Siècle 21, Littérature & société, Écrivains contemporains de New-York
Quatre volets au sommaire de ce numéro dont le coeur est constitué du dossier dirigé par Marilyn Hacker, consacré aux auteurs new-yorkais, "voix dissidentes" dans ce pays-continent que l'actualité politique actuelle donne plus que jamais à interroger, et du "hors-cadre" consacré à Marilyn Hacker elle-même, poète américaine de New-York vivant à Paris, dont sont offerts ici des textes en grande partie inédits, ainsi que quelques études la concernant.
C'est sur l'article "La route du Cap" de Jean Guilloineau, spécialiste de l'Afrique du Sud que s'ouvre cette livraison, qui nous entraîne dès l'abord sur les voiliers du portugais Bartholomei Dias, le premier en 1488 à doubler (sans s'en rendre compte) le cap de Bonne Espérance, et nous menant au fil de l'histoire, et des voyages aventuriers et souvent sans retour, en quête de routes des épices – qui, si elle n'y mène pas directement, contribue à la découverte de l'Amérique, et aux siècles de conquête, de déplacements de population, de luttes fraticides et de "melting-pot" qui constituent l'actuel continent et ses cultures.
Siècle 21, Littérature & société, seizième année, n.31, automne-hiver 2017, "Ecrivains contemporains de New-York (2), 206 p, 17 euros.
http://revue-siècle21.fr (de nombreux articles disponibles en téléchargement libre sur le site)
C'est ainsi qu'il faut lire le dossier central, ouvert aux "nouvelles voix d'Amérique" – poètes contemporains originaires de toutes les variantes ethniques et culturelles qui font de New-York la ville la plus cosmopolite du monde.
On y entend les voix des minorités, portées haut par le talent et la plume des auteurs présentés, parmi lesquels Jessica Greenbaum qui témoigne de l'actualité immédiate et de son engagement dans deux textes intitulés "L'Avril des cent premiers jours" et "Les Dernières semaines de janvier 2017". Yusef Komunyaka y convoque, (tout comme Barry Wallenstein dans ses poèmes de Tony's Blues – pp 58-60), des rythmes de jazz, ou de klezmer, pour nous parler d'Ota Benga, pygmée amené à New-York comme "animal humain"... On peut découvrir "la voix unique de Tory Dent" à travers deux poèmes et une fine analyse de Yusef Komunyakaa, soulignant la double exclusion qui fait s'écrire la poète, femme et victime du SIDA (pp 37-48), mais encore : un extrait théâtral de Paul Knox, les fragments philosophiques de Samuel R. Delany, imaginant une rencontre entre Leibniz et Spinoza, et deux poèmes de Patricia Spear Jones (poète publiée sur le Recours au Poème consacré à New-York, en 2017) concluant cette récolte par un très beau poème sur la traduction, façon de rendre hommage à ces écrivants de l'ombre qui permettent, aux œuvres de vivre et de voyager, comme celles ici regroupées :
La poète est mongole. La traductrice suit son cœur
Un cœur brisé et pourtant, elle chante de telle sorte qu'elle fait
De son cœur brisé, mon cœur brisé.
(...) Les tempêtes
secouent les rues de Taipei et répandent des pétales de rose
A travers les cours et les rues de Brooklyn.
Poète aussi discrète qu'engagée, essayiste, traductrice elle-même, revuiste, et rédactrice depuis 2004 de Siècle 21, Marilyn Hacker fait l'objet du second dossier central – et c'est juste : son œuvre et son action tisse depuis longtemps des liens entre les cultures et les différents pans de l'expérience humaine, dans la complexité de leurs interrelations, abordées sans fard et sans complexe, ainsi que la décrit Alicia Ostriker dans l'étude liminaire, où elle souligne aussi l'amour et la colère comme traits essentiels de l’œuvre profondément humaniste de la "Poète qui relie entre eux le corps et le corps politique, elle est aussi une créature poétique des plus rares, une poète qui écrit tout en respectant mètre et rime ainsi qu'un programme d'idées radicales." C'est aussi à la musicalité de cette œuvre que s'attache l'article d'Emmanuel Moses qui la décrit comme un fleuve puissant encadré par les berges des contraintes (sonnets, pantoums, sextines...) qu'elle s'impose pour dénoncer, dans la tension qui naît de ces contraires, le scandale ultime de la mort.
Ponctué des ouvertures pratiquées par les articles des chroniques, ce numéro se clôt sur un riche dossier thématique consacré aux "couleurs", déclinées dans toute leur diversité physique, raciale et symbolique. Un numéro auquel ce bref aperçu ne rend pas justice, mais que tout lecteur soucieux d'élargir son horizon pour comprendre le monde actuel se doit de lire.