Denise Desautels : La Dame en noir de la poésie québecoise
Les mots de Louise Dupré ((Olivia Elias présentera la poésie de Louise Dupré dans le numéro 183 de Recours au Poème)), cités en clôture du dernier recueil de Denise Desautels ((Denise Desautels, D'où surgit parfois un bras d'horizon, éditions du Noroît, 2017, 180 p. - une très belle lecture d'Angèle Paoli sur Terres de Femmes)), me semblent les plus justes pour présenter la poète :
Il y a longtemps que tu penses noir, que tu vois noir, que tu parles noir en plein soleil. La nature humaine est incurable, tu le sais depuis longtemps, tu es nombreuse en ta solitude, ce n'est pas une consolation, tout au plus un constat. Tu n'as pas fini de compter les chaises vides autour de toi et tu les observes du coin de l'oeil en jurant que tu ne t'y assoiras pas. C'est debout que tu veux t'habiter, debout parmi les vivants.
Ce qu'on entend, quand on lit Denise Desautels, c'est sa voix de velours noir, chuchotant la douleur au creux de l'âme du lecteur – une douleur si intime qu'elle ne peut que vous toucher. Ecrivant, ainsi qu'elle le dit dans un entretien ((Texte cité sur la fiche de l'auteure à la Maison des écrivains et de la littérature)) "en archéologue de l'intime" dans "l'ombre touffue" de sa mémoire, elle en rarrache mot à mot les secrets qui "ont besoin de lumière, c'est-à-dire de pensée, de langage, de voix, pour ne pas s'envenimer." ((Texte cité sur la fiche de l'auteure à la Maison des écrivains et de la littérature))
<pstyle="text-align: justify;" >Son dernier opus, D'où surgit parfois un bras d'horizon s'ouvre sur la reproduction d'une œuvre de Dana Schutz, représentant la tête d'une femme dont on ne peut savoir si elle nage ou surnage – elle a une cigarette en bouche, les yeux cernés du rouge des chagrins, le visage à demi-submergé par une eau transparente. Un bras de nageuse barre un horizon d'écume déchiquetée. Nage-t-elle? Fuit-elle? Se noie-t-elle dans l'eau de sa peine?
Ce sont aussi les questions qu'on se pose à la lecture de ce dernier recueil inclassable – quatre "inventaires" regroupés,encadrés de deux dates – février/octobre – aux textes présentés comme un journal : comment surnager/survivre à la douleur – sinon par la lutte acharnée, l'écriture pour la poète, qui amène son lecteur de "la mémoire, l'oubli" à "la vie, le vieillissement, l'apocalypse, l'art", en passant par "la résistance, la colère" et "le désir, la douleur". C'est tout un itinéraire d'apprentissage de la douleur et de son dépassement, que trace ce recueil. De son dépassement, non de son effacement – on ne sort jamais de la nuit, rappelle ailleurs la poète - mais de sa patiente, incessante "transmutation", au sens alchimique du terme – puisqu'elle nous amène de la noirceur initiale, du magma des souffrances et des émotions, ensevelis dans la mémoire, à une subtile évocation sensorielle, véritable inventaire pour le coup, des odeurs immatérielles, aboutissant à cette image-écho de la nageuse initiale
<pstyle="text-align: justify;" align="justify">(...)/odeur dépaysée des doigts on y revient c'est fatal – à qui appartiennent-ils – au bout d'une main – à qui appartient-elle? - là oui, on y revient doute disparition hurlement d'oubli on dirait qui court d'une oeuvre à l'autre – Sisyphe malgré cette Insensée (qui) rayonne malgré tout.
C'est ce "malgré tout" de l'effort d'un Sisyphe femme que nous retiendrons pour qualifier la personnalité poétique et la leçon que nous donne Denise Desautels : lutter, malgré tout – écrire, malgré tout – croire, malgré tout, en un "Beau lendemain" : "Car il nous faut des intentions de beauté, des errances, de la 'contemplation lente' pour que le désir d'un jour de plus soit. Malgré déserts et dictatures. Avec eux même. Que les yeux de l'insomnie se fassent lumière, incendie, blessure."