­tine: Gog y Magog, 2012.
  • Mono­logues du jas­min, traduit en bul­gare par Kras­simir Kavald­jiev, Small Press Sta­tions, Sofia, Bul­gar­ie 2015
  • Udsat Erindring, traduit en danois par Morten Chem­nitz. North­Lit édi­tions, Aarhus, Dane­mark 2018
  • The olive-trees’ Jazz and oth­er poems, traduit en améri­cain par Mar­i­lyn Hack­er. Pleiades Press, États-Unis, 2020 (final­iste du Dereck Wal­cott Prize for Poet­ry 2021 et du Nation­al Trans­la­tion Award in Poet­ry ALTA 2021)

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