Thibault Marthouret, Qu’en moi Tokyo s’anonyme (extraits)
/nous sommes faits
nous sommes faits d’ombre et d’écrans we look like modern day ghosts
nos bouches ne réchauffent rien de vivant ghastly, gone
nous dormons sur le dos comme les mouches mortes
retournés par nos rêves d’intemporalité
retournés sur nos ailes froissées
mouches pharaoniques not to be opened
nous nous partageons sans donner we are done
nous nous sommes ouverts en public not to be opened
déversés en privé
nous n’avons eu de cesse
de nous claquemurer les côtes
les côtés du carré not to be opened
les chambres du cœur
sont capitonnées locked in echo
des vents violents nous meuvent et nous façonnent circle line
nous sommes faits
nous appelons encore visages ces rasoirs
ces lèvres not to be opened
chaque usager possède un petit pistolet glissé dans une blague a brain
with a gun in it
il le dépose, une fois rentré, sous l’oreiller
ou dans un coffre-fort noir
derrière des codes, des loquets, des murs
enflammés we are done
le fil de nos visages suffit pour tenir à distance les funambules not to be opened
nous courons de nuit par milliers nous jeter dans la mer with open arms
do you mind me asking? vous pouvez tout me demander
comment faire taire le bébé à peine embarqué ?
la bête dans l’habitacle ?
la peine charriée de longue date?
le funambule dans le coffre ? do you mind?
How long this howling at the moon business?
/à destination
Coulisse. Claque. Une porte. Une tête. Passe.
Nous traversons une forêt de pins rouges et écorchés.
Nous circulons actuellement avec un retard d’environ.
La tête heurte le porte-bagages à chaque fois que le train penche.
Claque. S’approche. Flotte. Nous surplombe —
je suis fatiguée
je m’essouffle quand je fais le ménage
j’ai des extra systoles, je lui ai dit
Le service de vente ambulante la chasse de l’allée centrale.
Le retard d’environ traverse toujours les pins blasés.
Une mère — c’est dégoûtant ! — arrache de son siège le repose-tête,
carré de tissu vert acide, vert électrique, statique, le velcro crache.
Mes cheveux et le haut de ma nuque ne répondent pas :
ma tête est-elle calée sur un carré de tissu scratché et de quelle couleur ?
Je n’ose pas la tourner, me trouverais — dégoûtant ! —
nez à nez avec l’appuie-tête.
Le 15h55 transporte exclusivement des séniors encartés et de jeunes mamans.
Des mains sortent des banquettes — dégoûtant !
Coulisse. Claque. Le loquet se désenclenche. Coulisse. Claque.
Les appuie-têtes démangent et grésillent.
Les usagers partis en masse aux toilettes ont tous repris leur place.
Personne n’erre dans les couloirs en quête de la voiture bar.
Vingt minutes avant l’arrivée, je mets ma main à couper —
Coulisse. Claque. —
qu’ils vont y retourner
je lui ai dit que je m’essoufflais, que j’avais mal aux seins
que ça faisait comme des décharges
il m’a dit de me tranquilliser
La voiture 15 regarde la tête revenue se balancer tandis que les vessies s’emplissent
et que je cherche cette teinte de cheveux dans les bleus de mon nuancier.
Nous creusons autour d’elle une douve de silence.
Les extra systoles y frétillent comme des têtards.
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Wasting time.
Toi dont le crayon avait ouvert une brèche dans la grisaille,
te revoilà. Pourquoi toujours à mon côté, jamais de face ?
Disparaît tout ce qui n’est pas la chaleur de ton épaule, l’ocre des feuilles
dans les arbustes et les buissons filant à notre hauteur.
L’interespace s’évanouit dans l’intercité lancé à toute vitesse.
Ta chaleur remplace ma concentration. Même état profond.
La couverture cartonnée me glisse des mains. Même sas.
Tu ne dessines plus. Tu somnoles.
Une aiguille à tricoter brandie par une main passagère se lève, désigne
le ciel offert, tapote la vitre du train, guêpe en quête de K.O..
Quel effort titanesque pour se rendre compte qu’il fait beau.
Quel effort titanesque pour voir, simplement voir, les taches violettes de l’hiver sur l’or.
Watching him.
Le soleil se mire dans ta montre d’explorateur.
Impossible de lire l’heure. Je ne saurais plus.
L’automne est une couleur qui s’ouvre dans le vert et le dévore.
L’hiver est-il cet unique ongle noir sur la main vernie de cette femme qui passe,
majeur masqué parmi les carreaux, diamants rouges,
acrobate vengeur sur le repose-tête.
