Shizue Ogawa, ambassadrice mondiale de la poésie japonaise

Par |2024-09-06T06:08:17+02:00 6 septembre 2024|Catégories : Essais & Chroniques, Shizue Ogawa|

Présen­ta­tion et tra­duc­tion par Alice-Cather­ine Carls

Shizue Ogawa est con­nue en France depuis sa décou­verte en Bel­gique, au Fes­ti­val de Poésie Inter­na­tionale de Brux­elles en 2005. Après plusieurs tra­duc­tions parues dans des revues poé­tiques, des essais et arti­cles sur son œuvre trop nom­breux pour être tous cités ici, sa car­rière inter­na­tionale a pris son essor. Elle a été, pen­dant plusieurs années, l’invitée de Desmond Egan au Fes­ti­val Ger­ad Man­ley Hop­kins en Irlande, des édi­tions Car­ac­tères au Marché de la Poésie de Paris, et bien sûr de la Bien­nale de Liège, avec une présen­ta­tion de son œuvre à la Mai­son de la Cul­ture du Japon à Paris en 2015. Peu à peu les pub­li­ca­tions parais­sent ; à ce jour, Shizue Ogawa a été traduite en plus de dix langues.

En français, un pre­mier vol­ume parut en Bel­gique, Une âme qui joue – choix de poèmes (édi­tions À bouche per­due, Col­lec­tion Pangée, en 2010 et 2011, traduit par Michèle Duc­los et Jacque­line Star­er). En France, sept vol­umes de plus ont paru à ce jour : Une âme qui joue – le cer­cle (Car­ac­tères, 2012 et 2014, traduit par Véronique Brindeau) ; Une âme qui joue – l’horizon (Car­ac­tères, 2015, traduit par Michèle Duc­los) ;  Une âme qui joue – les ailes (Car­ac­tères, 2017, traduit par Corinne Atlan) ; Une âme qui joue – la forme (Car­ac­tères, 2018, traduit par Jus­tine Decroix, Alex­ia Gille, et Yacine Youhat) ; Une âme qui joue – la plaine (Car­ac­tères, 2019, traduit par Nico­las Bruneteau) ; Une âme qui joue – le Kaléi­do­scope (Car­ac­tères, 2020, traduit par Nico­las Bruneteau). Indépen­dam­ment de cette série, un vol­ume de Poèmes choi­sis a paru aux édi­tions Nou­velles traces en 2020 dans la tra­duc­tion de Michèle Duclos. 

Toutes les œuvres de Shizue Ogawa por­tent le titre « Une âme qui joue » parce que, explique-t-elle, elle écrit comme elle respire, sans crampe d’écrivain. Ses poèmes en mou­ve­ment sont ludiques, représen­tant le jeu de la vie sous toutes ses formes – dia­logues avec les ani­maux, con­tem­pla­tion de la nature, analyse d’un morceau de musique occi­den­tale, réflex­ion sur le con­tre­point de toute chose et sur le pas­sage du temps. 

Shizue Ogawa. Lec­ture de Haïku, 8ème Con­férence de l’as­so­ci­a­tion mon­di­ale de Haïku.

Spé­cial­iste du poète roman­tique anglais John Keats, les réson­nances entre la cul­ture occi­den­tale et ori­en­tale lui sont un sujet par­ti­c­uli­er de réflex­ion philosophique, esthé­tique, et cos­mique. Toute chose, selon elle, a une âme. Tout est en con­tre­point entre arrêt et mou­ve­ment. Tout est ques­tion d’empathie et d’écoute, y com­pris la sagesse qui con­siste à se libér­er des pen­sées, pos­ses­sions, et désirs super­flus, l’essentiel étant de se recen­tr­er sur la démarche créa­trice qui seule peut élim­in­er la vio­lence et assur­er la paix. Son dés­in­téresse­ment et son détache­ment des biens de ce monde sont au cœur de son existence.

