Tanaya Winder : Regard sur la poésie native américaine

Par |2019-06-16T18:00:46+02:00 4 juin 2019|Catégories : Essais & Chroniques, Tanaya Winder|

Regard sur la poésie native américaine.

Tanaya Winder : de la réserve Ute (Col­orado) à la notoriété littéraire. 

Tanaya Winder est poète, per­formeuse, enseignante. Elle représente de façon écla­tante com­ment de plus en plus de jeunes « Native Amer­i­can » com­pren­nent la néces­sité du proces­sus de guérison

Après des généra­tions et des généra­tions de pop­u­la­tions indi­ennes trau­ma­tisées par les poli­tiques et les mau­vais traite­ments qui leur ont été infligés au cours des siè­cles, la volon­té de sor­tir de l’abîme grâce à la force de résilience est affir­mée aus­si bien dans des textes, des pièces d’art, que par des actions con­crètes. Tanaya a gran­di sur la réserve Ute d’Ignacio dans l’état du Col­orado, elle est mem­bre de la tribu Shoshone de Duck­wa­ter (avec égale­ment des ascen­dances Païute, Diné (Nava­jo) et même noire-américaine).

Très mar­quée par le sui­cide d’un ami étu­di­ant qui n’était que bon­té et empathie, elle en est venue dans ses textes et lec­tures, con­férences et ate­liers, à pro­mou­voir un com­porte­ment basé sur « l’amour ». Elle écrit, enseigne sur et autour les dif­férentes expres­sions de l’amour : amour de soi, amour intime, amour social, amour au sein d’une com­mu­nauté, amour universel.

Elle par­le sou­vent de l’importance de « l’œuvre du cœur » : com­ment l’on peut utilis­er nos tal­ents pour servir nos pas­sions et réus­sir une vie en dehors des rails du suc­cès tel que com­pris aux Etats Unis. Elle a obtenu une licence d’Anglais à l’université de Stan­ford (Cal­i­fornie) et une maîtrise en écri­t­ure créa­tive à l’université du Nou­veau Mex­ique. Après quoi elle a co-fondé avec Casan­dra Lopez (voir https://www.recoursaupoeme.fr/?s=Casandra+Lopez), un site lit­téraire nom­mé As/Us: A Space for Women of the World. Puis elle a fondé une com­pag­nie appelée DREAM War­riors (les guer­ri­ers du rêve) pour aider les artistes Indi­ens, com­pag­nie dans laque­lle elle est sec­ondée par le rappeur Lako­ta Sioux Frank Waln par exem­ple, ain­si que d’autres artistes « Native Amer­i­can », et ce afin de soutenir les étu­di­ants Indi­ens appren­tis artistes « per­dus » dans la jun­gle uni­ver­si­taire. Auteure d’un pre­mier livre de poésie, Words Like Love (West End Press, 2015), elle avait précédem­ment fait paraître un livre d’entretiens avec Joy Har­jo, (voir égale­ment https://www.recoursaupoeme.fr/un-regard-sur-la-poesie-native-american-12/), livre inti­t­ulé : Soul Talk, Song Lan­guage: Con­ver­sa­tions with Joy Har­jo (Wes­leyan Uni­ver­si­ty Press, 2011). Son dernier livre de poésie a pour titre “Why Storms are Named After Peo­ple but Bul­lets Remain Name­less.” (Pourquoi les tem­pêtes por­tent des noms de per­son­nes alors que les balles restent sans nom). Dernière­ment elle a assumé la charge de direc­trice du pro­gramme d’enseignement supérieur « Upward Bound » à l’université du Col­orado à Boul­der. Elle voy­age à tra­vers les Etats Unis et à l’étranger pour don­ner des con­férences ou dire sa poésie, elle enseigne dans les uni­ver­sités et les lycées, mène des ate­liers d’écriture. En 2010 lui fut attribué le prix lit­téraire Orlan­do. Elle milite au sein de l’organisation « Sing Our Riv­er Red », (chanter notre riv­ière rouge), qui se bat con­tre le meurtre et la dis­pari­tion de femmes Indi­ennes au Cana­da et aux Etats-Unis (en toute impunité), ce en faisant voy­ager des expo­si­tions de places en places pour alert­er, sen­si­bilis­er et informer les pop­u­la­tions à pro­pos de ce prob­lème récur­rent. On peut lire et suiv­re Tanaya sur son blog : Let­ters from a Young Poet (tanayawinder.com).