Quel âge avais-tu quand tu t’es cassé le nez ? Te l’a-t-on cassé ? Avais-tu chuté ?
Ton bras tressaille et mon regard s’envole, se pose successivement sur
des baies empoisonnées, des ronces, du poil à gratter, Poitiers.
Le jeune homme blond sur le siège d’en face écrit dans un carnet, cache ce qu’il écrit —
des secrets, de mauvaises vérités — mordille son crayon entre deux phrases,
il ressemble à quelqu’un qui d’habitude porte des lunettes
et devait se ronger les ongles.
Une étrange cicatrice sur son front m’arrête.
Writing the time I waste.
/au matin inachevé
Quel bleu ? Turquoise ? Cobalt ?
Canard ? Taupaze ? Cyan ?
Dragée ? Polaire ? Paon ?
Un choix est fait, un pot de peinture acheté,
entamé, rangé à moitié plein dans le débarras.
Il faudra ramasser ton verre.
Crémaillère. Vous n’auriez pas dû.
Elles sont splendides.
Je vais prendre ta veste.
Le bouquet disparaît en évidence sur l’étagère
à côté de la collection de coquilles vides.
Un fond de verre s’évapore dans le salon éteint.
Autour d’une langue violette, des dents grincent.
L’alcool assèche la nuit qui sent la peinture fraîche,
aplanit les rêves en trompe-l’œil.
Plutôt Médoc ? Plutôt Graves ? Foxé ou suave ?
Margaux ? Pomerol ? Charpenté ? Sur du
fruit, du galet, du caillou, de la bête
rouge ? Débouché. Versé. Senti. Bu.
Tu n’aurais pas un peu de peinture qui traîne ?
Sur l’étagère, le bouquet a depuis longtemps viré
au pot-pourri à côté des coquilles vidées
du souvenir de la mer.
Le couvercle colle, va chercher le tournevis —
déconvenue : le bleu a tourné violet, a tourné
dense et mou comme une langue exsudant.
Serre les dents. Tout ce gâchis. Quelqu’un n’a pas fini
son vin. J’avais pris ta veste.
Entre deux plis de silence, un fil lâche.
Une syllabe craque. Se découd. Il fait froid.
J’enfile ta veste pleine de trous, ta voix
ne coule plus, elle se déchire à chaque geste.
Comment te mouvais-tu ?
Mauvais pantomime puant l’antimite,
je ne retrouve pas ton corps, ta langue,
retourne tes poches, rien n’en tombe.
Le matin dans le verre s’est éventé. Je le jette
dans l’évier. Le filtre à café le rejoint,
échoue sur le flanc, masse médusée aux entrailles
retournées, écloses, explosion de roses noirs
sur la plage d’inox.
Il faudra sécher ton verre.
Ne pas l’oublier sur l’égouttoir.
Effacer les traces.
/dénouement et deux lithographies
rappelle-toi tu avais étiré
ici
les cordes d’un violon
retombées inertes sur le sol
juice them up !
la musique n’avait pas pris
tu les retrouves aujourd’hui
roulées en boule
dans un coin de la pièce
où les visiteurs
ne s’aventurent pas
rêches
raidies
comme des troncs de hêtres
emmêlés
‘fuck me fuck you tree’
‘fuck you fuck me tree’
le même silence lithographique
et embrouillé
sec
comme des cheveux
coupés
une pelisse
pour personne
ratures recroquevillées
dans un coin de page
tu essaies de séparer
les racines
des vermicelles
les pattes de mouche
des poils de verrat
de débrouiller les écheveaux
fils de fer
nerfs
amorces de sons
de les tendre
entre deux poteaux
télégraphiques
le violon d’Ingres s’étire
en pont
de singe
en poème
corde à linge
où perchent les étourneaux sansonnet
still voice
pas d’électricité
don’t apologise for what you didn’t say
puis la voix mort-née ressuscite
dans l’enfilade des becs alignés
noire et statique
voix du poème vengé
capable d’imiter
cris d’oiseaux
d’humains
bruits domestiques
clefs dans la porte
porte qui grince
sonnerie du téléphone
answer it !
un étourneau
imite John Cage
à l’autre bout du fil
décroche !
un étourneau imite
un étourneau imitant
John Cage imitant
un étourneau
à l’autre bout de la
ligne
noue
l’extrémité du lacet
pour qu’il ne sorte pas de
l’œillet
l’œil est
eye am
l’œil est
le nœud
de la voix
eye am knot an eyeball
tu la baisses
ou l’élèves
en tournant
les chevilles
et en battant
des cils
tu accordes
ton violon
sa voix juste
relie
une rive
et un éther
the end
of my tether
un étourneau lézarde
la vitre