Silvaine Arabo, Marines Résiliences, extraits
Nous étions deux, hantés par la mer qui nous mouvait, dont nous
étions le vivant regard
Notre âme avait joué de la cadence des poètes du
bruit vert de la vague universelle…
Nous avons été le chantre et l’écume la mouette
inassouvie le passant qui ne s’attarde pas
Nous avons été l’aube et le corps dissous des soleils
lors même que la Conscience n’avait pris la forme ni
l’apparence du visage fragile que nous tenions entre nos mains
Endors-toi et ne rêve pas : volute et souveraine, tu
t’installes aux volets des algues, pour le repos demi
-clos du premier matin du monde
les yeux au bord de la lumière.
Transparence au monde d’où rivent les grandes
images nues : innocence où la lumière et l’ombre se
rejoignent, où les couleurs ne font plus qu’un
Transparence à l’enfant que nous fûmes, aux
bruyères d’autrefois, aux grandes vérités océanes,
aux seules réalités, aux seules et prodigieuses clartés
multiples Transparence par où s'écoule le filet minci du
silence pour s'ouvrir, tel un ruisseau dans la mer : ne
pas remettre à plus tard l'extase des aubes rosées
Etre l’aube qui se balance : un nouveau silence avant l
’illusion du bruit. Quelque chose qui glisse et
emprunte tous les masques, y compris celui de la
pierre, du minéral le plus lointain.
Transparence qui jouit de sa propre transparence
puisque tout est dans tout, et l’arbre et la naissance
et la vie - même figée - des sourcils qui se crispent et
meurent pour inaugurer le règne assumé du silence.
De l’invention sacrée qui toujours passe par ton
corps et ressurgit purifiée - feu du noir et poussière
d’or sur tes doigts - je t’invente l’arbre aux
stratagèmes indécis et repeuplé d’oiseaux multiples
Je t’invente aux rites chevelus des oiseaux : cœur de
l’arbre et formes incessantes sous le clignement des
ailes et des paupières errantes
sous le bleu repos - tenace - des astres et de la nuit.
Ainsi tu chemines et je perds nos mots à travers
d’insondables rêves que jamais tu n’auras
désapprouvés : dédale ivre des chercheurs incertains
aux longues plongées sous-marines
Une terre n’est plus rebelle : nous roulons en son
centre où nous devinent mille éléments que nous
baignons et lavons de nos soleils
qui nous sollicitent
nous purifient d’insensées rumeurs
afin qu’éclate, autre soleil, la jeunesse ramifiée.
Seules fièvres ivres de la musique et blanc tambour
sur quoi palpitaient volaient d’étranges nacelles
des transits pour le battement léger des cœurs au
centre au rythme même de l’univers
Et vous implorerez jusqu’à la racine simple ce
souffle qui nous dessine et nous pétrit et nous
broiera de ses laits bruns et ocres de terre avide
Pour saisir le moindre rythme que d’oublis d’une
mort qui menace d’une vie couleur de
grenade et de soupirs du moindre
Que de linceuls primitifs et intérieurs que de deuils
châtrés !
Et mer qui menaces au centre du cri recouverte du
gris manteau de routine et lame comme un éclair
soudainement comme un éclair de lampe dans la nuit
des temps
Et l’eau sur l’arbre renversé qui se noie image
fulgurée des grands départs loin des voies étoilées
du vol
des voiles - pas même - blanches et bleues des
odeurs cassées au retour très près
Et le pincement qui bruit au cœur de toute chose : à
saisir à reconnaître.
Et puis là, autour de la maison, dans la nuit bleue, il
y a l’esprit qui rôde et veille et se déploie : l’arme
qui passe ne le tranchera pas n’anéantira£
ni la pureté de son errance ni le départ libre vers
l’écume et la forêt.
Il glissera le long de la lame, lisse et conscient, sans
haine, sans peur, avec un sourire indicible que seuls
percevront les arbres antiques et la rondeur parfaite
des fruits mûrs au sommet de l’été.
Les mots auraient dû se briser sous la grâce
trop intense du sourire : j’aurais voulu psalmodier ma
joie. Les arbres n’étaient pas différents de mon sang
et mes mains-hirondelles ne battaient pas, immobiles,
mais elles tremblaient, scintillantes, comme les cristaux
de neige sur le sol de l’enfance.