Dans un récent inter­view, Tanaya explique que le décès de son grand-père a été le déclic qui l’a incité à devenir poète. Il avait man­i­festé le désir que Tanaya accède à l’université afin d’accéder à une car­rière de « lawyer », soit avo­cate. Mais à Stan­ford Tanaya décou­vre l’amour de la poésie et suit le pro­gramme de « spo­ken word poet­ry class », soit des cours qui for­ment les étu­di­ants à la poésie « par­lée ». Pour résumer sa pen­sée (partagée par d’autres Indi­ens d’Amérique), la poésie telle que nous la com­prenons dans nos cul­tures occi­den­tales est sans doute ce qui se rap­proche le mieux de l’esprit « Native Amer­i­can » : c’est un domaine où il n’y a ni bonnes ni mau­vais­es répons­es. Cha­cun l’interprète à sa façon, c’est un espace sans cal­cul ni arrière-pen­sée, c’est la façon dont nos êtres se met­tent en rela­tion avec le monde et ce qu’il con­tient. Mais pour pren­dre cette grave déci­sion de devenir poète, il lui avait fal­lu d’abord renon­cer à des études de droit, ce que sa com­mu­nauté aurait préféré qu’elle pour­suive afin de tra­vailler pour aider les siens lors de con­flits juridiques avec les insti­tu­tions Améri­caines, fédérales ou non. 

Learn­ing To Say I Love You by Tanaya 
Winder Art “Fall” by Chief Lady Bird

Dif­fi­cile à l’époque actuelle, dans un con­texte occi­den­tal de matéri­al­isme, de con­sumérisme à out­rance, quand l’économie est dev­enue une « déesse » à révér­er, de sen­tir com­bi­en l’art est indis­pens­able, capa­ble d’aider votre peu­ple à l’égal de con­nais­sances en droit ! Maîtris­er les lois du pays qui vous oppresse c’est être capa­ble de se défendre con­tre lui. Mais chanter, écrire, la poésie, c’est ce qui aide au jour le jour à sur­vivre et à ne pas se sui­cider avoue Tanaya. Il faut savoir que le taux de sui­cide par­mi la jeunesse Indi­enne est le plus élevé des Etats Unis, c’est comme une épidémie qui rav­age les réserves.

Dans son livre Words Like Love, Tanaya chante l’amour, ses joies et ses peines. Il s’agit tout au long de sa som­bre quête, d’apprendre, de com­pren­dre pour elle-même tout en nous ren­dant con­scients de tous les aspects com­plex­es d’un sujet si déli­cat. L’émotion est au ren­dez-vous de chaque poème, qu’il s’agisse d’amitié, d’attachement, d’amour roman­tique ou pla­tonique, qu’il s’agisse de fos­sé cul­turel ou de liens famil­i­aux. A pro­pos de l’écriture de ce livre, Tanaya racon­te volon­tiers que le déclic fut la perte d’un ami cher. Il ne savait pas pronon­cer le mot amour, et il s’est sui­cidé à l’âge de 22 ans. Elle en avait 24 et pour­suiv­ait des études à Oxford en Angleterre. 

Tanaya Winder, Words like love.

Elle dit : « April is a month that holds space, col­lect­ing aban­doned words in my mouth’s cave, all the things I left unspo­ken, unsaid. My mouth is full of incom­plete sen­tences, words like limbs chained to the tip of my tongue, wait­ing to be spo­ken and see the light of day.» (Avril est un mois qui retient l’espace, qui recueille les mots dans ma bouche-grotte, toutes les choses que j’avais tues, ren­dues muettes. Ma bouche est pleine de phras­es incom­plètes, de mots comme mem­bres enchaînés au bout de ma langue, qui atten­dent d’être dits, de voir la lumière du jour.)

