Née à Nîmes, en 1911, Thérèse Plantier fut longtemps enseignante à Mar­seille, puis retirée à Fau­con dans le Vau­cluse. Elle com­mença à pub­li­er, en 1945, vivant pas­sion­né­ment le sur­réal­isme. En 1964, Thérèse Plantier répon­dit avec délec­ta­tion à l’enquête de la revue La Brèche sur les « représen­ta­tions éro­tiques ». André Bre­ton la com­pli­men­ta pour sa réponse. Il avait d’ailleurs décelé en elle : « une vio­lente volon­té de ver­tige ». Plantier rétorqua : Je ne m’exprime qu’en sur­réal­iste. Le temps n’est pas venu où l’on puisse s’exprimer autrement. Thérèse Plantier par­tic­i­pa aux réu­nions sur­réal­istes, au café La Prom­e­nade de Vénus et fut invitée chez André Bre­ton, à Saint-Cirq-Lapopie (Lot). Thérèse Plantier prit ensuite ses dis­tances, non avec Bre­ton, mais avec son entourage, pour se rap­procher davan­tage du Pont de l’Epée de Guy Cham­bel­land et de « la Poésie pour vivre » de Jean Breton.

            Liée d’une forte ami­tié à Simone de Beau­voir et à Vio­lette Leduc (à qui elle écrira : « Vous écrivez comme Van Gogh peint »), Thérèse Plantier entre­prit très tôt, comme l’a écrit son ami Joce­lyne Cur­til, une étude cri­tique du  dis­cours des hommes dans dif­férents domaines : philoso­phie, anthro­polo­gie, eth­nolo­gie, soci­olo­gie… et se pen­cha sur les reven­di­ca­tions fémin­istes, pour édi­fi­er sa philoso­phie : le « fémonisme inté­gral », qu’elle mit en œuvre dans ses livres de poèmes, qui se veu­lent défense et illus­tra­tion d’un lan­gage spé­ci­fique­ment « fémonin ». Du lan­gage, instru­ment de l’asservissement des femmes, Plantier fit un instru­ment de libéra­tion. Appro­pri­a­tion-destruc­tion-recréa­tion du lan­gage, telle est la triple voie qui don­nera exis­tence à l’être-femme. Plantier reprit l’assertion de Mon­taigne (« Les femmes n’ont pas tort quand elles refusent les règles qui sont intro­duites au monde, d’autant que ce sont les hommes qui les ont intro­duites sans elles »), pour affirmer : « Moi qui n’ai pu jusqu’ici me saisir par aucun con­cept, je con­testerai glob­ale­ment pen­sée, lan­gage, cul­ture (« il faut la détra­quer, cette cul­ture de com­merçants, c’est-à-dire faire appa­raître ce qu’elle est, un car­rousel de mythes, une machine à décervel­er, un écrabouilleur »), mœurs (« à chaque fois qu’est invo­quée la morale – une riv­ière tranchée se con­vulse sans s’atteindre »), hideux gou­verne­ments (« gou­vernés avachis, les lois, les juri­dic­tions, les armées, les enseignants… »)

            Thérèse Plantier cher­cha à tout empoign­er, tout trans­former, tout malax­er, afin de démys­ti­fi­er toutes ces con­so­la­tions que nous inven­tons pour sur­vivre. Sa voix épousa celle des élé­ments : brise ou tor­nade. Ses vers, sou­vent courts, claquèrent au vent. De nom­breux poèmes sont des réc­its oniriques, bur­lesques, des anec­dotes à facettes, de style baroque, menées avec brio, fan­taisie, humour. Le poète donne vie à tout ce qui l’entoure grâce à la magie du « survrai », si proche du sur­réel, d’un lan­gage réin­ven­té : « mire-œuf arsénio-sul­fure », car le lieu de la parole est lieu de vie. Thérèse Plantier écrit aus­si pour échap­per à la mort, la nar­guer, la trav­e­s­tir, l’apprivoiser (« mots anti-mort, mort anti-mots »). Ain­si, par la parole, le poète trans­forme la mort en lumière ; la mort devient « cet espace – où s’éteignent les lam­pes – à mesure que grandit comme une ombre la lumière »). Femme-mots, Thérèse Plantier nous dit : « J’appartiens à mes paroles – je les donne – et ain­si me trans­porte ailleurs : même dans le puant aux varices bandées ». Bien qu’elle s’interroge : « L’amour ne serait-il pas con­trainte, n’aurions-nous pas été con­traints à l’amour ? Sans le savoir, sans le vouloir ? » Toute sa poésie est mar­quée au sceau de l’amour, « ce bruis­sant besoin ». Cette poésie scrute, palpe, décante la femme pour mon­tr­er la dés­in­té­gra­tion morale du monde, per­ver­ti par les hommes, tour­nant en ridicule la dom­i­na­tion mas­cu­line pour libér­er la femme de son alié­na­tion cul­turelle. L’angoisse, la déchirure du temps, la mort, la destruc­tion, la déchéance, ne trou­vent guère d’antidotes, qu’en la révolte, l’amour char­nel, l’écriture et la liberté.

            Une chose est cepen­dant cer­taine, c’est que l’œuvre de Thérèse Plantier ne met pas à l’aise. Elle inquiète. N’avait-elle pas écrit : « Je veux me con­naître par ces mots qui me dérobent à moi-même. »

            Sig­nalons enfin que Thérèse Plantier, nature vol­canique, aus­si iné­gal­able qu’ingérable, eut qua­tre maris. Le dernier, Robin Mor­lot, avait vingt-cinq ans, lorsqu’il fit sa ren­con­tre (elle était alors âgée de soix­ante dix ans) : un garçon pour lequel je ne veux pas dormir – afin que mon cœur gronde et chauffe – comme un moteur exten­si­ble. Le « grand garçon frag­ile » se don­na la mort, après la dis­pari­tion du poète.

            Thérèse Plantier a pub­lié des poèmes dans la 2ème série des HSE, revue qui fut la seule à sig­naler sa dis­pari­tion et à lui ren­dre hom­mage. Thérèse Plantier fut égale­ment présen­tée (par Jean Bre­ton) comme « Por­teur de Feu » dans Les HSE 1 (3ème série, 1997). Un dossier (signé Joce­lyne Cur­til et Alice Cola­nis) lui a été con­sacré dans Les HSE 13/14 (3ème série, 2003).

            Thérèse Plantier est l’auteur d’une œuvre poé­tique mael­ström, géniale, orig­i­nale et chao­tique, qui compte par­mi l’une des plus fortes de la poésie con­tem­po­raine. L’une des plus grandes Voix fémi­nine du siè­cle, à nos yeux, avec Joyce Man­sour, Claude de Burine et quelques autres.

image_pdfimage_print