Auteur d’une petite trentaine d’ouvrages, poésie, romans, nouvelles, récits, essais, Thierry Radière, n’est pas forcément de ceux que l’on remarque d’emblée, en raison d’une discrètion, qui vaut pour une distanciation volontaire, mais sereine, qui justifie cependant l’élaboration d’une œuvre aux contours multiples, dont l’exigence prend sa source au cœur d’une existence pleinement vécue sous les couvert des mots.
Thierry Radière, Entre midi et minuit, La Table Ronde, publié avec le concours du CNL, 333 pages, 17 euros.
D’ailleurs en le lisant, on a le sentiment que Thierry Radière n’invite pas nécessairement à ce type d’exercice. Lui, se veut rester à la lisière de ce qu’il nomme, comme en témoignent les nombreuses dédicaces. L’Autre plutôt que le déclin de Soi, Moi comme le complice de l’Autre. L’Autre comme un remerciement ! « Entre midi et minuit » est habité par un ailleurs, si proche et si loin, qu’il s’agit d’attraper avant qu’il ne se sauve » ; souligne encore l’éditeur à juste titre.
Se taire et reconnaître
Que les miettes laissées par terre
Seront pour les bêtes
Celles affamées
Que le poète ne voit pas forcément
Mais sait toujours évoquer
A ses enfants en train de lire
Ses poèmes à la bougie.
Le poète serait-il aveugle à ce point pour ne point se reconnaître, là où justement la bougie éclaire ? Alors que les bêtes affamées, désignent un tout autre accord. A l’inverse des enfants qui eux savent percevoir spontanément les contours et les traces, sans fouler du pied, une terre qui forcément s’échappe afin de ne pas se laisser malencontreusement fouler.
Et si la poésie
n’était rien
qu’un beau rouge-gorge
perché en haut d’une branche
en train de rire intérieurement
au moment où ceux
qui se prétendent spécialistes
de cet art de plus en plus pratiqué
commençaient à le définir
en long en large et en travers
d’un air sérieux
en utilisant les grands mots ?
Et le tour est finalement joué, presque radical dans sa formulattion, alors que le poète n’est pas dupe de ce qu’il en retourne, n’affecte en rien ses propres résonnances ; juste éviter les comparaisons, mais plus encore les compromissions, sauf que n’est pas « spécialiste de la chose » qui veut. Il faut parfois s’en remettre à la vindicte, pour au moins s’affirmer, s’éléver, avec ses propres mots. Et pourvu de s’échapper de ses nombreux carcans, qui conditionnent plus qu’ils n’affectent le poète innocent. A force de rire, on en devient fou, c’est certain.
J’avais dit un jour
qu’une mouche me regardait écrire
et que je ne savais pas vraiment ce qu’elle voyait
de moi à mon bureau.
Ce souvenir revient subitement aujourd’hui
alors qu’aucun insecte ne m’espionne
mais je crois que c’est plutôt
ce qui se passe dans la têtede ces petites bêtes
que j’ai le sentiment de revivre
en écrivant
Ô fatale obscurité ! Qui ne déclare (dévoile) en rien ses complaisances, mais signifie en amont que l’insecte sait lui aussi à son tour investir discrètement les lieux sans finalement troubler la quiétude du poète ; juste l’accompagner dans son étrange désarroi, comme un compagnon habile et silencieux. Surtout ne jamais faire de bruit quand le poète « s’écrit », au-moins pour ne pas lui faire peur, de se reconnaître ainsi en lui dans « le laboratoire de ses rêves, cette vigie de fortune ».
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