Plus loin : « When it hap­pened I didn’t know there were some things words couldn’t make sense of. I didn’t know that some expe­ri­ences exist­ed in a plane just beyond any expression’s reach. I didn’t know I’d spend the rest of my life try­ing to get there – where words, art, song, and poet­ry could slow down time long enough to decon­struct a mem­o­ry and rebuild it as a sculp­ture capa­ble of hold­ing all the light we can­not see. » (Quand c’est arrivé je ne savais pas qu’il y avait des choses avec lesquelles les paroles ne pou­vaient pas créer du sens. Je ne savais pas que cer­taines expéri­ences exis­taient sur un plan au-delà de la saisie de l’expression. Je ne savais pas que je passerai le reste de ma vie à essay­er de m’y ren­dre – là où les mots, l’art, le chant, la poésie, pou­vaient ralen­tir le temps suff­isam­ment pour décon­stru­ire la mémoire, et la recon­stru­ire en une sculp­ture capa­ble de retenir toute la lumière que nous sommes inca­pables de voir. »). En matière de sculp­ture voici un poème écrit par Tanaya paru sur le site super­sti­tion review :

Pense à l’assemblage d’un désir

man­i­festé dans la pierre si dis­tinct qu’il devrait être étudié   pas tout à fait
pas comme Eurydice
et Orphée qui ont essayé de revenir sur la terre des vivants –
El Par­que del Amor*
et El Beso devraient faire par­tie du cor­pus des mythes
à l’instar du Bais­er de Rodin,
le livre dans les mains de Pao­lo, un presque raté de lèvres, la bouche
ouvre un cyclone, les souffles
tout juste séparés comme l’espace entre les pages. Mais
il n’y pas de dieux,
ni mon­stres ni héros – sim­ple­ment deux corps dans l’histoire.
Et peut-être sur la terre des vivants
il est cer­tain que tou­jours un amant au moins essaiera de regarder en arrière
pour appel­er l’autre –
à la façon dont le soleil sup­plie la lune de réordonner
les constellations
qu’elles soient mon­u­ments assem­blés en forme de désir.

*El Par­que del Amor : à Lima, cap­i­tale du Pérou. Il s’agit d’un parc où trône la stat­ue de Vic­tor Delfin inti­t­ulée «El Beso » (le bais­er), qui mon­tre deux ado­les­cents enlacés. La stat­ue mesure 12 mètres de long et trois mètres de haut et fait face à l’océan paci­fique. (N.d.T.) 

 

 

con­sid­er the assem­blage of a longing

 

ren­dered in stone so dis­tinct it should be stud­ied not quite
unlike Orpheu
and Eury­dice who tried to return to the land of the living—
El Par­que del Amor
and El Beso should be a part of this body of myths
like Rod­in’s Kiss,
the book in Paolo’s hand, a near-miss of lips, the mouth
opens a cyclone, breaths
bare­ly sep­a­rat­ed as the space between pages. But,
there are no gods,
no mon­sters, or heroes—just two unnamed bod­ies in history.
And maybe
in the land of the liv­ing it is cer­tain one lover will always try to look back,
to call the other—
the way the sun con­tin­u­al­ly begs the moon to rearrange
constellations
into mon­u­ments assem­bled in longing.

 

 

Cher­rie Mor­a­ga, chan­tant les louanges de Tanaya et de son livre, écrit qu’elle nous offre la pos­si­bil­ité de com­pren­dre en pro­fondeur que l’art est un moyen de guéri­son, que les mots cen­surés ou gelés comme « amour » peu­vent revivre et renaître dans les eaux chaudes de notre bouche. Chaque blessure adressée spé­ci­fique­ment peut trou­ver apaise­ment et guéri­son et cette « décou­verte » n’est pas rien quand on est issu d’un milieu Indi­en avec toutes les chances d’avoir été dis­crim­iné et/ou d’avoir subi des vio­lences et des injus­tices depuis son enfance. Quant à Joy Har­jo, poète Musko­gee, elle remar­que : « Ses poèmes sont un chant d’amour pour une généra­tion, pour ceux qui font tout ce qu’ils peu­vent afin de rester dignes en dépit des insultes, pour ceux qui sont morts trag­ique­ment parce qu’ils ne pou­vaient pas porter ce que ces poèmes por­tent. Dans ces poèmes se trou­vent le cha­grin de per­dre un ter­ri­toire, de per­dre une famille, un amant. Cette auteure est une mer­veilleuse fugi­tive de l’histoire qui tra­ver­sant la poésie a appris à voler. »

A présent voici com­ment Tanaya s’empare de l’histoire. Elle évoque d’abord le dix-neu­vième et début du vingtième siè­cle, quand les enfants Indi­ens étaient arrachés à leur famille pour être emmenés loin de chez eux dans des pen­sion­nats pour Indi­ens, afin d’en faire un pro­lé­tari­at docile qui servi­rait les blancs et fini­rait par « s’assimiler » à la société améri­caine. Dans ces pen­sion­nats les enfants étaient mal­traités, mal nour­ris, vio­lés, appre­naient la honte d’être Indi­en et n’avaient pas le droit de par­ler leurs langues mater­nelles trib­ales. Puis le poème con­tin­ue en évo­quant les prob­lèmes con­tem­po­rains comme la lutte con­tre les pipelines dans les Dako­tas du sud et du nord.

