Les éditions Rougerie nous ont donné à découvrir en 2020, deux recueils de deux poètes d’origine belge : Marc Dugardin et Serge Nuñez Tolin. S’il ne fallait ne retenir qu’un point commun entre ces deux auteurs, il me semble que c’est leur sens de l’observation méticuleuse du moindre instant de vie. Mais aussi dans leur appropriation de leurs observations « C’est en moi que je trouve le bois vécu des clôtures : en moi l’incendie du sens. »
L’ouvrage de Serge Nuñez Tolin s’ouvre sur des feux de prairie en totale opposition avec la pluie drue du titre. Mais cet d’embrasement est un feu de joie. Le feu de la fin d’été et de l’automne où commencent ces textes. Le feu intérieur qui entretient la vie. Ce feu que les poètes cherchent, sinon à domestiquer, à le comprendre, à en percevoir la magie, à en ressentir le pouvoir « en moi, l’incendie du sens ».
Tout de suite, dès le premier texte, l’auteur cherche à « Tirer le poème de son silence » dans la « Banalité de la campagne, chemins défoncés. / / Tous les mots sont ici, aucun ne s’absente, prairie du réel ». Là où le réel serait cette prairie immense où il est facile de se perdre, l’auteur a trouvé son poste d’observation : « La fenêtre patiente pour s’accorder au paysage. » Pour s’aérer le regard « J’habite les fenêtres, ces éveils de la lumière. »
Serge Nuňez Tolin, Près de la goutte d’eau sous une pluie drue, Rougerie, 2020, 72 p., 13 €.
La poésie de Serge Nuñez Tolin résonne comme célébration des mots du quotidien, « Ce quotidien où nous sommes levés avec les choses et les mots les plus quelconques ». Avec des mots de tous les jours, Serge Nuñez Tolin parvient à réaliser ce qu’Antoine Emaz appelait la fusion vie-langue pour un ensemble très agréable à lire.
Serge Nuñez Tolin sait choisir les mots de l’observateur attentif de la nature pour en exprimer la fragilité : « Fragilité belle, d’une beauté qui ressemble si fort à nos tristesses. Fragilité qui conduit nos pas vers les présences les plus discrètes. » La nature et les petites choses qui en font la vie « Les mots ne me séparent pas des choses ». Avec une écriture à l’écoute de ce « silence plus grand que les mots avec quoi on a voulu le cerner. »
Poésie du fragile, poésie de la moindre des choses.
Une observation fine de chaque perception la plus insignifiante, pour en deviner le signifiant. Le poète trouve un pouls dans le moindre envol de cloches. Il observe en profitant de la forme la plus heureuse de la solitude « Il y a toujours une solitude dont on doit se remettre, à laquelle on n’achève pas de se rendre. »
Observer le moindre détail, y repérer la moindre sensation. Dans la pluie drue, savoir y distinguer la moindre goutte d’eau. Pas besoin d’aller loin pour écrire de la poésie, « En quoi vaudrait-il toujours pour se tenir ici, respirer ailleurs ? », juste tenter de raccrocher à l’universel la moindre veilleuse allumée, le plus banal poteau de clôture, la plus insignifiante goutte d’eau « Près de la goutte d’eau sous une pluie drue. / Comme l’eau de la cruche, la mie sous la croûte, le silence réclame sa forme. »
Écrire avec le regard au plus proche du réel. « Des mots dits dans leur plus grande possibilité d’être dits ; pour cela, nus dans leur plus grande possibilité d’être nus. Ils sont le réel sans nous. Des mots avec lesquels nous mangeons et mourons. ». Se laisser s’abandonner à la méditation dans la lumière et le silence pâles d’une aube nouvelle, depuis une fenêtre, et dire « le glissement des heures l’une sur l’autre. »
Que retirer de cet ouvrage ? Une poésie des horizons bas, d’une douce mélancolie, en prise directe avec « le vaste réel et l’icône du monde. », mais aussi « une joie dans la matière que l’écho du vivant y aurait mise, violente et active, une danse élémentaire. » Une pluie nourricière pour qui aime la poésie.
Présentation de l’auteur
- Carole Carcillo Mesrobian, De nihilo nihil - 20 mars 2022
- Denise Le Dantec, La strophe d’après - 21 septembre 2021
- Marie-Josée Christien, Sentinelle, Guy Allix, Vassal du poème - 6 septembre 2021
- Florent Dumontier, éclair éclat erre - 19 mars 2021
- Revue La Page Blanche : entretien avec Pierre Lamarque - 6 février 2021
- Henri Droguet, Grandeur nature - 21 janvier 2021
- Clara Calvet, Le pèlerinage du temps - 21 décembre 2020
- Serge Núñez Tolin, une poésie de la moindre des choses - 20 octobre 2020
- Marc Dugardin, D’une douceur écorchée - 6 septembre 2020
- Martin Wable, Terre courte - 5 janvier 2020
- Florent Toniello, Foutu poète improductif - 25 septembre 2019
- Jacques Taurand, Les étoiles saignent bleu - 3 mars 2019
- Cécile Coulon, Seyhmus Dagtekin et Roland Reutenauer - 3 février 2019
- Yannick Torlini, Bernard Desportes, Carole Carcillo Mesrobian - 4 janvier 2019
- Bernard Desportes, Le Cri muet - 5 octobre 2018
- Lionel Bourg, Un oiseleur, Charles Morice - 5 mai 2018
- Claude Ber, Titan-bonsaï et l’extrêmophile de la langue - 6 avril 2018
- Perrine Le Querrec, Ruines - 6 avril 2018
- Sophie G. Lucas, Moujik moujik suivi de Notown - 24 novembre 2017
- Lionel Bourg, Watching the river flow - 24 novembre 2017
- Guénane, Atacama - 24 novembre 2017
- Philippe Mathy, Veilleur d’instants - 24 novembre 2017
- Georges Guillain, Parmi tout ce qui renverse - 24 novembre 2017
- Sammy Sapin, Deux frères - 30 septembre 2017
- Corinne Pluchart, Fragments - 30 septembre 2017
- Eric Godichaud, Le cabinet de curiosités - 30 septembre 2017
- Denis HEUDRÉ : autour de la collection “l’Orpiment” - 21 mai 2017
- Marie-Noëlle AGNIAU, Mortels habitants de la terre - 19 mars 2017
- Fil de lecture de Denis Heudré : Béatrice LIBERT, GUENANE - 20 octobre 2016
- Martin WABLE : Géopoésie - 25 juin 2016
- Fil de lecture sur Guenane, Jacques Josse et Le Golvan - 5 mai 2016
- Fil de Lecture de Denis Heudré : Heissler, Péglion, Girerd - 30 novembre 2015
- Fil de Lecture de Denis Heudré : Jean-Luc Despax, Alain Roussel - 24 novembre 2015
- Fil de lecture de Denis Heudré — voyage entre le fleuve, l’espace et l’Islande - 10 novembre 2015
- Fil de lecture de Denis Heudré : Gilles Baudry et Pierre Tanguy / Titos Patrikios / Imhauser - 3 novembre 2015
- Philippe Jaffeux, Alphabet (de A à M) - 14 décembre 2014
- Jean-Claude Pirotte et Guénane : Une île ici et là, par Denis Heudré - 24 octobre 2014