Sur la voix chamanique de Carole Carcillo Mesrobian
La poésie de Carole C. Mesrobian n’est pas un leurre, ni un don, pas un travail, non, c’est une porte qui s’ouvre au fil de la lecture sur un monde en expansion, qui jamais ne s’arrête, une exaltation vitale, une souffrance aussi, indispensable au vivre, qui nous prend, tout, et nous chamboule et nous laisse k. o. :
Je porte manteau de vieillesse et parole de nouveau-né (1)
Carole C. Mesrobian nous met au pied du mur : franchirons-nous le seuil ? Après-nous le déluge disent certains qui se contentent d’un quotidien blafard ; avec l’auteure, la parole tombe juste, définitive… pas d’anecdote, elle vise l’essentiel :
Et tu cherches dans les mains dans tes poches
Pour t’offrir le feu
Les briques ont pali comme un tison éteint
Quel entonnoir est l’existence
A regarder où s’en va la culbute
Où passeront nos os sur un rythme de chute (2)
Carole Carcillo Mesrobian, Le Sursis en conséquence,
dessins Jean Attali, Les Editions du Littéraire, Paris, 2017.
Elle est de ceux qui ne sont pas sortis indemnes de l’existence :
J’ai des siècles endormis
Aux sillons de mes mains
Et je connais déjà la mort (2)
Si il y a plusieurs façons d’écrire et de lire la poésie, là, c’est de saisir la vie à bras le cops dont il est question :
Il est des matins obscurs et des soirs livides
Le corps des voûtes enclos nos âmesEcrire répand nos doutes comme un sang vaniteux
sur une vacuité irréductible (1)
et cela de toute urgence, sans rien laisser passer. Tout aussi bien nos peurs, tout autant le regard sur le monde et son cortège de malheurs :
Combien de labyrinthes
Combien de sépultures
Et de siècles la feinte
Pour atteindre l’azur (1)
Au fil des livres, au gré de la vie, Carole C. Mesrobian nous donne à lire ses attentes, ses doutes, ses frayeurs. Elle publie aujourd’hui : A part l’élan, mis en scène par Jean-Jacques Tachdjian, mais le ton a changé. L’élan des poèmes tend vers la fraternité, l’écriture se veut mouvement, tension vers l’autre, impulsion. L’auteure, la douleur passée, se souvient de l’autre et compose avec lui :
Tes bras de ronces tendus
Transpercent la clôture
Une maison le rêve troué fenêtres écloses
Git sous l’ardoise crayeuse des mémoires
Carole Carcillo Mesrobian, A part l’élan,
La Chienne éditions, 2019.
la parole prend chair, la curiosité l’emporte et du détail surgit l’essentiel :
Et puis dans le murmure d’oiseaux désemparés
Le mouvement des heuresJusqu’à ne plus peser
douleur aussi qui nous dit le fossé entre l’homme et son image, la vie ce mirage, ce :
partir vivre comme on va mourir
belle incohérence comme un appel aux esprits au fond d’une profonde nuit, de celle où tout se dit, où tout s’entend.
Carole C. Mesrobian nous guide car elle possède les clefs du ciel. Avec elle nous pourrons survivre en toutes saisons, cela un peu à la manière d’une transmission ; elle nous dit : allez‑y tout est permis.
Cette écriture face au vide qui menace nous maintient à flot, avec elle nous pourrons rester sur le rivage.
Et puis, lire A part l’élan : c’est regarder. Soixante trois pages dynamitées par le talent de Jean-Jacques Tachdjian qui revisite chaque poème en un calligramme de son imagination. Ce recueil est un bijou d’art graphique poussant les mots vers l’espace, libérant les phrases du carcan de la ligne, du caractère ou de quoi que ce soit.
Alors, oui, c’est bien d’un voyage dont il s’agit ici : poétique, humain et graphique.
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- Aperture du silence ; PhB éditions ; 2018.
- Le sursis en conséquence ; Les éditions du Littéraire ; 2017.
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