Extrac­tion

« Extrac­tion c’est vol­er – c’est pren­dre sans le con­sen­te­ment, sans réfléchir, sans atten­tion ou con­nais­sance des con­séquences que l’extraction a sur les autres choses vivantes dans cet envi­ron­nement. Cela a tou­jours été une part du colo­nial­isme et de la conquête. »

Leanne Simp­son

Ma grand-mère dit que le pensionnat
est l’endroit où les gens se ren­dent pour mourir,
alors qu’elle m’apprend à broder et à tricoter,
mes mains tâton­nent au-dessus des aiguilles.
Grand-mère, quand pour la pre­mière fois
as-tu appris les chan­sons de ton répertoire?

 Avant que je sois née ils ont essayé de nous faire taire,
ont per­cé nos langues avec des aigu­illes puis ont enseigné
aux filles d’alors — main­tenant grands-mères — com­ment coudre
comme des machines. A cette époque déjà ils cou­saient nos corps
comme un ter­ri­toire, plein de ressources
prêtes à être extraites et exploitées.

 Nous piquons ensem­ble des phras­es ; ma grand-mère
patiem­ment m’apprend des mots « en Indi­en » comme elle dit.
Mugua‑vi sig­ni­fie cœur – je veux appren­dre com­ment déter­rer cela,
enter­rer*, sogho’mi je veux des mots à dé-boire les drogues que nous aimons 
dans nos veines parce que pour cer­tains d’entre nous c’est l’unique moyen
con­nu pour con­tin­uer à respir­er. Je veux dire :
l’alcoolisme est le symp­tôme, pas la maladie.

 Peut-on dé-sui­cider, dé-pipeliniser,
dé-par­tir nos chers dis­parus ? Il n’y a pas de mots
pour défaire mais de nom­breuses façons de dire revenir.
Nous ne pou­vons revenir au temps d’avant
avant que nos pères com­men­cent à s’évaporer
avant que nos mères com­men­cent à s’inonder elles-mêmes
dans des riv­ières non­mon­di­al­is­ables parce que leurs mères
avaient été cap­turées il y a longtemps. Et nous cher­chons encore
draguons les riv­ières rouges jusqu’à ce que nous trou­vions chaque corps
men­tion­né absent.

Car du plus loin que je me sou­vi­enne nous avons été volés :
de la réserve aux pen­sion­nats industriels
et aujourd’hui nos filles, femmes, et deux-esprits dis­parais­sent encore
assas­s­inés. Je n’ai
assas­s­inés. Je n’ai pu trou­ver de mot pour cela.
Mais yáak­wi sig­ni­fie couler ou dis­paraitre. Où tombons-nous donc ?
Quand avons-nous com­mencé à nous évanouir ?

 Nous cousons nos sou­venirs devenus vieilles cica­tri­ces, une douleur enregistrée
aus­si pré­cise qu’enfiler une aigu­ille à tra­vers le chas de laque­lle on voit à peine.
Quelque­fois je veux met­tre le feu à ce monde,
trans­porter l’odeur de fumée où que j’aille
ain­si (si je venais à man­quer) vous sauriez com­ment me trouver.
Est-ce la rai­son pour laque­lle nos mères ont été élevées pour devenir gar­di­ennes du foyer ?
Et nos pères telle­ment coupables qu’ils ont pel­leté la cen­dre dans leurs bouches ?
C’est ici que ma langue trébuche : sur son être colonisé.

Grand-mère, quand il s’agit de laiss­er aller
mes mains me trahissent toujours,
mais ma bouche veux racon­ter l’histoire
des chan­sons que tu chantes encore douce­ment ‘áa-qáa
parce qu’un jour quand nous serons parties,
la seule chose qui restera pour rem­plir l’espace
que nos corps lais­seront sera le silence.

 

*enter­rer ici pour­rait faire référence au livre célèbre de Dee Brown : Enterre mon cœur à Wound­ed-Knee (titre orig­i­nal : Bury my Heart at Wound­ed Knee), paru en 1970, et qui est une sorte d’encyclopédie des luttes et batailles vues du côté des Indi­ens d’Amérique tout au long de la « con­quête ». Le sous-titre de ce livre, évo­ca­teur ô com­bi­en, est : La longue marche des Indi­ens vers la mort. (N.d.T.)

