Présentation et traduction par Alice-Catherine Carls
Shizue Ogawa est connue en France depuis sa découverte en Belgique, au Festival de Poésie Internationale de Bruxelles en 2005. Après plusieurs traductions parues dans des revues poétiques, des essais et articles sur son œuvre trop nombreux pour être tous cités ici, sa carrière internationale a pris son essor. Elle a été, pendant plusieurs années, l’invitée de Desmond Egan au Festival Gerad Manley Hopkins en Irlande, des éditions Caractères au Marché de la Poésie de Paris, et bien sûr de la Biennale de Liège, avec une présentation de son œuvre à la Maison de la Culture du Japon à Paris en 2015. Peu à peu les publications paraissent ; à ce jour, Shizue Ogawa a été traduite en plus de dix langues.
En français, un premier volume parut en Belgique, Une âme qui joue – choix de poèmes (éditions À bouche perdue, Collection Pangée, en 2010 et 2011, traduit par Michèle Duclos et Jacqueline Starer). En France, sept volumes de plus ont paru à ce jour : Une âme qui joue – le cercle (Caractères, 2012 et 2014, traduit par Véronique Brindeau) ; Une âme qui joue – l’horizon (Caractères, 2015, traduit par Michèle Duclos) ; Une âme qui joue – les ailes (Caractères, 2017, traduit par Corinne Atlan) ; Une âme qui joue – la forme (Caractères, 2018, traduit par Justine Decroix, Alexia Gille, et Yacine Youhat) ; Une âme qui joue – la plaine (Caractères, 2019, traduit par Nicolas Bruneteau) ; Une âme qui joue – le Kaléidoscope (Caractères, 2020, traduit par Nicolas Bruneteau). Indépendamment de cette série, un volume de Poèmes choisis a paru aux éditions Nouvelles traces en 2020 dans la traduction de Michèle Duclos.
Toutes les œuvres de Shizue Ogawa portent le titre « Une âme qui joue » parce que, explique-t-elle, elle écrit comme elle respire, sans crampe d’écrivain. Ses poèmes en mouvement sont ludiques, représentant le jeu de la vie sous toutes ses formes – dialogues avec les animaux, contemplation de la nature, analyse d’un morceau de musique occidentale, réflexion sur le contrepoint de toute chose et sur le passage du temps.
Shizue Ogawa. Lecture de Haïku, 8ème Conférence de l’association mondiale de Haïku.
Spécialiste du poète romantique anglais John Keats, les résonnances entre la culture occidentale et orientale lui sont un sujet particulier de réflexion philosophique, esthétique, et cosmique. Toute chose, selon elle, a une âme. Tout est en contrepoint entre arrêt et mouvement. Tout est question d’empathie et d’écoute, y compris la sagesse qui consiste à se libérer des pensées, possessions, et désirs superflus, l’essentiel étant de se recentrer sur la démarche créatrice qui seule peut éliminer la violence et assurer la paix. Son désintéressement et son détachement des biens de ce monde sont au cœur de son existence.
Depuis un peu plus d’un an, Shizue Ogawa accumule les distinctions. En mars 2023, l’Association Léonard de Vinci lui a décerné son Prix Spécial pour son œuvre poétique, à l’occasion du 570ème anniversaire de la naissance de l’artiste italien. En décembre 2023, deux de ses poèmes, « Prière – une âme qui joue » et « Conversations », ont été choisis pour être lus lors d’une cérémonie spéciale à Hiroshima et Nagasaki en décembre 2023. À cette occasion, il lui a été remis le Prix d’Artiste militant pour la paix. À le fin de l’année, l’International Association of General Art créée par l’artiste japonais Sakae Hasegawa lui a décerné son Grand Prix.
Shizue Ogawa, lors de la 10ème Conférence de l’AMS au Japon, le 29 avril 2015, Itabashi de Tokyo.