Depuis un peu plus d’un an, Shizue Ogawa accu­mule les dis­tinc­tions. En mars 2023, l’Association Léonard de Vin­ci lui a décerné son Prix Spé­cial pour son œuvre poé­tique, à l’occasion du 570ème anniver­saire de la nais­sance de l’artiste ital­ien. En décem­bre 2023, deux de ses poèmes, « Prière – une âme qui joue » et « Con­ver­sa­tions », ont été choi­sis pour être lus lors d’une céré­monie spé­ciale à Hiroshi­ma et Nagasa­ki en décem­bre 2023. À cette occa­sion, il lui a été remis le Prix d’Artiste mil­i­tant pour la paix. À le fin de l’année, l’International Asso­ci­a­tion of Gen­er­al Art créée par l’artiste japon­ais Sakae Hasegawa lui a décerné son Grand Prix.

Shizue Ogawa, lors de la 10ème Con­férence de l’AMS au Japon, le 29 avril 2015, Itabashi de Tokyo.

L’année 2024 est tout autant promet­teuse. En avril, elle s’est vu décern­er le titre « Artista genio del siglo XXI » à l’occasion du 120ème anniver­saire de la nais­sance de Sal­vador Dali. Ce prix récom­pense deux poèmes, « Paysage » et « Sérénité, » con­sid­érés comme les meilleurs de son oeu­vre par un jury com­posé de per­son­nal­ités japon­ais­es et espag­noles. Le vol­ume  Stars – A Soul At Play (IX) vient de sor­tir en juin 2024 au Japon en édi­tion bilingue, japon­ais-anglais, dans la tra­duc­tion de Soraya Ume­wa­ka et de Shizue Ogawa. Et le vol­ume Une âme qui joue — le Kaléi­do­scope,  est en cours de pub­li­ca­tion dans la tra­duc­tion en roumain de Mano­li­ta Dragomir-Fil­imones­cu, qui a déjà traduit le Choix de poèmes en 2015, Une âme qui joue – le cer­cle en 2019, et Une âme qui joue – l’horizon  en 2023.

Nous remer­cions chaleureuse­ment Shizue Ogawa de nous con­fi­er les qua­tre poèmes qui ont fait récem­ment l’objet de dis­tinc­tions spé­ciales. Ma tra­duc­tion française est établie à par­tir d’une pre­mière tra­duc­tion en anglais faite par Soraya Ume­wa­ka et Shizue Ogawa et revue lors de con­ver­sa­tions appro­fondies avec la poète. Une dernière obser­va­tion s’impose. La grenouille de Shizue Ogawa est une enfant qui aime voy­ager. Tout d’abord logée chez la poète, la grenouille se ren­dit à Tokyo où elle fut pub­liée en japon­ais et en anglais, puis en Mon­golie où elle fut traduite en mon­gol khalkha, puis à Saint Marin où elle fut lue lors d’une célébra­tion de l’ouverture de l’Ambassade de Saint Marin au Japon, puis à Paris pour la remise du Prix Spé­cial Léonard de Vin­ci, puis à Hiroshi­ma et Nagasa­ki pour la céré­monie de décem­bre 2023, puis en Roumanie dans la tra­duc­tion de Mano­li­ta Dragomir-Fil­imones­cu, puis à Paris pour la pub­li­ca­tion du présent arti­cle, puis aux Etats-Unis où elle sera présen­tée sur le blog de sep­tem­bre 2024 de la revue lit­téraire World Lit­er­a­ture Today. Rien ne définit mieux l’attitude de Shizue Ogawa que cette descrip­tion à la fois ten­dre et ludique qu’elle me fit des créa­tures qui peu­plent son œuvre.

Prière – une âme qui joue

Une gare sans contrôleur,
des bil­lets non ramassés,
je gar­dai le mien
une fois sor­tie de la station.
De faibles sons émis par une créature,
de douloureux halète­ments produits
par un gosier ser­ré, me parvinrent.

Je m’approchai du son.
Un scarabée doré sur le dos vainement
étreignait l’air des mains et des pieds.

Je le retournai
avec mon billet.
Étour­di, le scarabée doré
s’accrocha à la terre.

Éten­du sur le dos, le scarabée
adres­sait une prière au ciel.
En revoy­ant cette image
une fois ren­trée chez moi,
je réal­i­sai soudain que
le bois pour­ris­sant et
le gravier écrasé prient.