 

 

“Extract­ing is stealing—it is tak­ing with­out con­sent, with­out thought, care or even knowl­edge of the impacts that extrac­tion has on the oth­er liv­ing things in that envi­ron­ment. That’s always been a part of colo­nial­ism and con­quest.” – Leanne Simpson

 

My grand­moth­er says board­ing school
is where peo­ple go to die,
as she teach­es me to embroi­der and knit,
my hands fum­ble over the needles.
Grand­moth­er, when did you first learn
how to sing the songs you carry?

Before I was born they tried to silence us,
pierced our tongues with nee­dles then taught
our then-girls-grand­moth­ers how to sew
like machines. Even then, they saw our bodies
as land, full of resources
wait­ing to be extract­ed and exploited.

We stitch togeth­er phras­es; my grandmother
patient­ly teach­es me words, “in Indi­an” as she says.
Mugua‑vi  means heart—I want to learn how to unbury this,
bury, sogho’miI want words to un-drink the drugs we loved
into our veins because for some of us this was the only way
we knew how to keep breath­ing. I want to say—
alco­holism is the symp­tom and not the disease.

Can we un-sui­cide, un-pipeline,
un-dis­app­pear our dear ones? There is no word
for undobut many ways to say return.
We nev­er get to go back to before
our fathers began evaporating
and our moth­ers start­ed flood­ing themselves
into unglob­a­ble rivers because their mothers
were tak­en long ago. And, we are still searching
drag­ging rivers red until we find every body
that ever went missing.

For as long as I can remem­ber, we’ve been stolen:
from reser­va­tion to Indus­tri­al board­ing schools
and today our girls, women, and two-spir­it still go missing
and mur­dered. I could find no word for this.
But yáak­wi­is to sink or dis­ap­pear. Where is it we fall?
When did we first start vanishing?

We sewed new mem­o­ries into old scars, a record­ed pain
so pre­cise like thread­ing a nee­dle one can bare­ly see through.
Some­times I want to set this world on fire,
car­ry the scent of smoke wher­ev­er I go
so (should I go miss­ing) you’ll know how to find me.
Is this why our moth­ers grew up to be keep­ers of the fire?
And our fathers so guilty they shov­el ash into their mouths?
This is where my tongue stum­bles over its col­o­nized self.

Grand­moth­er, when it comes to let­ting go
my hands have always failed me,
but my mouth wants to tell the story
about the songs you still sing soft­ly ‘áa-qáa
because one day when we’re gone,
the only thing left to fill the space
our bod­ies leave will be silence.

 

 

 

Tanaya con­fie dans un entre­tien récent qu’elle a été touchée par un poème (« One Art ») d’Elizabeth Bish­op qui dès le pre­mier vers dit : “The art of los­ing isn’t hard to mas­ter.” (l’art de per­dre n’est pas dif­fi­cile à maîtris­er). Ceci fait évidem­ment écho à l’expérience des Indi­ens d’Amérique du nord à qui les colons et l’état améri­cain ont presque tout pris, presque, car l’esprit des cul­tures et des langues demeurent, les valeurs demeurent. Et ce phénomène de perte est uni­versel : on perd son temps, on perd un proche, cela arrive tous les jours partout, par­fois bru­tale­ment, et c’est ce qui crée une ten­sion que nous pour­rions aus­si appel­er poésie. 

Tanaya comme toutes les per­son­nes de sa généra­tion, est active sur les réseaux soci­aux, on peut la lire sur Insta­gram, elle poste des paroles entre prières et sagesse Indi­enne, afin d’encourager ses « frères et sœurs » à repren­dre con­fi­ance, à repren­dre courage, à aimer leurs vies comme la vie en général, quelque soient les épreuves qu’ils endurent encore, car c’est ce cette façon, en restant Indi­ens avec leurs valeurs de résilience, de beauté et d’harmonie, qu’ils pour­ront mon­tr­er au monde et aux leurs, com­ment com­pren­dre le monde, com­ment vivre sa rela­tion au monde et y par­ticiper afin d’atteindre une pléni­tude digne de l’adjectif « humain ».

