Thierry Le Pennec, Le visage du mot : fils

Par |2024-06-22T07:48:31+02:00 22 juin 2024|Catégories : Critiques, Thierry Le Pennec|

Thier­ry Le Pen­nec, poète auteur d’une douzaine de recueils, dont Un Pays très près du ciel, abor­de dans celui-ci la ques­tion de la pater­nité. Qu’est-ce qui se vit, à mi-mots, dans un trem­ble­ment de ten­dresse, entre un père et son fils ? Il y a de l’allant et de l’élan dans ce recueil. L’élan de la vie qui ponctue et ouvre métaphorique­ment le recueil par la nais­sance du fils et le clôt par la nais­sance à venir d’un enfant de celui-ci. Cette vie au plus près de la nature, le père et le fils en savent les secrets, le tem­po selon les saisons, eux dont le poète dit, non sans fierté : « paysans sommes ».

Il y a l’élan de la route. Il est beau­coup ques­tion de route dans ces poèmes « ROAD, ROAD, ROAD » du fils par­ti en roulotte avec sa com­pagne vers l’Est de l’Europe, rap­pelant en abîme la vie de routard du père, et route du père et de l’épouse aujourd’hui pour rejoin­dre le fils en Autriche. La poésie de Jack Ker­ouac n’est jamais loin.

L’allant, celui du jazz, du rock, de la gui­tare élec­trique vient ryth­mer, en con­tre­point dis­so­nant, des Travaux et des Jours  biensin­guliers. S’articulent des scènes de tra­vail dans les verg­ers, le soin des chevaux, le traite­ment des pom­miers et, d’un même mou­ve­ment, des références livresques, telle « l’odeur vir­gili­enne » du verg­er, la fig­ure de Dio­ti­ma ou le sou­venir du Bauhaus.

L’allant tonique, décalé, du flux poé­tique emporte le lecteur et fait signe tan­tôt vers le lyrisme avec Hölder­lin, tan­tôt vers la langue par­lée au reg­istre rabelaisien, tan­tôt vers une belle flo­rai­son de langues, l’anglais, le bre­ton, l’allemand, le latin, tra­ver­sant les poèmes à vive allure.

Ces instan­ta­nés restituent beau­coup plus qu’une suite d’instants. Ils pointent un rap­port au monde, un attache­ment com­mun du père et du fils au rythme des saisons, à une socia­bil­ité rurale, ouverte en même temps à des valeurs humaines de sol­i­dar­ité et d’échange. En témoignent les anec­dotes au vil­lage, le marché, une soirée de kig-ha-farz, la mort d’un voisin, une fête de nuit – clin d’œil à Xavier Grall ? Comme René Char célèbre les bra­con­niers, les pêcheurs d’anguilles, les berg­ers, Thier­ry Le Pen­nec chante les hommes qui aiment les arbres et les vergers.

Thier­ry Le Pen­nec, Le vis­age du mot : fils, , La Part commune.

La con­nivence avec le fils se tient dans les gestes plutôt que dans les grandes déc­la­ra­tions, dans la sour­dine de ces mots tout sim­ples : « il est /toujours mon garçon la tête en voy­age ». Au bout du compte, qu’est-ce que le père et le fils con­stru­isent ensem­ble ? Une bib­lio­thèque, œuvre sym­bol­ique, s’il en est. Telle est la célébra­tion de ce chant du fils si prég­nant qu’il rassem­ble le vis­age, le mot et le fils dans un rac­cour­ci sai­sis­sant mag­nifique, à l’image de tout le recueil.

Présentation de l’auteur

Thierry Le Pennec

Thier­ry Le Pen­nec est  né en 1955 dans la région parisi­enne. Il vit dans les Côtes d’Armor. Il est agricul­teur et jar­dinier. Il reçoit  le prix de poésie 2005 de la Ville d’Angers.

Poèmes choi­sis

Autres lec­tures

Notes pour une poésie des profondeurs : Autour de Mario Luzi [1]

Ungaret­ti, Mon­tale, Qua­si­mo­do. Puis Bertoluc­ci, Bigongia­ri, Caproni, Sereni. Un groupe « informel », les poètes ital­iens de la deux­ième moitié du 20e siè­cle, pre­mière et sec­onde généra­tion de ceux qui furent qual­i­fiés à leur corps défen­dant de ten­ants de « l’hermétisme » dès la fin des années 30. Un qual­i­fi­catif don­né dans un sens négatif – le mot est resté.
Par­mi eux, Mario Luzi.

Le Bateau Fantôme : anniversaire et acte de décès

Une des très belles aven­tures revuis­tiques de ces dix dernières années, en poésie, mais pas seule­ment, qui s’interrompt ; pas de tristesse pour­tant. Le Bateau avait prévu son dernier voy­age, une sorte de sabordage […]

Poèmes du Recours

La prose occupe le ter­ri­toire. Elle bavarde, détrame le monde, défait les êtres et les choses. Face à elle, le poème est recours.

