la peau rouge tiraille après une journée à la mer
le corps est vidé malgré les siestes qui se sont succédées sur les fwet ensablées. face à la chaleur de l’air aucune chance de survie sans le secours de la mer. de l’eau qui coule du matin au soir
humidifie la peau et irrigue les artères
entre les deux rives reliées en trainées de carbone annuelles
le jeu des différences
des montagnes si arides qu’elles semblent désertiques d’un côté plus tellement blanches mais encore vertes de l’autres
à l’aéroport de Tunis déjà la familiarité qui attendrit et irrite et le chaos habituel du tapis de bagages et sinon tout cela se ressemble comme toujours
suffocation à la table où les nœuds se serrent sous les amas de livres
les mots s’enchaînent et effleurent la gueule de bois
devenue si habituelle
qu’elle advient sans même boire
noyant
la matière sous un gris de brume
l’air est moite
le visage luisant comme celui d’un×e autre qu’on ne reconnait plus
la nesma
déspérément attendue
se refuse sans cesse
disparait dès qu’elle affleure
l’espoir de la voir assécher la sueur nourrit le manque d’elle
la peau pique et tiraille
brunit de part en part
et les traces du maillot comme une fringue blafarde
la sueur propre suinte des pores dilatés
tandis que le soleil brochette les organes
c’est du feu et pourtant il détend et rassure
enlevant tout le poids d’une année à Paris
c’est le seul endroit
où le corps maladroit
trouve un peu de quiétude
sans l’ennui de la vie qui n’a jamais sa place
sans le rêve d’en être qui se heurte aux hauts murs
ils creusent à l’intérieur
pleins de la haine du vide
rien ne reste du rêve de gravir les empires
ils sont creux des mensonges
des non-dits qu’on répète
des trous assimilés
comme pleins de vertus
et dans l’entre deux rives
la traversée carbone
affiche le mythe dans une clarté d’aumône
lézard sur le sable la peau se fait souffrance
et l’on se sent vivant enfin pour un instant
on dirait que maintenant la mort est trop loin
et le corps trop là même s’il se liquéfie
il fait beaucoup trop chaud
la chair semble fondre
mais elle n’importe plus
le corps n’est plus qu’une partie du décor
l’amant enlacé
au sol de Pompei
et puis les commentaires
litanie incessante
mouch normal el s5ana
3omri ma rit
yesser
yesser s5ana
trop
trop chaud
intolérable
de pièces en pièces
clims et ventilos
tempèrent les demeures et réchauffent les villes
et les douches vrombissent et vident les nappes vides
alors à chaque goulée qui coule dans le gosier
se dire que peut-être dans quelques années
il n’y aura plus rien
juste de l’air sec
qui charbonnera le corps
petit fossile moulé dans la torpeur d’été
quand le champs de ruine
spolié comme une charogne
deviendra champs de cendre
infertile et mortel
que fera-t-on
des corps des indigènes
7170 Tunisien×nes sont arrivé×es illégalement en Italie entre janvier et juillet 2022
39285 toutes nationalités confondues
plus d’un million de Tunisien..nes vivent déjà à l’étranger
presque un dixième de la population totale du pays
combien serons-nous dans les cales de fortune
quand il fera trop chaud et qu’il n’y aura plus d’eau
que fera-t-on du corps des enfants
du corps de mes parents et de mes grands-parents
de tous les corps qui n’auront pas pu traverser
bdounet ajdedi wes7abi
chnowa dhanbhom
condamné×es car né×es du mauvais côté
celui où les papiers closent le monde
je pourrais me sauver
nemchi wen5alihom
mais que feront ces corps
enchaîné×es à leur rive
tous ces corps
dont la vie ne vaut rien
sillonner le monde n’est qu’à la portée
des corps dont les aïeux
ont cru
pouvoir
le posséder
c’est déjà beaucoup de se lever tous les matins
de se lever et de prendre la route du travail