Un exem­ple de ces messages :

Je prie chaque jour et tente de vivre ma vie
en recon­nais­sant, en hon­o­rant les modes de 
vie que nos ancêtres nous ont offert. Je le 
fais car je veux que mes ancêtres me 
ren­con­trent dans cette vie, et sur le chemin 
de l’esprit qui vient après.
Je veux que mes ancêtres me connaissent.

 

 

P        pour férocement

      embrasser

U        une ancestrale

R         résilience

J’aimerais con­clure la présen­ta­tion de cette auteure ô com­bi­en attachante avec ce poème « en prose » qui affirme le rôle ances­tral des femmes dans leurs com­mu­nauté : assur­er le lien social, faire régn­er la paix et l’harmonie, créer les con­di­tions grâce aux­quelles chaque mem­bre de la com­mu­nauté peut s’épanouir et don­ner le meilleur de lui-même parce qu’heureux. Poème où les mots ne com­men­cent pas par des let­tres majus­cules même après les points. Pas de hiérar­chie, mais la sim­plic­ité et l’efficacité en forme de témoignage et de man­i­feste. Tanaya a trou­vé sa mis­sion et elle l’assume jusqu’à l’achèvement de ses forces, ain­si que le font nom­bre d’autres femmes Indi­ennes, qu’elles soient auteures ou non, car mères et sœurs elles sont ; comme le font aus­si des hommes Indi­ens, ils sont frères et pères, et tous ensem­ble ils peu­vent rétablir la fierté d’une iden­tité et la beauté de la « Red Road », cette voie rouge à l’Indienne dont nous, occi­den­taux, devri­ons bien nous inspir­er avant que la terre par trop empoi­son­née, ne puisse plus ni nous sup­port­er, ni nous nourrir.

Any Good Indi­an Woman — N’importe quelle femme Indi­enne bonne

je sors mes frères des mots, indi­en­stu­pide, tirés comme des balles, quand les gens deman­dent pourquoi mes frères détes­tent l’école je dis : l’esprit se sou­vient com­ment ça fait d’être aban­don­né der­rière, quand l’Amérique enl­e­vait les enfants de chez eux, dépor­tait des familles en les séparant, arrachait la main d’un enfant à celle de sa mère pour les plac­er dans des pen­sion­nats. mes frères pleurent une perte qu’ils essaient de répar­er en trou­vant un chez eux en une autre per­son­ne, alors ils voy­a­gent de la réserve à la ville en chan­tant des blues et les chan­sons d’amour de l’année 49.

             i pull my broth­ers from words, stu­pid injun, shot like bul­lets. when peo­ple ask why my broth­ers hat­ed school i say: the spir­it remem­bers what it’s like to be left behind when amer­i­ca took chil­dren from homes, dis­placed fam­i­lies with rup­ture, rip­ping a child’s hand from a mother’s to put them in board­ing school build­ings. my broth­ers are mourn­ing a loss they try to fix in find­ing home in anoth­er per­son, so they trav­el from reser­va­tion to city singing blues and 49 songs about love.

    je sors mes frères de voitures affublées de noms Indi­ens : nava­jo, chero­kee, & taco­ma. sur une route des­tinée au dan­ger mes frères sont nés avec le désir de revenir de dépor­ta­tion & des longues march­es pen­dant des kilo­mètres & et des kilo­mètres & des kilo­mètres de déplace­ment. mes frères se cherchent eux-mêmes au moyen de dépen­dances mal­saines déguisées en panse­ments de fortune.

   i pull my broth­ers from cars named after indi­ans: nava­jo, chero­kee, & taco­ma. on a dan­ger-des­tined road my broth­ers are born long­ing for a way back from relo­ca­tion & long walks across miles & miles & miles of removal. my broth­ers search for them­selves in unhealthy addic­tions dis­guised as makeshift bandages. 

   je sors mes frères des bouteilles au fond desquelles ils pensent que des répons­es se cachent. mes frères trébuchent dans des ruelles à la recherche d’un amour & des rires qui leurs furent volés tout comme la terre. et quand leurs corps bruns ten­tent de trou­ver la guéri­son et l’amour, d’autres corps bruns gri­ma­cent à leur con­tact parce que tout comme pour n’importe quelle bonne indi­enne, nos corps sont con­nec­tés à une terre, encore vio­lée par les pipelines allongés de force à l’intérieur de tout ce que nous tenons pour sacré. et mes frères s’accrochent à leur bagage émo­tion­nel colo­nial si fer­me­ment qu’ils pensent que c’est force de gravité

