Denis Hamel, Mort d’un quiétiste et autres poèmes
Mort d'un quiétiste
le temps comme un point
et non comme une ligne
macération et codéine
soleil entouré de flammes
les branches de l'arbre atteignent
le centre silencieux de la roue
le corps assassiné qui ne pèse plus
le manteau de misère posé sur l'épaule
glisse à terre comme peau de serpent
un autre que moi-même s'éveille ce matin
les gouttes d'eau de la douche
dispersent des années de crasse et d'ennui
mais ce qui est dépassé reste
encore présent dans les arrière-mondes
un pont a été construit
sur lequel nous nous rejoignons
je connais bien le chemin de la négation
je ne me trahis pas en t'aimant
ma main sur ta peau
atteint une vérité
Création du poème
remugle dans la fiole de folie
les particules se cognent au verre
libérant des forces sémantiques
dans un brouhaha tellurique (ou l'inverse)
au nord d'un hameau abandonné
le ciel se colore d'or lampadophore
la vision d'un trop bel asphodèle
réduit le chantre au rang de peintre du dimanche.
perdue et seule dans les rues de grenade
écrasant du pied nu des grappes de raison
une encre rouge à la commissure des lèvres
la belle rit et profère maintes obscénités
tandis que les garçons désireux de briller
saccagent à qui mieux mieux
la plaine austère d'un récital
sphère juvénile de candeur
Lettre-poème à Marie-Anne
(il y a un moment où il faut
cesser de laisser tourner
les mots dans sa tête et prendre
le taureau par les cornes
c'est un peu triste parce qu'on perd
beaucoup de possibilités
et on n'en choisit qu'une
alors c'est l'hécatombe
tout ce que j'aurais pu écrire
et qui bascule dans le non-dit : quel drame)
ces dix mois depuis que je te connais
toi et tes mots tes mots troublants
qui dans leur évidence et leur simplicité
me laissent souvent
entre ravissement et inquiétude
petit à petit j'ai appris
à les voir ces mots se détacher de toi
même quand souvent tu ne dis rien
j'aime tes mots et j'aime aussi
ta personne physique et tout ton corps bien-sûr
ton visage parfois indéchiffrable
je sais que tu as encore beaucoup à dire
et qu'il te faudra travailler pour cela
j'essaierai de t'aider si cela est possible
et je respecterai aussi
ton désir de solitude
et tes veilles hallucinées
accorde-moi de m'aimer sans violence
avec toute la douceur dont tu es capable
nous voulons tous éviter la souffrance
et l'ennui d'un paradis sans amour
garde toi des émotions trop fortes
et des enthousiasmes trop faciles
que l'amour dure le temps nécessaire
à l'accomplissement
de ce qu'il y de meilleur en nous je t'aime
et je voudrais que notre amour
ne ressemble à aucun autre
Profession de foi
comme si je pouvais prendre des mots
les jeter sur le papier
et faire quelque chose de beau
les gens diraient c'est bien c'est
comme si les mots étaient vivants
et depuis des années je fais comme si
écrire à partir de l’espérance ou son contraire
faire fleurir un lotus dans la boue et l'ordure
étaient des occupations justifiées
pour archiver des perceptions
je fais avec peu je me protège du bruit de tout
ce qui est écrit sur la pierre repose dans le végétal
les convulsions du monde ne me concernent pas
Poésie nous apporte du bien à tous
sauf si quelqu'un a d'autres motifs de s'en servir
* * *
Chanson du crépuscule
je reviens d'une maladie
de l’eau croupie de l’air vicié
les murs étaient devenus gris
c'est difficile d’exister
quand on a pas ou peu d’espoir
alors on survit, plus ou moins
les années passées dans le noir
seul comme un malheureux témoin
à la croisée des deux sentiers
tu étais là qui m'attendais
j'ai pris ta main tu m'as guidé
je suis sorti de la forêt
lumière de fin de journée
qui descendait sur mes yeux las
et pourtant rien n'avait changé
la vie poursuit ses entrelacs