Thibault Biscarrat, L’initié, suivi de La libre étendue et de L’incandescence

Par |2022-04-06T07:52:37+02:00 5 avril 2022|Catégories : Critiques, Thibault Biscarrat|

Thibault Bis­car­rat est assez incroy­able : il pour­suit, de livre en livre, et ce depuis au moins Le Dernier Lieu (Abor­do, 2016), son œuvre poé­tique comme s’il ne se pas­sait rien dans le monde extérieur : ni guerre, ni vio­lence, ni épidémies…

Son œuvre, à par­tir de ce livre déjà nom­mé, n’est qu’un vaste chant d’amour qui prend à témoin la Nature (« Je suis la stro­phe qui, au matin, fait chanter les frondaisons ») et le cos­mos (« La lune déploie ses éclats dans le silence du ciel » > « Le Verbe advient et la Terre tournoie »). (Et c’’est l’amour qui meut le soleil et autres étoiles…) Il aurait pu naître au temps du Can­tique des Can­tiques, ou du Deutéronome, que son écri­t­ure n’en serait pas pour autant changée. Bis­car­rat est notre David actuel : il chante pour chanter ! comme l’enfant dans l’Aiôn que vit Hér­a­clite autrefois.

Suiv­ons donc le titre de ses recueils : Le Livre de mémoire, L’homme des grands départs, Une Couronne d’Orage, Chant con­tinu. Qu’est-ce qu’un « chant con­tinu » ? Eh bien, un chant qui n’a pas de fin, bien sûr : « La parole s’incarne sur le chemin, infin­i­ment. » Ou bien : « La musique s’incarne à chaque instant. » Ou encore : « Je rêve d’un livre plus vaste que le monde. » Etc., etc. Le chant infi­ni (in-fini) est la forme des livres de Thibault Biscarrat. 

Thibault Bis­car­rat, L’initié, suivi de La libre éten­due et de L’incandescenceÉd. ars/poetica, 90 p., 18 €.

La Bible est partout présente, en fil­igrane du textuel : le Verbe n’est plus que buée, vie, argile, boue, brasi­er, ou feu. Thibault Bis­car­rat va même jusqu’à se déclar­er « fils du feu », « l’initié aux mys­tères ». Est-il « fou » ? égo­cen­trique ? Tout écrivain l’est…

Dans son œuvre en général, et dans ce recueil en par­ti­c­uli­er, presque tout est écho de textes antérieurs (poé­tiques ou bibliques) ; et pour­tant il n’y a aucun guillemet, ni d’italiques : tout est intéri­or­isé, avalé, puis recraché : c’est alors que l’auteur – le poète – devient « tatoué de ver­sets, de légen­des ». Le corps du poète n’est plus qu’un palimpses­te. Par­fois, il s’agit de sim­ples détourne­ments de vers hyper con­nus : « J’ai vécu au plus près de l’orage, la beauté assise sur mes genoux. » (Rim­baud, bien sûr). D’autre fois, c’est plus obscur : l’auteur est féru de textes kab­bal­is­tiques et de la Torah (« Les voyelles ani­ment les con­sonnes »). Cer­taine­ment un sou­venir d’Isidore Ducasse : « Je n’ai d’autre grâce que celle de vivre au plus près de l’âme, à chaque instant. » Un esprit impar­tial trou­ve cela par­fait. On se sou­vient de Jean-Luc Godard citant le cinéaste Robert Bres­son dans ses Histoire(s) du ciné­ma : « Ne change rien, pour que tout soit dif­férent. » Mise en action de ce théorème dans le texte : « Nous for­geons ce chant nou­veau ; nous chan­tons ce chant très ancien. » Et c’est alors que « tout vient se regrouper, fusion­ner dans [sa] langue », que « la bib­lio­thèque bruit autour de [lui] », que « tous les livres [lui] sont faveur ». « En écho les textes, les palimpses­tes [lui] parvi­en­nent » : « La lumière soulève son voile. »

Même si dehors tout est atroce (les bruits de bottes fas­cistes (presque) partout), le monde intérieur de Bis­car­rat n’est qu’enchantement : « Les val­lées, les sym­phonies : tout luit, resplen­dit, s’offre à l’ouvert. » Ô saisons, ô chateaux ! Pour­tant, par­fois, un monde non édénique point, celui de l’Arbre de la con­nais­sance : « Un homme ren­ver­sé, à tête d’oiseau, le sexe droit ten­du vers les entrailles. » Et c’est alors la chute… hors d’Éden.