 i pull my broth­ers from bot­tles they think answers might be hid­den at the bot­tom of. my broth­ers stum­ble through back alleys look­ing for a love & laugh­ter that was stolen from them like the land. and when their brown bod­ies try to find heal­ing & love, oth­er brown bod­ies cringe at their touch because like any good indi­an woman, our bod­ies are con­nect­ed to an earth, still being raped by the pipelines forcibly laid down inside all that we hold sacred. and my broth­ers hold onto their colo­nial emo­tion­al bag­gage so tight­ly they think it’s gravity

     alors des océans je sors mes frères telle­ment con­va­in­cus de mérit­er la souf­france qu’ils se noient presque dedans. et par­fois mes frères tail­lent dans leurs poignets le deuil ances­tral, inci­sions pour se sou­venir du seul moment où ils sont rouges, écorchés c’est quand le sang s’écoule depuis les plaies ouvertes que l’Amérique a entail­lé dans nos peaux brunes. amour de soi : exercer une pression.

                    so i pull my broth­ers from oceans believ­ing they deserve the hurt so much they near­ly drown them­selves in it. and some­times my broth­ers knife ances­tral griev­ing onto their wrists, slits to remem­ber the only time we are ever red, skinned is when blood flows from the open wounds amer­i­ca knifed onto our brown skin. self-love: apply pressure. 

          je sors mes frères des cen­dres. l’Amérique a essayé de nous brûler ne sachant pas que nous étions déjà flammes.

                                        i pull my broth­ers from ash­es. amer­i­ca tried to burn us not know­ing we were already flame. 

& ce seront les his­toires que je racon­terai à mes petits-enfants quand un jour ils me deman­deront : pourquoi être une bonne indi­enne sig­ni­fie que nous brûlons comme le phénix et qu’à maintes repris­es nous sor­tons nos frères.

& these will be the sto­ries i tell my grand­chil­dren when one day, they ask me – why being a good indi­an woman means we burn like phoenix repeat­ed­ly pulling our brothers. 

 

(A retrou­ver sur le site :https://www.worldliteraturetoday.org/2017/may/any-good-indian-woman-tanaya-winder)

 

Any Good Indi­an Woman — N’importe quelle femme Indi­enne bonne

 

je sors mes frères des mots, indi­en­stu­pide, tirés comme des balles, quand les gens deman­dent pourquoi mes frères détes­tent l’école je dis : l’esprit se sou­vient com­ment ça fait d’être aban­don­né der­rière, quand l’Amérique enl­e­vait les enfants de chez eux, dépor­tait des familles en les séparant, arrachait la main d’un enfant à celle de sa mère pour les plac­er dans des pen­sion­nats. mes frères pleurent une perte qu’ils essaient de répar­er en trou­vant un chez eux en une autre per­son­ne, alors ils voy­a­gent de la réserve à la ville en chan­tant des blues et les chan­sons d’amour de l’année 49.

             i pull my broth­ers from words, stu­pid injun, shot like bul­lets. when peo­ple ask why my broth­ers hat­ed school i say: the spir­it remem­bers what it’s like to be left behind when amer­i­ca took chil­dren from homes, dis­placed fam­i­lies with rup­ture, rip­ping a child’s hand from a mother’s to put them in board­ing school build­ings. my broth­ers are mourn­ing a loss they try to fix in find­ing home in anoth­er per­son, so they trav­el from reser­va­tion to city singing blues and 49 songs about love.

    je sors mes frères de voitures affublées de noms Indi­ens : nava­jo, chero­kee, & taco­ma. sur une route des­tinée au dan­ger mes frères sont nés avec le désir de revenir de dépor­ta­tion & des longues march­es pen­dant des kilo­mètres & et des kilo­mètres & des kilo­mètres de déplace­ment. mes frères se cherchent eux-mêmes au moyen de dépen­dances mal­saines déguisées en panse­ments de fortune.

   i pull my broth­ers from cars named after indi­ans: nava­jo, chero­kee, & taco­ma. on a dan­ger-des­tined road my broth­ers are born long­ing for a way back from relo­ca­tion & long walks across miles & miles & miles of removal. my broth­ers search for them­selves in unhealthy addic­tions dis­guised as makeshift bandages. 