de l’école
de la vie qui continue
qui continuera peut-être sans vous
le café sifflé en vitesse
et les clopes qui grillent les poumons
champs de feu les poumons
labourés tous les ans à coup de cendres infertiles
tous les jours prendre la route qui ne mène à rien d’autre
qu’au creux du rien qui vous a vu naître
car vous n’êtes rien
jamais vous n’avez été plus
qu’un mythe
un mirage
en vous il n’y a rien de vrai
rien qui tient
en vous il y a le mensonge
en vous il y a l’autre
dans vos mots
dans vos fringues
dans votre crâne rasé
l’autre
la haine de l’autre
la haine de soi
la haine de la terreur qui vous écrase
et l’amour du joug qui s’abat
vous n’êtes rien sans le joug
sans l’idée que votre rive ne suffit pas
sans l’idée que vos ancêtres sauvages doivent tout à l’autre
qu’en fait l’envahisseur vous a fait du bien
et que ce n’est pas si mal
de ne pas parler la langue de ses ancêtres
qu’est-elle d’ailleurs cette langue folle faite de navires sanglants
cette langue qui se transforme de tout ce qu’elle emprunte
qui n’est pas officielle
mais qui vous habite
et habite le pays d’où vous venez et ses rues et ses tablées
cette langue dont on dit qu’elle n’existe pas
qui est un mythe
un mirage politique
comme vous
on vous a toujours dit que vous étiez mieux autre
car
votre corps n’est rien
un masque blanc parlant dans un français bourgeois
propre et cultivé poli comme un galet
il est l’incarnation
du bougnoule intégré
mais le corps reste brun et se heurte à la loi
sa naissance fait de lui un être qui demande
et à qui on peut
à tout moment
dire
non
votre corps n’est rien
il pourrait mourir au fond de la mer morte
devenir humus
et fumer les abysses
de ses rêves échoués
votre corps n’est rien
votre corps marche mort
de rive en rive il erre
sans pouvoir s’arrêter
il pourrait nager
longtemps acharné
et il arriverait
du bon côté de l’eau
un uniforme blanc l’accueillerait alors
et le renverrait
à sa rive fardeau
elle est belle pourtant
elle pourrait être rêve
si on ne l’avait pas
vidée de son histoire
condamnée à devenir
un pays où les lois
mettent les corps en bas
de l’échelle des droits
les lois sont le mythe
les corps sont réels
mais le mythe met des corps
au-dessus d’autres corps
la terre est à tous×tes
et pourtant les corps meurent
car des lois leur refusent
le droit à la survie
un noyé se débat pour toucher le rivage
un brûlé court fou jusqu’à trouver de l’eau
et quand les bombes tombent
les corps fuient les débris
mais les frontières sont là
pour interdire la fuite
des murs coupent la terre qui devrait être libre
des corps uniformes vérifient les papiers
et les corps sans voix sont renvoyés là-bas
là où la mort de loin ne touche pas pareil
un×e migrant×e mort×e est un×e grand×e brûlé×e abandonné×e aux flammes jusqu’aux râles d’agonies qui trouent ses poumons âcres
ce n’est pas la vie
ce n’est pas normal
c’est là où la justice devient illégale
c’est comme va le monde dans son ordre insensé
mais c’est de la folie
un délire partagé
où les murs tuent
qui s’engagerait en mer
qui irait à la mort
si sa terre n’était pas qu’un champ de ruine gâché
qui partirait sans croire que les sien×nes ne valent rien
que lui-même ne vaut rien
un corps ensauvagé
pleins des trous de l’histoire aux mensonges vérifiés
pleins du creux de ne pas être
un corps qui vive libre
mon corps ne compte pas
les corps des mien×es non plus
je viens d’une rive spoliée où nous vivons sans droits
les traces fondent sur le sable
elles sont trop délicates
et meurent sous les remous
et ainsi va la vie
quelques gouttes d’amour
dans une flaque de mort
corps désirs et rêves
disparus dans la nuit
bientôt on ne saura plus que vous avez été
