Poussez la porte de ce livre, le premier d’un jeune auteur, entrez ! Cela ne manquera pas, dès les premières phrases, vous serez saisi par la netteté de l’écriture : comme un habit coupé avec soin, la langue tombe bien, ses plis sont justes.
Une succession de courts chapitres met en place avec une grande liberté les éléments d’un récit minimal. Penché sur sa propre mémoire, un jeune homme qui ne trouve pas sa place dans l’amour simple, l’amour de la vie à deux, se faufile sur les traces d’une jeune femme mystérieuse, presque une étoile filante : « la petite gitane ». Encore la narration n’est-elle pas ici l’essentiel. C’est l’évocation qui importe. Des amorces, des flashs et des invites méditatives rythment et organisent ce livre. A travers une succession de bribes allègres ou amères, la prose poétique se montre accueillante aux images du passé, en même temps qu’aux « fragments d’un discours amoureux ».
Stéphane Lambion, Bleue et je te veux bleue, Collection Pioche, Mars 2019, 96 pages, 15 euros.
N’est-ce pas en pointillés que l’on aime, ou plutôt que l’on vit l’amour et ses secousses : désirer, se rapprocher, douter, s’éloigner, se perdre, se retrouver peut-être ? Il y a là une étrange chorégraphie, une succession de pas de danse, de chemins cherchés ou perdus sur la carte de la tendresse.
Sous la plume de Stéphane Lambion, la mémoire de la vie amoureuse aimante la limaille des phrases. Cela ne tient pas seulement au fait que l’amour se plaît aux discours : il est par définition foncièrement langage, jusque dans ses silences. Lorsqu’une histoire s’achève, les mots s’en donnent à cœur joie pour tirer sournoisement sur les fils du tissu lyrique qui s’est déchiré…
Le narrateur, ou plutôt le sujet lyrique de ce livre qui oscille entre récit et poèmes en prose, a un côté « Petit-Prince-qui-aurait-grandi », avec d’autres soucis que le mouton et la fleur, de nouvelles silhouettes à dessiner, réelles ou rêvées, peu importe… Il marche dans les pas de son amour, engagé dans une course étrange où il s’agit aussi bien de rattraper ce que l’on a perdu que de se rejoindre soi-même.
Au service de cette quête singulière, l’écriture se fait d’un même geste réminiscence et recherche. Sa trajectoire est aussi bien de découverte que de retrouvailles : une éducation sentimentale fait mine de s’accomplir. Oscillant entre le tendre et le bizarre, le ludique et le déroutant, le désabusé et le malheureux, l’autodérision et la gaîté, la langue qui se plaît à elle-même jouit autant de ses aptitudes que de ses reflets.
En définitive, cette histoire d’amour s’avère l’aventure d’une encre que l’on pourrait dire partie à sa propre découverte, engagée dans l’exploration du champ de son désir : verbal avant tout, l’apprentissage est ici celui d’une capacité articulatoire dont l’auteur se plaît à faire jouer les possibilités (et elles sont riches sous sa plume !) …
Voici donc le langage devenu le lieu où faire durer des amours brèves, quand ce n’est pas, à l’inverse, l’endroit où l’amour véritable tourne court, où le passé est mis en boîte… Faire naître en soi l’écrivain (qui attend, qui réclame) serait-ce déjà ensevelir l’amour et le détourner des êtres réels pour le reporter sur la langue, ses morsures et ses fictions ?
Tout au long de ces pages, la petite gitane rôde à la manière d’un fantôme irrattrapable, d’une silhouette d’encre caractérisée par son évanescence : cette furtive femme de papier qui brûle paraît faite pour l’éloignement et la tristesse ; elle apparaît et disparaît sur un air d’accordéon qui ne vous sort plus de la tête.
En refermant ce livre, on en conserve quelque chose comme une rengaine tournant en boucle sur les images d’un film un peu fou, monté de guingois, et dont on ne sait plus très bien où se situent le commencement et la fin. La question, en effet, se pose : où la langue conduit-elle ? Nulle part, sinon à ce « point de suspension infinie » qu’elle génère et qu’elle est elle-même ! Les mots jouent avec les figures du désir. Ce livre, comme l’amour, est en vérité plein d’énigmes. Il prend à les accroître un réel plaisir. Cette petite gitane, après tout, ce n’était peut-être que la fumée d’une cigarette… Une danse de fumée bleue…
Présentation de l’auteur
- Eloge de la lecture - 6 novembre 2020
- Stéphane Lambion, Volutes de fumée bleue - 6 novembre 2020