   je sors mes frères des bouteilles au fond desquelles ils pensent que des répons­es se cachent. mes frères trébuchent dans des ruelles à la recherche d’un amour & des rires qui leurs furent volés tout comme la terre. et quand leurs corps bruns ten­tent de trou­ver la guéri­son et l’amour, d’autres corps bruns gri­ma­cent à leur con­tact parce que tout comme pour n’importe quelle bonne indi­enne, nos corps sont con­nec­tés à une terre, encore vio­lée par les pipelines allongés de force à l’intérieur de tout ce que nous tenons pour sacré. et mes frères s’accrochent à leur bagage émo­tion­nel colo­nial si fer­me­ment qu’ils pensent que c’est force de gravité

 i pull my broth­ers from bot­tles they think answers might be hid­den at the bot­tom of. my broth­ers stum­ble through back alleys look­ing for a love & laugh­ter that was stolen from them like the land. and when their brown bod­ies try to find heal­ing & love, oth­er brown bod­ies cringe at their touch because like any good indi­an woman, our bod­ies are con­nect­ed to an earth, still being raped by the pipelines forcibly laid down inside all that we hold sacred. and my broth­ers hold onto their colo­nial emo­tion­al bag­gage so tight­ly they think it’s gravity

     alors des océans je sors mes frères telle­ment con­va­in­cus de mérit­er la souf­france qu’ils se noient presque dedans. et par­fois mes frères tail­lent dans leurs poignets le deuil ances­tral, inci­sions pour se sou­venir du seul moment où ils sont rouges, écorchés c’est quand le sang s’écoule depuis les plaies ouvertes que l’Amérique a entail­lé dans nos peaux brunes. amour de soi : exercer une pression.

                    so i pull my broth­ers from oceans believ­ing they deserve the hurt so much they near­ly drown them­selves in it. and some­times my broth­ers knife ances­tral griev­ing onto their wrists, slits to remem­ber the only time we are ever red, skinned is when blood flows from the open wounds amer­i­ca knifed onto our brown skin. self-love: apply pressure. 

          je sors mes frères des cen­dres. l’Amérique a essayé de nous brûler ne sachant pas que nous étions déjà flammes.

                                        i pull my broth­ers from ash­es. amer­i­ca tried to burn us not know­ing we were already flame. 

& ce seront les his­toires que je racon­terai à mes petits-enfants quand un jour ils me deman­deront : pourquoi être une bonne indi­enne sig­ni­fie que nous brûlons comme le phénix et qu’à maintes repris­es nous sor­tons nos frères.

& these will be the sto­ries i tell my grand­chil­dren when one day, they ask me – why being a good indi­an woman means we burn like phoenix repeat­ed­ly pulling our brothers. 

 

 

(A retrou­ver sur le site :https://www.worldliteraturetoday.org/2017/may/any-good-indian-woman-tanaya-winder)

 

 

Présentation de l’auteur

Tanaya Winder

Tanaya Winder est une poète de per­for­mance, écrivain, con­féren­cière et édu­ca­trice. Avec Casan­dra Lopez, une autre écrivain autochtone, elle a fondé As / Us, un mag­a­zine lit­téraire en ligne.

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Béatrice Machet

Vit entre le sud de la France et les Etats Unis. Auteure de dix recueils de poésie en français et deux en Anglais, tra­duc­trice des auteurs Indi­ens d’Amérique du nord. Per­forme, donne des réc­i­tals poé­tiques en col­lab­o­ra­tion avec des danseurs, com­pos­i­teurs et musi­ciens. Pub­liée entre autres chez l’Amourier (Muer), VOIX (DER de DRE), pour les ouvrages bilingues ASM Press (For Uni­ty, 2015) Pour les tra­duc­tions : L’Attente(cartographie Chero­kee), ASM Press (Trick­ster Clan, antholo­gie, 24 poètes Indi­ens)… Elle est mem­bre du col­lec­tif de poètes sonores et per­for­mat­ifs Ecrits — Stu­dio. Par ailleurs elle réalise et ani­me chaque deux­ième mer­cre­di du mois à par­tir de 19h une émis­sion de 55 min­utes con­sacrée à la poésie con­tem­po­raine sur les ondes de radio Ago­ra à Grasse. En 2019, elle pub­lie Tirage(s) de Tête(s) aux édi­tions Les lieux dits, Plough­ing a Self of One’s Own, paru en 2021 aux édi­tions Danc­ing Girl Press, (Chica­go), et TOURNER, petit pré­cis de rota­tion paru chez Tar­mac en octo­bre 2022, RAFALES chez Lan­sk­ine en 2024. 

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