bientôt on ne saura plus qu’Autre vous a bercé
que vos rêves sont à lui
vos désirs les siens
et vos luttes mourront
dans le reflux des vagues
bataille chaque jour
mais à la fin toujours
vous êtes l’autre de l’autre
læ barbare droit et fier
sauvage éduqué×e
au sang traître à sa race
au sang traître à son cœur
à la marche du monde
cyborg de l’histoire
bug dans la matrice
marqué du sceau du sang
de la trace du joug
et des mots de l’école
qui remplacent les vôtres
l’école de la France
civilise les élites
les lave de la honte
qui coule dans leurs veines
car il manque à leur sang
les gouttes qui donnent le monde
dans mon sang il y a
les traces de l’Afrique
les traces de l’Asie
l’Arabie la Turquie coulent toutes dans mes veines
mais ma bouche
ma bouche
ne parle que la France
ma bouche se croit française
a honte de ne pas l’être
déteste cette honte
et rage contre la France
elle rage contre elle-même
quand remonte la honte
et elle s’insulte alors
avec les mots de l’autre
ma bouche ne connait
que les mots de l’autre
cel×lui qui ne veut pas de moi
qui ne veut pas que je dise
qu’iel ne veut pas de moi
qui veut que je l’ouvre
en quête de becquée
que je la ferme servile
prosterné×e à ses pieds
alors si tête haute je refuse le joug
je me lève le matin avec la peur au ventre
je me lève le matin je regarde ma chambre
le poster de Magritte acheté à Bruxelles
la femme à moitié nue
à moitié corps nuages
et je rêve au jour où on me condamnera
à rentrer au pays
qui ne me suffit pas
quand je ne pourrai plus voir de tableaux de corps nus
quand Bruxelles ne sera qu’un lointain souvenir
emporté par les files d’attentes des consulats
par les visas accordés seulement pour quelques mois
qu’on arrête de demander après trop de refus
parce que ça fait mal
parce que ça coûte cher
parce qu’on n’a pas besoin de Bruxelles pour survivre
parce qu’on n’a pas besoin des quais de Seine bondés les soirs chauds d’été
ça pue les quais de Seine
ça pue le métro
qui s’enchaine au boulot et au dodo
devient une purée de rêves déçus
qui suinte la haine de soi et les relents de bière
je hais les quais de seine
Paris Plage me dégoûte
c’est la chose la plus triste
la plus éloignée d’une plage que j’ai jamais vue
mais je sais que le jour où mon corps ne pourra plus y être
je me rappellerai de la chaleur du sol
qui fera bientôt fondre les semelles en plastiques
dans l’air fermé comme une fournaise dantesque
où flotte le pollen à toutes les saisons
et les effluves de pisse et de weed des rues sales
les rues où j’ai rêvé qu’un jour moi aussi
je serai
enfant de la France
parce que
je le suis
déjà
même si elle ne me reconnait pas
et chaque fois
chaque fois que j’ouvre les yeux dans mon lit parisien
chaque fois que je vois toutes les années passées dans ma ville
dans la seule ville où je me sens être en vie
je me rappelle que tout ça
ne tient qu’au fil du titre de séjour
du changement de statut
de l’APS barbare qui efface l’histoire
ma vie ne tient qu’au fil
des mots bureaucratiques et administratifs
qui font de vous
un chiffre
une donnée
une ligne qu’on pourrait à tout instant
biffer
que ferai-je
des livres qui s’amoncellent en monticules dans mon appartement du 14ème arrondissement
combien de cartons peut-on porter les mains menottées au fond d’un vol charter
dans mon ventre un poing
un poing creusé
car je ne sais pas
je ne comprends pas
je ne sais pas pourquoi
je n’ai pas le droit
car je ne comprends pas
pourquoi
l’autre m’a marqué×e
sans vouloir m’adopter
qu’en dites-vous cher×es parents de mon dos courbé et de ma tête roide
étaient-ce vos rêves pour moi
quand comme toutes les élites
vous m’avez confié×e à l’école de la France