Sandra Lillo, Escale sur le bord de mes paupières
(extraits)
Escale sur le bord de mes paupières;
Les rêves disparaissent,
Mangés par l'obscurité des années
Qui sont passées,
Qu'un autre semble avoir tissé
Avec mes mains, ma voix, mon manteau,
Mes armes et ma lâcheté.
Regarder tomber des averses de pluie
A travers le champs des souvenirs,
Entendre l'enfant qui boit à toutes les saveurs
Qui s'endort sur une dernier rêve de vent,
La joue contre sa paume,
C'était moi.
Je n'aime plus le vent
Qui bouscule dans un grand fracas
Ma mémoire
Et mes jambes qui flageolent
Celles- là même qui ont dansé
Et serré convulsivement
Les hanches des hommes
Et mon cœur qui s'affole
Qui a aimé dans toute sa pureté
Et ma bouche qui se ferme dans une dureté amère
Qui a embrassé rit et pleuré, sans regrets.
Le grand destin courait déjà,
Ivre de sa puissance derrière sa proie,
Écrasant tous les refuges de l'enfance.
Il a bondit dans un dernier élan, sûr de son dû,
De sa victime consentante,
Décidant la mort naturelle dans ses obscures raisons.
Seule, l'âme s'est élevée,
A révélé l'erreur;
Il n'ait d'autre joie
Que celle de vivre et vieillir
Jusqu'aux dernières portes
Dans un dernier salut.
Établir ses comptes
Sur une férule de papier,
Se découvrir vieux
Avec des rides, des plis,
Des amours maudits.
Embrasser la terre
Pour le vin qu'elle a fournit;
Dans ses beaux jours,
Sa couleur acajou,
Dans sa douleur lancinante,
Les formes lascives de sa robe.
Après la parole, après la nuit,
Remonter à la ligne,
La ligne plate de l'horizon;
La lumière joue, s'invente
S'avance comme on l'attend,
Tapissée d'ombre,
Agitée de somnolence et d'éveil.
Il faudra toujours rentrer;
vérifier le courrier,
retrouver les meubles et leurs bibelots,
leur air fanfaron sur l'étagère,
leur doigt aigri, accusateur
sur la pellicule molle de leur poussière.
Il faudra toujours rentrer;
taire les envies de s'échapper
pour aller au devant des blas- blas du monde,
laisser ses pas glisser sur l'asphalte,
(enrubanné de ses costumes d'apparat),
qui rappelle les gris brefs de l'enfance
et ces belles soirées qui avaient l'éclat blanc
de la liberté, (jouir de l'éphémère,
fier, émancipé d'une famille toujours plus meurtrie).
Il faudra toujours rentrer;
rencontrer quelqu'un que l'on croyait perdu
qui a capturé notre visage, notre figure,
quelqu'un qui nous attend pesant
sur la dernière marche de l'escalier,
qui attend la clef dans la serrure,
le geste lent pour ouvrir les volets,
qui se souvient de chaque porte, de chaque entrée,
de chaque palier rayé d'une unique identité
(les cris qu'elles ont caché,
la peine qu'elles ont dissimulé)
et les espoirs étouffés une fois le seuil dépassé.
Avant de rentrer, j'aimais la solitude.
Tout quitter,
Contempler d'ailleurs
Ses anciens espoirs.
Prendre soin de la tristesse,
S' assoupir sur les rives d'un autre territoire.
Déposer dans un encensoir, avant le départ,
Les majuscules d'un drame qui s'est joué
Entre les bornes, d'une vie illusoire.
Dire au revoir à ces voix fatiguées
Qui ne font que répéter
Les mois fragiles qui se sont envolés
(Sur les berges marines du printemps,
On ne faisait qu'avoir vingt ans).
Le soir dépose son manteau
De plus en plus tôt
Et le réveil vient livré dans la douleur.
S'en aller,
Remorquer à la force du corps
Le désenchantement posé
Dans un coffre de bois noble.
L'horloge de midi fredonne
Les sanglots d'un violon
Qu'un homme laisse s'étirer,
Frôler les toits pentus du quartier
Quand vient l'heure, morose,
Ou déraciné, on quémande
Comme un petit enfant, un signe
(une particule de poussière
volant sur les ailes du soleil,
le nom d'un amant retrouvé
sur un papier couturé).
Un geste qui éloignerait pour un temps,
La solitude qui attend,
Tassée dans un recoin du grenier,
L'heure de descendre l'escalier,
Boitillant ses regrets;
Qui vient, sans taffetas ni vernis
S'installe à table,
Dans la chambre à coucher,
A l'heure, ou le repos est enfin permit.