Camille de Toledo ou l’inquiétude

        L’évène­ment à l’o­rig­ine du chant de Camille de Tole­do, inti­t­ulé L’in­quié­tude d’être au monde, est la tuerie per­pétrée le 22 juil­let 2011 dans l’île d’U­toya, en Norvège, par un homme, un homme seul, […]

Le lierre la foudre

Dans ce recueil, le poète Pas­cal Boulanger pour­suit son tra­vail d’affrontement avec le nihilisme contemporain.

A l’heure de la décolonisation de l’esprit

Ce livre, une référence dans le monde entier, a mis vingt-cinq ans à nous par­venir en français. Pourquoi ? Il s’agit pour Ngu­gi wa Thiong’o d’expliquer les raisons d’un choix poli­tique et rad­i­cal porté au […]

Sur la disparition de Wislawa Szymborska, ou l’être poème.

Née en 1923, Wis­lawa Szym­bors­ka nous a quit­tés le 1er févri­er dernier. Elle avait reçu le prix Nobel de lit­téra­ture en 1996, peu de temps après la rup­ture de la Pologne d’avec le com­mu­nisme en lunettes noires. Au sein du Recours au Poème, nous ne ces­sons d’être impres­sion­nés – au sens qua­si pho­tographique, à l’ancienne évidem­ment, du terme – par des vies telles que celle de la poète, de ces vies ayant tra­ver­sé le 20e siè­cle, ici entre indépen­dance de la Pologne post-pre­mière guerre mon­di­ale, folie nazie, destruc­tion des camps de la mort, libéra­tion / occu­pa­tion sous Staline…

Tahar Djaout

             Tahar Djaout (1954–1993) est un écrivain, poète et jour­nal­iste algérien d’ex­pres­sion française. En 1993, il fut l’un des pre­miers intel­lectuels vic­time de la « décen­nie du ter­ror­isme » en Algérie.             D’o­rig­ine kabyle, […]

Wislawa Szymborska

            Wisława Szym­bors­ka, née le 2 juil­let 1923 dans le vil­lage de Prowent , voisin de Bnin aujour­d’hui dans la com­mune de Kórnik à moins de 25 km au sud-est de Poz­nań et morte […]

image_pdfimage_print
mm

Marie-Hélène Prouteau

Marie-Hélène Prouteau est née à Brest et vit à Nantes. Agrégée de let­tres. tit­u­laire d’un DEA de lit­téra­ture con­tem­po­raine, elle a enseigné vingt ans les let­tres en pré­pas sci­en­tifiques. Elle recherche l’échange avec des créa­teurs venus d’ailleurs (D.Baranov, « Les Allumées de Péters­bourg ») ou de sen­si­bil­ités artis­tiques dif­férentes (plas­ti­ciens tels Olga Boldyr­eff, Michel Remaud, Isthme-Isabelle Thomas).Elle a ani­mé des ren­con­tres « Hauts lieux de l’imaginaire entre Bre­tagne et Loire chez Julien Gracq », par­ticipé aux « Ren­con­tres de Sophie-Philosophia » sur les Autres et égale­ment sur Guerre et paix. Ses pre­miers textes por­tent sur la sit­u­a­tion des femmes puis sur Mar­guerite Yource­nar. Elle a pub­lié des études lit­téraires (édi­tions Ellipses, SIEY), trois romans, des poèmes et des ouvrages de prose poé­tique. Elle écrit dans Ter­res de femmes, Terre à ciel, Recours au poème, La pierre et le sel et Ce qui reste, Poez­ibao, À la lit­téra­ture, Place de la Sor­bonne, Europe. Son livre La Petite plage (La Part Com­mune) est chroniqué sur Recours au poème par Pierre Tan­guy. Elle a par­ticipé à des livres pau­vres avec la poète et col­lag­iste Ghis­laine Lejard. Son écri­t­ure lit­téraire entre sou­vent en cor­re­spon­dance avec le regard des pein­tres, notam­ment G. de La Tour, W.Turner, R.Bresdin, Gau­guin. Son dernier livre Madeleine Bernard, la Songeuse de l’invisible est une biogra­phie lit­téraire de la sœur du pein­tre Émile Bernard, édi­tions Her­mann. BIBLIOGRAPHIE LES BLESSURES FOSSILES, La Part Com­mune, 2008 LES BALCONS DE LA LOIRE, La Part com­mune, 2012. L’ENFANT DES VAGUES, Apogée, 2014. LA PETITE PLAGE pros­es, La Part Com­mune, 2015. NOSTALGIE BLANCHE, livre d’artiste avec Michel Remaud, Izel­la édi­tions, 2016. LA VILLE AUX MAISONS QUI PENCHENT, La Cham­bre d’échos, 2017. LE CŒUR EST UNE PLACE FORTE, La Part Com­mune, 2019. LA VIBRATION DU MONDE poèmes avec l’artiste Isthme, mars 2021 édi­tions du Qua­tre. MADELEINE BERNARD, LA SONGEUSE DE L’INVISIBLE, mars 2021, édi­tions Her­mann. Paul Celan, sauver la clarté, édi­tions Unic­ité, 2024.

Sommaires

Aller en haut