C’est le désir de vivre
sur­gi du cœur de la terre.
La prière de l’été dure du printemps
jusqu’à l’automne et à l’hiver.
Ce jour-là, l’insecte contemplait
le ciel noc­turne déployé der­rière moi,
dis­ant sa prière pour exister.

 

Con­ver­sa­tions

Voici quelque temps, une grenouille
a élu domi­cile à côté de ma fenêtre.
Elle a le nez un peu pointu.
Elle est là depuis plus de dix jours.
« Tu n’as pas faim ? »
« Je prends mes repas près d’ici
à une can­tine pour enfants. »
« Avec tes amis ? »
« Oui. »

La grenouille reste toute la nuit.
« Tu ne veux pas ren­tr­er dormir chez toi ? »
« Je me sens bien ici.
Je vais dormir ici. »
Tes par­ents ne s’inquiètent pas ? »
« Non.
Ils dis­ent que pour hiberner
on doit emprunter un livre.
Je t’emprunterai un livre de récits. »

 Paysage 

Pour les paysages et les gens,
les arbres crois­sent et verdissent,
le sol se réchauffe,
le grain germe.
Dans cette ambiance, les gens
se com­pren­nent et
com­men­cent à aimer les autres.

Amour ou vengeance -
c’est la seule réponse.

 

Sérénité 

Sere­ine,
je quitte mon moi
et le mets au milieu.
Le couch­er de soleil devient le matin,
bien­tôt le matin sera midi, et midi sera la nuit.
Alors je dénoue ce qui était noué.
Le milieu se laisse
trans­fér­er aux autres.

Sere­ine,
Je cherche à me souvenir
et trou­ve ce que j’avais oublié -
mes cel­lules tis­sées par le temps.
Si les nuclei dépourvus de sructure
se divisent jusqu’à exister,
ma sérénité naît du liquide
qui revient dans les nuclei.

Présentation de l’auteur

Shizue Ogawa

Shizue Ogawa est née en 1947 dans le comté de Kasai, sur l’île d’Hokkaido. Diplômée du Doshisha Women’s Col­lege de Kyoto en lit­téra­ture anglaise, elle est spé­cial­iste de l’oeuvre de John Keats. Représen­tante du « Jour­nal des Poètes », elle est mem­bre du comité de l’Association Fran­­co-Anglaise de Poésie et du comité japon­ais « World Haiku Association ».

Shizue Ogawa a enseigné l’anglais à l’université d’Osaka. Elle a pub­lié vingt-sept livres, trois CD, un DVD pour haikus. Ses poèmes sont traduits en plus d’une dizaine de langues étrangères .

1963 : Grand Prix de la Nation­al Saku­ra Pas­tel Cray­on Art Exhi­bi­tion (Japon)
2011 : Prix inter­na­tion­al de poésie Anto­nio Vic­caro (Cana­da)
2014 : Ger­ard Man­ley Hop­kins Soci­ety Awards (Irlande)

 

 

Bib­li­ogra­phie

 

Water – A Soul at Play I (Konan City, Japon: Ishibe-higashi, 1999). 158 pages. Édi­tion bilingue japon­ais-anglais ; tra­duc­tion par Don­na Tama­ki et Shizue Ogawa. ISBN 978–4‑944229–76‑5. CD sous le même titre avec les poèmes lus par Shizue Ogawa et Don­na Tamaki.

 

Flames – A Soul at Play II (Konan City, Japan: Ishibe-higashi, 2005). 194 pages. Édi­tion bilingue japon­ais-anglais ; tra­duc­tion par Don­na Tama­ki et Shizue Ogawa. ISBN 4–944229–53–4. CD sous le même titre avec les poèmes lus par Shizue Ogawa et Don­na Tamaki.

Sound – A Soul at Play III (Konan City, Japan: Ishibe-higashi, 2007). 180 pages. Édi­tion bilingue japon­ais-anglais ; tra­duc­tion par Don­na Tama­ki et Shizue Ogawa. ISBN 978–4‑944229–71‑0.        

Wind – A Soul at Play IV (Konan City, Japan: Ishibe-higashi, 2009). 198 pages. Édi­tion bilingue japon­ais-anglais ; tra­duc­tion par Don­na Tama­ki et Shizue Ogawa. ISBN 978–4‑904625–00‑2.         

