Sara Sand /Stina Aronson, poète et féministe suédoise

Née à Stockholm en 1892, enfant "naturel" d'un évêque, confiée à une famille d'accueil avant de retrouver, à 9 ans, sa mère naturelle, à Uppsala...  les débuts dans la vie de Stina Aronson  semblent dignes d'un grand roman à la Dickens,   ou de la "une" de magazine à "scandale" si on pense à l'époque où elle vécut.

Romanesque aussi la façon dont les vers qui suivent nous sont parvenus, et la discrétion de la passeuse qui nous demande de l'oublier derrière les textes qu'elle nous remet...

Ester Kristina (Stina) Aronson était en effet la fille d'une domestique, Maria Andersson, et d'un étudiant - Olof Bergqvist -  devenu plus tard évêque et membre du parlement. Adoptée par un couple de bouchers sans enfants, c'est contre son gré qu'elle retourne chez sa mère biologique. L'étudiant pour lequel cette dernière faisait le ménage lui permet d'accéder aux écoles secondaires, et de passer avec succès ses examens de fin d'étude, et son père paiera ensuite l'école pour enseignants où elle obtient un diplôme d'institutrice en 1913.

Elle enseigne dans diverses écoles de l'Uppland et du Gotland, épouse en 1918  le docteur Anders Aronson, et le suit en 1919 dans la partie nord de la Suède,   à Boden, où il dirige un sanatorium pour les tuberculeux, et où elle éprouve de grandes difficultés d'adaptation. C'et cette région du Norrland qui forme son paysage littéraire ultérieur.  Devenue veuve en 1936, elle revient à Uppsala, où sa situation économique est précaire.

Le premier roman de Stina Aronson - En bok om goda grannar (1921) - est le récit dickensien de la vie d'une petite ville ; il est suivi de 2 autres romans sous ce nom (Slumpens myndling, 1922 et Jag ger vika, 1923) et d'un 3ème, sous le nom de plume de Sara Sand, Fabeln om Valentin (1929) qui marque une nouvelle orientation littéraire, la rapprochant du Modernisme suédois. Durant ses voyages, à Uppsala, Stockhom, Paris, Stina développe des liens littéraires notamment avec des figures importantes du modernisme, tel Artur Lundkvist. Elle a  une correspondance régulière avec ce dernier,  dans les années 1929-1931.

Son recueil de poèmes, Tolv Hav, inspiré par la poète finnoise Edith Södergran, est publié en 1930, et une pièce de théâtre de chambre, Syskonbädd, en 1931.

C'est sous le nom de Mimmy Palm qu'elle écrit un roman sous forme de journal, Feberboken (1931) dans lequel elle étudie les rapports de l'amour et de l'écriture, et compare la situation  respective de l'homme et de la femme. 

Son roman Medaljen över Jenny, de 1935, obtient le prix du meilleur roman traitant de la vie ouvrière. Elle a aussi écrit un récit de voyage, Byar under fjäll, en 1937, le roman Gossen på tröskeln raconte l'enfance d'un petit garçon, et le roman sur la vie sauvage Hitom himlen, en 1946, lui apporte la reconnaissance des critiques et du public, suivi par d'autres succès comme Sång til polstjärnan (SS), 1948, Kantele (P), 1949, Den fjärde vägen (N), 1950, et  Sanningslandet (SS), 1952.

Amie intime de la critique Magit Abenius, Stina Aronson s'éteint 1956 à Uppsala et est enterrée au cimetière de Kristinehamn.

Les poèmes que nous vous livrons nous ont été confiés par Catherine Smits, qui les a elle-même "rencontrés" dans des circonstances fort poétiques. Au cours d'un voyage en train, un voisin suédois lit un livre de Sara Sand. Affable, il traduit quelques poèmes pour Catherine : séduite par la force et la beauté de ces vers, elle entreprend d'en traduire d'autres, à partir de la traduction anglaise que lui fournit l'obligeant voyageur. Puis, nous les transmet avec des notes biographiques, et le souhait de faire vivre ces mots qui l'ont - à juste titre - émue, et qui nous touchent également. Les voici, tels qu'ils nous ont été transmis.

 

 

 

traduction Catherine Smits

Je ne suis pas une femme
Pas une étreinte hospitalière
Ni un bassin blanc autour de votre falaise

Jag är ingen kvinna, / ingen gästfri famn, ingen vit bassäng kring din springbrunn

 

Ce qui rend la poésie de Stina Aronson si percutante, écrit un journaliste suédois, c’est le mélange de châtiment et de vice, le contraste entre rêve et réalité étouffante et puis, cette immense soif de liberté.
Ses pensées, ses désirs de femme sont en avance sur son temps et elle écrit : « Avant mes sœurs /je me lève au milieu des ténèbres et je cherche des mots nouveaux/ à la hauteur de ce que je soupçonne. » (Före mina systrar”, står jag upp i halvmörkret och söker nya ord / till den kunskap jag anar.)

 

Une foule de gens vit en moi,
imbéciles, amants, ermites, danseurs.
Ma vie est un édifice vibrant
Je suis un fourmillement, une place de marché.
Je dérange mes propres moments de dévotion
avec mes pas bruyants.
J'interfère avec la diversité de la malédiction.
Oh, les roses grimpantes vont éclore un matin
avant que le miroitement devienne jour.
Je bois cette minute avant la floraison
Seules mes roses coupées,
mes contes coupés,
peuvent me donner
un verre de silence
et garder nos humbles mains ensemble

 

I mig bor en skara människor,
narrar, kärlekskranka, eremiter, danserskor.
Mitt liv är en byggnad av liv.
Jag är som ett vimmel, ett smutsigt marknadstorg. Jag stör mina egna andaktsstunder med mina larmande steg.
Jag stör mig med förbannelsens mångfald.
Ack då slår klängrosorna ut en morgon innan skimret har förvandlats till dag.
Jag dricker denna enda minut före blomningen som ännu är bara en aning.
Intet annat än mina skära klängrosor,
mina skära sagor,
kan skänka mig och jagen
en dryck stillhet
och hålla våra händer andaktsfullt tillsammans.

 

 

***

 

La matrice qui m’a portée m’a reniée
La bouche qui m’a aimée m’a reniée
Les visages éternels des montagnes
Nient avec leur silence
Le jour nouveau

Aux voix du monde entier
Tous les sanglots du monde
Tous les chagrins d’enfance
Font écho

 

Det sköte som födde mig förnekade mig.
Den mun som älskade mig förnekade mig.
Bergens eviga ansikten förnekar med sin tystnad 
den nya dagen.
Till alla världens röster
alla världens snyftningar
alla barnsliga stegs eko
lyssnade jag och hörde nejet.

 

 

***

 

Mais le pays de l'âme est une immense étendue
qu' aucun mot ne peut contenir.
Pour le langage éphémère de la langue
utilise des mots d'amour et de guerre
Mais pour ouvrir le puits d’intuition
les lèvres doivent se fermer et se taire

 

Men själens land är en väldig trakt
som inte får rum i orden. /
Ty munnens timliga ord blir sagt /
i talet om älska och kriga. /
Men för att öppna aningens schakt /
får läpparna slutas och tiga.”

 

 

*

 

feuilleter  ici un extrait du livre TOLV HAV (douze mers) en V.O :

https://www.provlas.se/tolv-hav/