La Collection Poésie XXI de Jacques André Éditeur nous fait découvrir dans la continuité de Caresser la mer un nouveau et magnifique recueil de Stephan Causse, Boire le temps. Une musique fluide mélancolique coule le long des quelques 80 pages de ce recueil, au gré des dernières vagues voraces du temps.
Le poète nous emmène sur les chemins disparus. Les mers où scintillent toutes les promesses finissent par rejeter les secrets enfouis, les corps portés disparus : Aujourd’hui, il me reste le souvenir / le reste du soleil / le reste des vagues. Une écriture nostalgique sur la fuite du temps et des jours radieux figés par un ange sévère. Les choses filent, pire encore s’oublient : Avant c’était avant… Tout ce qui a été s’est évanoui / mémoire morte de feuilles…
….la vie n’est plus la vie
l’homme seul le sait
ces dures collines ont façonné ton corpsréalité qui vit devant tes yeux
des saisons oubliées
plus profondes que l’ombre du crépusculeet qui te sont chères
mes sens sans souvenir.
Le poète s’égare face à ce qui n’advient plus, face au vide et à la désillusion : on espère un instant / une apparition / une ride / mais rien / juste la cécité. Les buées du souvenir luisent sur la chair offensée des cœurs et, partout la douleur dans la lumière. Comment vivre dans ces ruines ? sans la parole des anciens dieux / ceux-là même qui disparaissent / sans laisser de traces.
Apprivoiser les ombres sombres, agenouillé sur les tombes du soir. Attendre les éclats de lune, les papillons de nuit, l’aube où tout peut arriver. S’envelopper de Volupté. Descendre vers l’aurore sacrée. Vivre la vie brève / des vagues / au bord de toi, aimer ta voix douce et rauque. Mais plus encore, boire le temps, avant qu’il ne nous tue, avant le retour du crépuscule. Il faut boire jusqu’à l’ivresse, boire du feu / sentir sa gorge luire…
Oui Le temps presse. Alors Il faut aller vite / payer sa joie au comptant. Seule, La mer n’aurait pas de fin / puisque les vagues sans / cesse recommencent, me disais-je.
Stephan causse, Boire le temps, Jacques André Éditeur, Coll POESIE XXI, 2020.
Vivons ! chante le poète. Vivons beaucoup. Éclairons tous les feux avant de retrouver le berceau anonyme de notre vie, avant d’être emporté, et de sombrer dans les froides noirceurs de l’oubli.
Continuons à créer avec la conscience du vaincu / afin de remettre le monde à l’endroit, de créer de l’espace, du temps, de la respiration, pour franchir les crises, revenir à l’existence. L’écriture est une tentative de rendre aux mots la pleine mémoire de ce qu’ils nomment, comme l’exprimait Yves Bonnefoy : ces choses simples qui sont de l’infini, de la vie quand on les perçoit dans leur immédiateté… La poésie est faite pour rendre aux mots cette capacité de susciter des présences que la signification et la pensée abolissent.1
Y a‑t-il autre chose qui vaille ?
Sont-ils perdus définitivement ces chemins dans les ressacs d’une vérité si peu fiable. A vrai dire les hommes travaillent / à restaurer leurs vérités qui / défaillent
…par ma fenêtre
un morceau de ciel bleu bouche
l’invisible noirceur …..…déjà la chaleur dessine
son air trembleur
inverse l’indécis
pour l’amour pour la mélodie …
Quelle est-elle cette vérité, qui a le goût entêtant de la terre gorgée de rosée. Le poète sait combien elle est changeante, passant de la suie à la soie / des noirs de lumière. Il sait son infidélité de nuage en nuage. Pourtant il la rêve, en cherche quelques indices dans le ciel qu’on épie. Mais il ne voit que l’oiseau qui s’envole au loin au ras des prairies lorsque le jour se lève en majesté. Quelque chose en masque le fond. Elle est pourtant ce qui rend l’eau à sa transparence, l’air à son insouciance. Peut-être est-elle cette faille originelle, inaltérable, le rêve du mot juste qui (la) fixerait / une bonne fois pour toute…. Même l’amour attend d’être un vrai mot.
Comment la respirer au risque que le poème renverse / le sens des mots et que ne vienne à murir la mort. Peut-être se laisser prendre en elle sans la connaître, se faire surprendre par ses instants de dévoilement et de clarté, lorsque se pose le ciel à la surface de l’eau : J’ai aimé / en finissant par oublier / ce que je cherchais.
Les poèmes de boire le temps sont incisifs, teintés d’une noirceur mélancolique, seule couleur du temps nous dit l’auteur. Pourtant, ici et là des entailles de lumière, des pas que l’on entend venir, un cœur qui bat derrière les persiennes, et puis les culbutes du soleil viennent déplacer l’horizon des mots et réveiller les présences dormantes, laissant advenir une poésie profondément vraie, lumineuse et émouvante. Ce qui parle dans la poésie de Stephan Causse, le profond désemparement de l’être, sa disparition même, donne voix à notre part la plus vivante.
…par ma fenêtre
un morceau de ciel bleu bouche
l’invisible noirceur …..…déjà la chaleur dessine
son air trembleur
inverse l’indécis
pour l’amour pour la mélodie …
Note
- Entretien 22 novembre 2010, cité par Julien Sorel, L’Ouvert, 8, 2015
Présentation de l’auteur
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