L’année 2024 est tout autant prometteuse. En avril, elle s’est vu décerner le titre « Artista genio del siglo XXI » à l’occasion du 120ème anniversaire de la naissance de Salvador Dali. Ce prix récompense deux poèmes, « Paysage » et « Sérénité, » considérés comme les meilleurs de son oeuvre par un jury composé de personnalités japonaises et espagnoles. Le volume Stars – A Soul At Play (IX) vient de sortir en juin 2024 au Japon en édition bilingue, japonais-anglais, dans la traduction de Soraya Umewaka et de Shizue Ogawa. Et le volume Une âme qui joue — le Kaléidoscope, est en cours de publication dans la traduction en roumain de Manolita Dragomir-Filimonescu, qui a déjà traduit le Choix de poèmes en 2015, Une âme qui joue – le cercle en 2019, et Une âme qui joue – l’horizon en 2023.
Nous remercions chaleureusement Shizue Ogawa de nous confier les quatre poèmes qui ont fait récemment l’objet de distinctions spéciales. Ma traduction française est établie à partir d’une première traduction en anglais faite par Soraya Umewaka et Shizue Ogawa et revue lors de conversations approfondies avec la poète. Une dernière observation s’impose. La grenouille de Shizue Ogawa est une enfant qui aime voyager. Tout d’abord logée chez la poète, la grenouille se rendit à Tokyo où elle fut publiée en japonais et en anglais, puis en Mongolie où elle fut traduite en mongol khalkha, puis à Saint Marin où elle fut lue lors d’une célébration de l’ouverture de l’Ambassade de Saint Marin au Japon, puis à Paris pour la remise du Prix Spécial Léonard de Vinci, puis à Hiroshima et Nagasaki pour la cérémonie de décembre 2023, puis en Roumanie dans la traduction de Manolita Dragomir-Filimonescu, puis à Paris pour la publication du présent article, puis aux Etats-Unis où elle sera présentée sur le blog de septembre 2024 de la revue littéraire World Literature Today. Rien ne définit mieux l’attitude de Shizue Ogawa que cette description à la fois tendre et ludique qu’elle me fit des créatures qui peuplent son œuvre.
Prière – une âme qui joue
Une gare sans contrôleur,
des billets non ramassés,
je gardai le mien
une fois sortie de la station.
De faibles sons émis par une créature,
de douloureux halètements produits
par un gosier serré, me parvinrent.
Je m’approchai du son.
Un scarabée doré sur le dos vainement
étreignait l’air des mains et des pieds.
Je le retournai
avec mon billet.
Étourdi, le scarabée doré
s’accrocha à la terre.
Étendu sur le dos, le scarabée
adressait une prière au ciel.
En revoyant cette image
une fois rentrée chez moi,
je réalisai soudain que
le bois pourrissant et
le gravier écrasé prient.
C’est le désir de vivre
surgi du cœur de la terre.
La prière de l’été dure du printemps
jusqu’à l’automne et à l’hiver.
Ce jour-là, l’insecte contemplait
le ciel nocturne déployé derrière moi,
disant sa prière pour exister.
Conversations
Voici quelque temps, une grenouille
a élu domicile à côté de ma fenêtre.
Elle a le nez un peu pointu.
Elle est là depuis plus de dix jours.
« Tu n’as pas faim ? »
« Je prends mes repas près d’ici
à une cantine pour enfants. »
« Avec tes amis ? »
« Oui. »
La grenouille reste toute la nuit.
« Tu ne veux pas rentrer dormir chez toi ? »
« Je me sens bien ici.
Je vais dormir ici. »
Tes parents ne s’inquiètent pas ? »
« Non.
Ils disent que pour hiberner
on doit emprunter un livre.
Je t’emprunterai un livre de récits. »
Paysage
Pour les paysages et les gens,
les arbres croissent et verdissent,
le sol se réchauffe,
le grain germe.
Dans cette ambiance, les gens
se comprennent et
commencent à aimer les autres.
Amour ou vengeance -
c’est la seule réponse.
Sérénité
Sereine,
je quitte mon moi
et le mets au milieu.
Le coucher de soleil devient le matin,
bientôt le matin sera midi, et midi sera la nuit.
Alors je dénoue ce qui était noué.
Le milieu se laisse
transférer aux autres.
Sereine,
Je cherche à me souvenir
et trouve ce que j’avais oublié -
mes cellules tissées par le temps.
Si les nuclei dépourvus de sructure
se divisent jusqu’à exister,
ma sérénité naît du liquide
qui revient dans les nuclei.
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