Sylvain Grodos, cinq poèmes
Les silences au fond des voix
les cris étouffés de nos yeux
voilà qu’ils reviennent au galop
quand à travers les mots des inconnus qui passent
nous entendons soudain notre propre musique
errance des cœurs sourds aux échos de la vie
qui patiente et attend qu’on sonne à sa porte
au son du la qui réveillerait les âmes
Et tout à coup ce sont les lignes de nos mains
qui ne disent plus rien
rien de l’avenir perdu d’avance
plus rien de nous
assis et les yeux face au vide à cinq heures du matin
sur le perron de la maison
seuls et cherchant à chanter au monde entier
les soubresauts du quotidien
comme un coq qui voudrait porter sa voix plus haut que l’aube
À l’heure du repas dans la cuisine
une chaise désormais vide regarde
droit dans les yeux ceux qui sont encore là
assis autour de la table
avec la rivière des jours et le pain
qui s’assèchent au rythme des larmes
Et pourtant
un appel derrière les yeux
un indice dans le paysage
un écho qui perce à travers l’averse
viennent faire valoir leur part de lumière
comme si quelque chose
ou quelqu’un
consentait tout de même un instant à descendre
du pays d’où l’on ne revient jamais
s’assurer qu’au fond de nous
chante encore une voix
Alors voilà
ça commence à peu près toujours comme ça
quelques mots vains qui s’en viennent de nulle part
et s’en vont aussi tôt bredouilles d’où ils venaient
Un matin comme un autre
On voudrait vivre un peu plus longtemps
vivre un peu mieux
un peu plus près des autres
un peu moins loin de soi
On est pourtant bien seul dans un recoin du monde
et malgré ça plus très sûr de qui dit je
dans nos paroles morts nées
Ainsi l’on relève la tête des angoisses
cherchant dans les petits riens des jours et des nuits
quelque nuage oiseau passant pour accrocher les yeux du cœur
Il n’y a en réalité jamais eu grand-chose à quoi se retenir
sinon les feuilles du peuplier au fond du jardin
qui tremblent de vivre
et l’on se demande de quel point cardinal
le vent nous octroiera-t-il notre propre signification
Le pied lourd et les mains graves
la tête basse et les jambes engourdies
les bras qui tombent et l’âme fourbue
de n’avoir jamais pris la route des ailleurs
frappent comme les douze coups de la fin
le vieux singe terré dans sa maison trop petite
avec son cœur d’enfant trop grand
trop vieux pour enfin partir
et le réveillent, lui qui s’était enfin endormi
sur son atlas grand ouvert
à la carte du monde et des gens et de l’amour
le cœur si près de la mer
À trop enfiler ses pantoufles
on s’attire malgré nous la sympathie des fantômes sédentaires
Et l’on a beau avoir posé de grandes fenêtres
aux murs de la demeure où l’on meurt à petit feu
le peu de paysage que l’on a d’une cuisine
suffit à briser au sol la vaisselle des jours en pleurs :
ah les vieux rêves relégués aux oubliettes de la mémoire
pourtant toujours en flammes
et l’on s’étonnera d’être comme un légume
avec pour seul horizon son potager