SEUIL DES ACIDES (extrait)

 

Nuit.
Je la veux belle, tendue à l'extrême,
présente aux extrémités de tous nos membres,
voyante flottante
dans l'immensité d'une démence,
assoiffée de soies de sang.

Je la veux imprenable cette nuit,
toute enflée de marbres et de rivières,
tendre, souple, coriace,
pas de plume ni de soie,
mais de ciel pourpre,
mensonge qui hurle
et drape l'infini
impossible à éviter,
à tenir à distance des lèvres,
si étranges lèvres.

Je la veux toute en sourires,
toute légère, si légère,
qu'elle flotterait en cette beauté
des non corrompus,
rêve d'une nudité délivrée de toute culpabilité,
à jamais évadée de cette cellule
criblée de fenêtres murées.

Je l'espère ensorcelée cette nuit
rivée à des villes rivales,
crucifiée sur des rives où des râles
s'épuisent à l'approche des tombeaux,
où des musiques percent des tunnels
en des fronts d'argile.

Il est là le pâle, l'unique secret,
il se tient dans cet angle de la mémoire,
chacun accomplissant, construisant sa pente,
chacun réinventant ses abîmes,
et les arbres, ces arbres qui penchent leurs lourdes têtes
au dessus des fosses,
pour eux aussi elle finira par arriver l'heure de velours,
l'avalanche de la parole leur révélera l'issue.

Cette nuit qui aujourd'hui scintille,
se gorge et s'engorge
se penchera sur le berceau de ce fleuve
qui aura tout simplement oublié de respirer.