On sait que la grande poésie chi­noise ne vécut que d’emprunts, d’allusions, de détourne­ments plus ou moins cachés, etc. ; à peine en eût-on fini avec cette façon de faire, la poésie chi­noise avait dis­paru !… « La fin approche ; tout est à venir » (dernière page du livre).

Présentation de l’auteur

Thibault Biscarrat

Thibault Bis­car­rat est écrivain et musi­cien, (1979).

Il inter­roge, dans son œuvre, les rap­ports entre le lan­gage et le réel ; le sur­gisse­ment de la parole en tant que poésie pen­sée ; le lien entre les frag­ments et le Livre.

Bib­li­ogra­phie

Dol­mancé, (2015) aux édi­tions Abor­do, final­iste 2016 du prix pour le pre­mier recueil de poésie Fon­da­tion Antoine et Marie-Hélène Labbé ;

Le Dernier Lieu, (2016) aux édi­tions Abordo ;

Le Livre de mémoire suivi de La let­tre pre­mière, (2019) aux édi­tions des Van­neaux, final­iste des Hon­neurs 2019 de la Cause Lit­téraire ; sélec­tion­né pour le prix Ard­ua des pre­mières réalisations.

L’homme des grands départs, (2020) aux édi­tions de Van­neaux, pré­face de Patri­cia Boy­er de Latour, prix du meilleur recueil de poésie de l’an­née 2020 décerné par la Cause Lit­téraire.

Une Couronne d’Or­age suivi de Beauté et de Roy­auté, (2021) aux édi­tions Ars poetica.

Il a pub­lié des textes dans divers­es revues : Phaé­ton, Écrit(s) du Nord, les Cahiers de Tinbad.

 

Autres lec­tures

Thibault Biscarrat, Cercles intérieurs

On l’a déjà écrit ici sur Recours au poème, Thibault Bis­car­rat poète, et hormis une pre­mière ten­ta­tive de roman (Dol­mancé, Abor­do, 2015), reprend et (ré)écrit tou­jours le même livre. D’ailleurs, il ne s’en […]

image_pdfimage_print
mm

Guillaume Basquin

Guil­laume Basquin est né en 1969.

Il pub­lie son pre­mier livre, Fon­du au noir : le film à l’heure de sa repro­duc­tion numérisée, chez Paris Expéri­men­tal en 2013. 
Plusieurs de ses textes sont pub­liés en revues (L’In­fi­ni, La Règle du Jeu, Traf­ic, Art­press, Nioques).
Devant la dif­fi­culté de faire pub­li­er des essais cri­tiques sur des auteurs vivants ou des livres expéri­men­taux dans le monde édi­to­r­i­al en place, il co-fonde avec sa com­pagne Chris­telle Merci­er les édi­tions Tin­bad en mars 2015, où il pub­lie deux ouvrages :
Jacques Hen­ric entre image et texte (2015) et (L)ivre de papi­er (2016).
Puis, aidé de Jean Durançon, il co-fonde une revue lit­téraire bi-annuelle de créa­tion lit­téraire et de cri­tique d’art, Les Cahiers de Tin­bad, dont le numéro 1 paraît en jan­vi­er 2016. 
Cette revue laisse une assez grande place à la poésie et aux expéri­men­ta­tions textuelles.

Tin­bad prévoit d’éditer une demi-douzaine d’ou­vrages par an, dont de la poésie mod­erne et expérimentale.

En sep­tem­bre 2016, il pub­lie chez Hon­oré Cham­pi­on la pre­mière étude com­plète sur l’écrivain Jean-Jacques Schuhl : Jean-Jacques Schuhl, du dandysme en lit­téra­ture. (pho­to Eric Rondepierre).

Sommaires

Aller en haut