Sea – A Soul at Play V (Konan City, Japan: Ishibe-higashi, 2011). 180 pages. Édi­tion bilingue japon­ais-anglais ; tra­duc­tion par Soraya Ume­wa­ka et Shizue Ogawa. ISBN 978–4‑904625–01‑9.

Land – A Soul at Play VI (Konan City, Japan: Ishibe-higashi, At press). Édi­tion bilingue japon­ais-anglais ; tra­duc­tion par Soraya Ume­wa­ka et Shizue Ogawa. ISBN 978–4‑904625–05‑7.

Clouds – A Soul at Play VII (Konan City, Japan: Ishibe-higashi, At press). Édi­tion bilingue japon­ais-anglais ; tra­duc­tion par Soraya Ume­wa­ka et Shizue Ogawa.

En français

Une âme qui joue. Choix de poèmes. (Bel­gique: Édi­tions À bouche per­due, Col­lec­tion Pangée, 2010 et 2011).  177 pages. ISBN 978–2‑9600953–1‑9. Édi­tion bilingue japon­ais-français ; tra­duc­tion de l’anglais par Michèle Duc­los et Jacque­line Starer.

Une âme qui joue. Le cer­cle. (France: Édi­tions Car­ac­tères, 2012) 111 pages. ISBN 978–4‑904625–03‑3. Édi­tion bilingue japon­ais-français ; tra­duc­tion du japon­ais par Véronique Brindeau.

Une âme qui joue. L’embarras, la tran­quil­lité, l’amour. (Konan City, Japon: Edi­tions Iwana­mi Pub­lish­ing Ser­vice Cen­ter, 2012). 105 pages. ISBN 978–4‑904625–03‑3. Édi­tion bilingue  japon­ais-français ; tra­duc­tion de l’anglais par Michèle Duc­los et Jacque­line Star­er et du japon­ais par Véronique Brindeau. Intro­duc­tion de Michèle Duc­los. Dessins de l’auteur.

 

 

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Alice-Catherine Carls

For­mée en Sor­bonne aux let­tres et civil­i­sa­tions alle­mande et polon­aise, tit­u­laire d’un Doc­tor­at d’Histoire des Rela­tions Inter­na­tionales de Paris I, Alice-Cather­ine Carls est actuelle­ment Tom Elam Dis­tin­guished Pro­fes­sor of His­to­ry à l’Université de Ten­nessee à Mar­tin où elle enseigne depuis 1992 l’Histoire mon­di­ale, européenne, et con­tem­po­raine. Elle col­la­bore régulire­ment et/ou fait par­tie du comité de rédac­tion de plusieurs revues et est mem­bre du jury du Céna­cle européen de Poésie, Arts, et Let­tres. Elle partage ses activ­ités entre la recherche his­torique, les tra­duc­tions lit­téraires (du polon­ais et de l’anglais améri­cain en français et du polon­ais et du français en anglais améri­cain), et les arti­cles de cri­tique lit­téraire. Elle a été pub­liée en polon­ais, alle­mand, anglais, et français ; en Hon­grie, Pologne, Alle­magne, Suisse, France, Bel­gique, et aux Etats-Unis.

Ses livres com­por­tent une étude his­torique sur la Ville Libre de Dantzig en 1938–1939, et une his­toire de l’Europe au XXème siè­cle, Europe from War to War, 1914–1918 (Rout­ledge, 2018). Elle col­la­bore régulièr­ere­ment aux revues “World Lit­er­a­ture Today,” “Poésie Pre­mière,” “Le Jour­nal des Poètes,” et « Recours au Poème. » Elle a fait con­naître en français la poésie de nom­breux poètes améri­cains, amérin­di­ens, et polon­ais, dont Stu­art Dybek, Mar­ilou Awiak­ta, Charles Wright, et Ren Pow­ell. Elle a pub­lié plusieurs vol­umes de tra­duc­tions en français (Stephen D. Carls, Józef Wit­tlin, Joan­na Pol­laków­na, Anna Fra­jlich, Jan Kochanows­ki, et Alek­sander Wat), et a intro­duit aux Etats-Unis l’oeuvre de Claude Michel Cluny, Maria Maïlat, Hélène Dori­on, et Marc Alyn.

 

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